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JÉRÔME (SAINT). L’INERRANCE BIBLIQJ l.


encore moins à. disséquer les arguments de raison ou d’autorité qu’elle a invoqués. Faisons seulement observer qu’elle restreint de singulière façon les limites de la vérité historique, ou, pour parler plus franchement, qu’elle la réduit à rien ou presque rien, et qu’elle va très certainement à rencontre de l’idée qu’on s’en était faite jusqu’aujourd’hui. Au demeurant, elle a été répudiée par Benoit XV, dans un passage de l’encyclique Spiritus Paraclilus. Voir Inspiration, t. vii, col. 2213.

Benoît XV fait remarquer que plusieurs partisans de ces opinions cherchent vainement à s’abriter sous le patronage de saint Jérôme, pour restreindre la véracité îles Livres saints aux apparences historiques. Tâchons d’établir que cette remarque est très iondée. Nous y parviendrons en analysant successivement, dans les Opéra S. Hieronymi, les principaux passages qu’on a invoqués ou qu’on pourrait invoquer en faveur de la récente théorie. Nous n’auro.is souvent qu’à suivre le P. Delattre, Autour de la question biblique. Mais avant d’aborder l’examen des textes, je me permets d’attirer l’attention sur une des notes essentielles de la théorie dont il s’agit : elle implique nécessairement, d’après la définition donnée ci-dessus, que l’hagiographie a consigné dans ses écrits des opinions populaires fausses sans avertir le lecteur de leur fausseté. Le système a d’ailleurs été conçu et exposé de deux manières sensiblement différentes : la généralité de ses défenseurs supposent que l’auteur sacré, en transmettant des opinions erronées, ne se soucie nullement de la réalité des faits et qu’en tout cas il les ignore ; un seul, Dom Léon Sanders, dans ses Études sur saint Jérôme, a adopté une position exceptionnelle : selon lui, l’hngiographe a parfois sciemment déguisé ou masqué la vérité de détails d’importance secondaire, et cela par ménagement pour les préjugés de ses lecteurs. Il croit avoir trouvé cette idée dans saint Jérôme. Celui-ci, dit-il, op. cit., p. 173, « admet des erreurs matérielles, si l’on entend par là le fait d’avoir rapporté certaines choses selon l’opinion publique ou sur la foi d’un témoignage écrit, plutôt que d’après la rigoureuse vérité historique ; mais nous ne pensons pas qu’il admette des erreurs imputables à l’ignorance seule de l’auteur sacré, et qui seraient formelles, si celui-ci avait eu l’intention d’affirmer ces faits historiques. » Il dit plus explicitement encore, ibid., p. 191 : L’auteur sacré a rapporté certains faits historiques d’après la version populaire résultant d’une tradition soit écrite, soit orale, c’est-à-dire des faits véritables au moins subjectivement, si pas toujours objectivement. L’inspiration n’est donc pas en faute, puisque l’écrivain raconte les faits de la sorte pour ne pas froisser l’opinion du lecteur en des choses secondaires et pour gagner plus sûrement sa confiance par cette sage concession…. Saint Jérôme cependant n’admet pas que, lorsqu’il y a erreur en quelque détail, cette erreur provienne de l’ignorance de l’écrivain inspiré ; elle doit être attribuer a la tradition.de sorte que si la tradition n’eût pas existéc, l’écrivain eût dû écrire la vérité objectivement, même quant à la moindre circonstance. »

Or, Jérôme paraît plus réfractaire que bien d’autres a une conception de ce genre. Il était très exigeant sur le chapitre de la sincérité de la part des auteurs inspirés, on peut même dire qu’il poussait la délicatesse à l’excès. Je n’en citerai qu’un exemple. Dans son Commentaire de l’épître aux Ephésiens, ii, 8, 9, t. xxvi, col. 482, il rencontre cette proposition : Mihi infimo omnium sanctorum data est gratta. Or, de prime abord, il ne lui semble pas qu’au point « le vue précis de la sainteté l’Apôtre « se soit vraiment, dans le fond de sa conscience, estimé inférieur à tous, inférieur, par exemple, à ceux qui à Corinthe, à Éphèse, a I hessalo nique et dans tout l’univers avaient embrassé la foi. » Aussi bien se met-il en devoir de chercher assez péniblement un aspect particulier sous lequel Paul ait été et ait pu par conséquent, se proclamer, le dernier de tous, sans déchoir de la dignité apostolique. Rcpcriendum ergo est argumentum quo et Paulus verc omnibus sanctis infimus fuerit, et tamen de apostolica non ceciderit dignitate. Et l’unique motif de cette recherche laborieuse, à coup sûr bien inutile, c’est le désir, la nécessité d’épargner à l’apôtre le reproche mérité de mensonge : Quod cum humilitatis indicium sil se omnibus sanetis inftmum dicere, mendacii est reatus aliud in pectore clausum habere, aliud in lingua promere. Ainsi Jérôme taxerait de mensonge un écrivain qui, dans une sorte de formule d’humilité et de politesse, se serait permis quelque exagération ; et, d’autre part, il admettrait, il autoriserait chez tous les hagiographes les libertés définies ci-dessus ? L’inconséquence, il faut le reconnaître, serait flagrante.

Finalement, nous remarquerons que l’idée nouvelle de Dom Sanders semble être restée sans écho, même parmi ceux dont il soutenait les conclusions. Ni le P. Lagrange, ni le P. Largent, ni M. Peters, ni M. Poels ne s’y sont ralliés ; cf. Schade, op. cit., p. 71 ; pour tous ceux-ci, si l’hagiographe reproduit simplement des traditions erronées, c’est que, homme de son temps et de son milieu, il n’en savait pas plus long que ses contemporains. C’est cette forme de la théorie que nous allons désormais envisager directement.

Dans les œuvres de saint Jérôme, on a relevé surtout cinq endroits comme appuyant ou semblant appuyer la théorie des apparences historiques. Les voici, dans l’ordre où nous les examinerons : 1. Quæstiones hebraicee in Gen., xlvi, 26 sq. ; 2. Commentant in Jerem.. cap. xxviii ; 3. Commentarii in Ezech., cap. xiii ; 4. Commentarii in Mallh., cap. xiv ; 5. De perpétua virginitate B. Mariæ adversus Helvidium.

1. Quæst. hebr. in Gen., cap. xlvi, 26 sq., P. L., t.xxui.col.lOOl. 1002. — Étudiant les versets 26 et 27 de ce chapitre xlvi, saint Jérôme en compare le texte hébreu à la version des Septante et à l’extrait qui figure dans le discours du diacre Etienne, Act., vu. Il remarque que le nombre total des Israélites qui descendirent en Egypte au temps de Joseph était de soixante-dix, suivant l’hébreu, tandis que, suivant les Septante, il était de soixante-quinze ; il note encore que saint Luc, Act., vii, 14, a suivi la leçon des Septante.

De là plusieurs et Dom Sanders notamment, op. cit., p. 163, et Revue biblique, 1905, p. 281-287, ont cru pouvoir tirer un premier argument, qui se ramène à ceci : saint Jérôme reconnaît que saint Luc reproduit telle quelle la version des Septante et que celle-ci est erronée ; il estimait donc que les hagiographes racontent parfois sans plus, d’après des documents trompeurs. Ce raisonnement serait concluant, si les deux parties de l’antécédent étaient également certaines. Mais il s’en faut que la seconde le soit ; elle va même directement à rencontre du sens clair de tout ce passage. Jérôme n’admet pas qu’il y ait erreur dans lesSeptan’.e, non plus que dans l’hébreu ; la preuve. c’<sl qu’il prétend concilier les deux leçons, el il a Imaginé dans ce but une hypothèse qu’on peut trouver subtile, mais en laquelle il a foi : selon lui. les Septante, au nom lue drs soixante-dix arrivants primitifs auraient ajouté, « par anticipation », cinq antres descendants de Jacob, mentionnés un peu plus haut, au vers. 20 de la version grecque, à savoir trois petits-fils et deux arrière-petitsfils de Joseph : Sed et illud quod supra legimus : « Facli sunt autem ftliiManasse, quos gentil ei concubina Syra, Machir, et Machir gentil Galaad ; tilii autem Ephraim, fratris Mariasse, Suthalaam et Thaam, fllii vero Suthalaam, Edem, addilum est ; siquidem id (/noil posiea legimus quasi fier anticipationem faclum esse d<