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JANSÉNISME, LES CINQ PROPOSITIONS


libres, la volonté comprend la liberté comme élément essentiel. Ibid., c. xxxiv.

2. Mais cette liberté peut se trouver dans des états différents, suivant la diversité des états et des conditions des agents libres. L. VI, c. xxxiv. Chez tous, la liberté a les mêmes caractères essentiels, mais, par accident, elle agit dans des conditions différentes et se manifeste par des actes très distincts. En Dieu et en Jésus-Christ, elle est unie à une nécessité et une détermination perpétuelle et immuable au bien ; il en est de même, en fait, pour les anges et les bienheureux. Par contre, chez les damnés, elle est unie à une nécessité semblable, niais pour le mal. Chez les anges au temps de leur épreuve et pour Adam innocent, il y avait une indifférence active complète entre le bien et le mal. Enfin chez les hommes actuels, après le péché originel, il -y a encore indifférence mais très atténuée, in hominibus lapsis vialoribus (liberum arbitrîum) il idem indifferens, sed longe minus. L. VI, c. xxxtv. C’est dans l’explication de cette indifférence amoindrie que Jansénius montre que, pour mériter et démériter, il faut et il suffit d’être exempt de toute coaction, de toute violence extrinsèque.

La liberté humaine actuelle n’est que l’exemption d’une nécessité volontaire immuable. Durant toute notre vie, il y a conflit entre les deux délectations qui peuvent successivement triompher, suivant la prédominance de l’une ou de l’autre, dans la volonté qui consent toujours et nécessairement à la délectation la plus forte ; par suite, la volonté de l’homme icibas n’est point fixée et confirmée dans un état, comme celle des bienheureux dans le bien et celle des damnés dans le mal Elle peut changer, ou, plus exactement, elle peut êlre changée. En cela consiste son indifférence et cela est la condition suffisante pour qu’il puisse mériter ou démériter. L. VI, c. xxxiv.

La nécessité volontaire antécédente, résultat du triomphe île l’une ou de l’autre des deux délectations, laisse la volonté libre et conditionne le mérite ou le démérite.

Bref, seule, la coaction détruit la liberté, l.VI, c. xii, et la grâce médicinale de Jésus-Christ qui est toujours efficace au sens de Jansénius ne nuit point à cette liberté. L. VIII tout entier et en particulier, c. v-xx. En clïet, la grâce de Jésus-Christ nous fait vouloir librement, sans forcer la volonté. L. VIII, c. viii, xii, xiii, xv, xviii. D’ailleurs Jansénius enseigne positivement que l’homme pèche, quelle que soit la nécessité qui l’entraîne, pourvu qu’il ne soit pas violenté. De statu naturæ lapsie, t. ii, c. iv ; t. IV, c. xviii, xxi ; De gratia Christi, t. VIII, c. ix.

Cependant en quelques endroits, De gratia Christi, t. IV, c. xxiv ; t. VIII, c. xx, Jansénius parle de [’Indifférence de la volonté.

Mais il suffit de lire avec attention les textes de Jansénius pour voir qu’il ne s’agit point d’une indifférence active et réelle, c’est à-dire, du pouvoir d’agir ou de ne pas agir à son gre, quand on a tout ce qu’il faut pour agir ; l’indifférence dont parle Jansénius, c’est ce qu’il appelle la mutabilité, la flexibilité qui distingue essentiellement l’homme voyageur des

bienheureux et des damnés, lesquels sont immuablement fixés dans le bien ou dans le mal. L’Indifférence toute passive accordée à la volonté humaine consiste en ce fait que la volonté mue par une délectation antécédente victorieuse à faire un acte détermine, reste capable, lorsque les circonstances changeront et que la délectation contraire scia devenue victorieuse, de faire l’acte contraire. Ainsi, la volonté du

juste, mue par la grâce victorieuse, fait nécessairement

le bien, niais elle n’est p.is fixée dans le bien, comme la volonté des bienheureux, car, elle peut, dans un autre

6tre mue par une cupidité plus forte que la grâce

précédente et alors elle fera nécessairement le mal. Elle est capable d’aller au bien ou au mal, mais elle va nécessairement au bien, quand elle est mue par la grâce, et elle va nécessairement au mal, quand elle est mue par la concupiscence ; elle est toute passive et elle ressemble à la girouette qui tourne nécessairement du côté où la pousse le vent le plus fort, mais qui ne tourne pas nécessairement toujours du même côté. Bref, l’indifférence admise par Jansénius et ses disciples exclut une nécessité permanente et immuable mais non point une nécessité transitoire.

L’indilTérence de contradiction et de contrariété dont parle Jansénius, t. VIII, c. xx, est également toute passive ; il dit lui-même, t. VI, c. xxxiv, que la volonté de l’homme est exempte de la nécessité volontaire immuable.

Sous l’influence de la grâce dominante, la volonté fait nécessairement le bien ; sous l’influence de la cupidité dominante, elle fait nécessairement le mal ; mais, dans le premier cas, elle peut faire le mal et, dans le second, le bien, non point en ce sens que la volonté puisse faire le mal, tant que la grâce domine ou le bien, tant que la concupiscence domine, mais en ce sens que, durant toute la vie, la volonté peut être changée par une disposition différente, la grâce cessant d’être victorieuse dans le premier cas et la cupidité dans le second. Sous l’influence de la cupidité, l’homme conserve ! e pouvoir d’éviter le péché et de faire le bien, parce que sa volonté conserve le pouvoir de recevoir la grâce qui vaincra la cupidité et portera la volonté au bien. De slclu naturæ lapsæ, t. III, c. xiii, Jansénius écrit lui-même : Talis eninpotestas peccata vilandi cum præsenti peccandi nccessilale facile consislere potest, sicut in claudo potest consistere potestas recle ambulandi, quia medici arte sanari potest, cum necessilate claudicandi quamdiu medicina caret. L. IV,

C. XXIII.

Ailleurs Jansénius accorde à la volonté un vrai pouvoir de pécher, quand elle est sous l’influence de la grâce et un vrai pouvoir de faire le bien, quand elle est sous l’influence de la cupidité, t. VIII, c. xx ; mais ce pouvoir est empêché, lié et il ne peut réellement passer à l’acte que si la force relative des deux délectations est changée. Ce pouvoir lié ae faire le bien existe chez le fidèle qui conserve la foi et chez le juste qui conserve la grâce sanctifiante et les habitus surnaturels qui l’accompagnent. Le pouvoir de faire le mal existe chez tous, car, chez tous, subsiste le poids de la concupiscence qui incline au mal. Ce pouvoir de faire le bien, quand on est sous l’influence de la cupidité et ce pouvoir de faire le mal, quand on est sous l’influence de la grâce, n’est pas un pouvoir libre de s’exercer hic et nunc. mais un pouvoir détermine à un acte, à tel point qu’il ne peut faire l’acte contraire, à moins que, dans l’âme, il y ait un changement, à inoins que, par exemple, à la délectation indélibérée dominante qui pousse invinciblement au mal ne succède une grâce, victorieuse qui change la volonté et la porte avec une égale nécessité à l’acte bon. L. VIII, c. xx.

Parfois Jansénius semble modifier son langage : ainsi il dit qu’être libre, c’est esse sui juris, luibere in sua potestole acttis suos, t. VI, c. iii, et il conclut que les mouvements indélibérés qui précèdent la raison ne sont pas libres. Ibid., c. xxxvi, xxxviii.

Mais, dans ces passages et autres semblables, Jansénius entend ces expressions dans un sens tout particulier. Ordinairement, on dit qu’un acte est en notre pouvoir, quand il dépend de nous de faire ou de ne pas faire cet acte, quand il y a en nous le pouvoir de choisir entre deux actes et que, par suite, notre volonté

n’est pas déterminée à tel acte.

Or, pour. Jansénius, Il sutlit que la volonté ne soit