absolument nécessaire pour remplir les préceptes. Or les thomistes eux-mêmes accordent que cette grâce suffisante manque parfois aux justes. Jausénius ne ferait donc que nier l’existence actuelle de la grâce suffisante au sens des molinistes, de cette grâce à laquelle rien ne manque de la part de Dieu pour qu’en fait l’homme veuille et agisse, mais il admet la grâce suffisante des thomistes. T. iii, De gratia Christi, t. III, c. i.
Far suite, le sens de la 'e proposition serait celui-ci : quelques préceptes sont impossibles à quelques justes qui font des elTorts sous l’influence de la grâce suffisante au sens thomiste, mais qui s’opposent à cette grâce en ce sens qu’ils n’ont pas un pouvoir prochain parfait auquel rien ne manque ; ce qui leur fait défaut, c’est la grâce efficace d’agir qui comprend tout ce qui est nécessaire pour agir en fait.
Mais il est facile de montrer que cette interprétation dans le sens des thomistes de la l re proposition n’a été inventée par les jansénistes que pour enchaîner leur cause à celle des thomistes et qu’elle est en désaccord complet avec les thèses fondamentales de Jansénius.
En effet, pour les thomistes, la grâce suffisante donne à la volonté un vrai pouvoir complet et prochain d’agir, de telle sorte qu’avec cette grâce, l’homme est capable d’agir, non point en ce sens qu’il puisse agir sans la grâce efficace, mais en ce sens que Dieu est prêt a accorder la grâce efficace à l’homme qui, pal sa volonté libre, ne s’oppose pas à la grâce suffisante, exactement comme dans les causes naturelles, les facultés suffisent pour agir, bien qu’en fait elles aient besoin d’une motion physique de la cause première. Bref, la grâce suffisante des thomistes donne un vrai pouvoir prochain et immédiat, en sorte que l’homme, pour agir et faire le bien, n’a besoin d’aucun autre secours, car, avec elle et en elle, la grâce efficace est toujours oITerte par Dieu ; donc l’homme excité par la grâce suffisante a toujours à sa disposition une grâce efficace qu il reçoit effectivement, s’il ne s’oppose pas à la grâce suffisante et dont il n’est privé que s’il résiste à cette grâce suffisante. La grâce suffisante des thomistes est vraiment suffisante relativement à l'état présent de la volonté.
Au contraire, Jansénius n’admet aucune grâce vraiment suffisante, t. u. De gratia primihominis, c. m sq ; t. m. De gratia Christi, 1. II. c. iv, viii, xxv ; t. III, c. i ; cette prétendue grâce suffisante serait môme, dit Jansénius, ibid., t. III, c. i, ii, iii, inutile et pernicieuse ; ce serait une monstruosité qui ne servirait qu'à faire commettre les péchés et à accroître la damnation, puisque cette grâce resterait toujours sans effet. Jansénius n’admet que des grâces efficaces (adjulorium quo) ; il peut y avoir des grâces petites, faillies, mais toujours efficaces cependant, puisque toujours elles produisent l’ellet pour lequel elles sont données, même lorsqu’elles ne produisent que des désirs inefficaces. Ibid. A. II, c. xxvii. La petite grâce que certains jansénistes voudraient identifier avec la grâce suffisante des thomistes en dillère essentiellement : celle-ci donne un pouvoir vrai complet et prochain, tandis que celle-là, étant donné la force de la concupiscence, ne donne aucun pouvoir vrai et prochain pour faire une bonne œuvre et elle ne suffit point à la volonté pour obtenir la grâce efficace. Far suite, lorsque la petite grâce des jansénistes est accordée à l’homme juste, celui-ci, même s’il ne s’oppose pas à cette grâce, n’a point à sa disposition la grâce efficace qui, seule, lui permettrait d’whserver le commandement. Au contraire, la grâce victorieuse peut lui être refusée, même lorsque la volonté fait tous ses efforts et qu’elle accorde son eonsentemeut à la petite grâce. La grâce suffisante ne serait vraiment suffisante pour les jansénistes que
si la cupidité était moins forte qu’elle, mais alors ce serait la grâce efficace. La grâce suffisante dont parlent quelques jansénistes n’est, en réalité, qu’une grâce insuffisante, en conflit avec une concupiscence plus forte qu’elle.
En fait, Jansénius rejette non seulement la gTâce suffisante des molinistes, mais la grâce suffisante des thomistes, puisqu’il n’admet que l’adfiitorium quo qui produit toujours son effet, alors que la grâce suffisante des thomistes ne produit son effet que si elle est suivie de la grâce efficace.
Sur ce point, les premiers jansénistes restent fidèles à la pensée de leur maître. Ainsi Arnauld dans sa Première apologie pour Jansénius, p. 80-81, et dans sa Deuxième apologie, t. II, c. xxi, comme dans maints endroits de son Apologie pour les saints Pères, IIe partie, point iii, a. 42 ; point v, a. 1. etc. Pascal dans sa Deuxième lettre Provinciale, se moque de la grâce suffisante des thomistes, de cette grâce qui, bien que suffisante, ne suffit jamais
2° Deuxième proposition.
Interiori gratia : in statu Dans l'état de nature dénatura ; lapsae nunquam rcchue, on ne résiste jamais à sistitur. la grâce intérieure.
Cette proposition est déclarée hérétique et condamnée comme telle.
Elle ne se trouve point en propres termes dans l’Augustinus mais, dans tous les endroits où Jansénius parle de la grâce efficace, cette proposition est implicitement affirmée, en particulier, t. ui, DegruliaChri<ili, t. II, c. xxv, xxvii ; t. III, c. iv, où on lit : Docet Auguslinus nullam Christi gratiam efjcclu operis ad quem efjiciendum volunluti datur, ulla voluntatis pervicacia frustrari.
Dans cette proposition, il ne s’agit évidemment que de la grâce actuelle, comme le dit Jansénius au début du I. II, De gratia Christi', c. i, n. On ne veut pas dire que, dans la volonté, lorsqu’elle est excitée par la grâce, il n’y ait aucune opposition de la concupiscence ou que cette grâce so’t toujours victorieuse de la concupiscence, car, tant que dure la vie d'épreuve, la concupiscence reste toujours, même après le baptême et toujours il y a lutte entre les deux délectations ; par ailleurs, la délectation terrestre fait échec à la grâce, toutes les fois que celle-là est plus forte que celle-ci ; par suite, la volonté n’exécute pas toujours l’acte pour lequel la grâce l’excite, car elle peut être arrêtée par une cupidité plus forte. Mais Jansénius proclame en maints endroits que la grâce actuelle, qu’elle soit victorieuse de la cupidité ou qu’elle soit vaincue par elle, obtient toujours l’effet pour lequel Dieu l’a donnée hic et nunc, de telle sorte que, si elle dépasse en degré la cupidité terrestre, elle entraîne nécessairement le consentement de la volonté ; si, par contre, elle est plus faible que la cupidité, celle-ci triomphe et la grâce ne produit que des affections faibles et stériles, des désirs inefficaces ; bref, la volonté n’a aucune activité propre qui lui permette de réagir ; elle incline fatalement du côté où la délectation est la plus forte.
De ces thèses empruntées à Jansénius lui-même, on déduit aisément les conséquences suivantes :
1. Il n’y a pas de grâce simplement suffisante, car toute grâce chez l’homme déchu, est efficace, De gratia Christi, t. III, c. i, ii, m ; la grâce suffisante (adjutorium sine quo non) n’a existé que dans l'état d’innocence et le péché l’a totalement détruite ; elle ne serait d’ailleurs qu’un monstre, qu’une grâce de damnation.
2. Toute grâce produit toujours son effet, ibid., t. II, c. iv, et elle ne dépend en rien de la volonté ; elle fait invinciblement que la volonté veut ; elle supprime toute résistance, de telle sorte, que souvent saint