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JANSÉNISME, L’AUGUSTINUS, T. III. LA RÉPROBATION


qui reste donc la cause éloignée de la damnation. Par le baptême, Dieu ne s’oblige point à donner à tous les fidèles la suite des grâces actuelles qui sont nécessaires au salut ; il ne donne pas à tous la foi, la pénitence, la persévérance, à cause du péché originel ; il peut refuser les grâces que, sans le péché originel, il n’aurait pas pu refuser sans injustice. Le péché originel reste toujours, même après que le baptême a effacé la coulpe du péché, la cause de l’ignorance et de la concupiscence, la cause de la privation des grâces que Dieu refuse aux réprouvés. Les péchés actuels qu’on commet rendent de nouveau dignes de la damnation éternelle dont le baptême avait, pour un temps, délivré. Dans ce cas, il y a une justification temporelle, mais point la persévérance finale. Dieu a accordé la justification par le baptême, mais rien ne l’oblige à accorder des faveurs exceptionnelles qui, seules, peuvent arrêter le cours de la concupiscence et ainsi le fidèle retombe aisément et fatalement dans la masse de perdition. Par suite, sortir de l’état de péché, ce n’est pas être délivré de la masse, car la rémission du péché peut n’être que partielle et temporelle, tandis que la prédestination vraie suppose une délivrance totale de tous les maux et la persévérance finale.

Ceux qui sont justifiés temporairement et meurent ensuite dans l’impénitence finale, ne seront pas punis en enfer pour le péché originel ; mais pourtant le péché originel est la cause principale pour laquelle Dieu ne les a pas délivrés totalement et ne leur a pas accordé des grâces efficaces qui les eussent sauvés infailliblement. Bref, le péché originel, pardonné ou non, donne à Dieu le droit souverain de vie et de mort sur tous les hommes ; c’est par pure miséricorde qu’il donne ce qu’il donne ; c’est par justice qu’il refuse ce qu’il ne donne pas, c. m.

Si on compare le réprouvé et l’élu, on doit dire que la cause pour laquelle le réprouvé est réprouvé, c’est la volonté de Dieu, qui, justement, n’a pas voulu délivrer celui qui est réprouvé. Mais pourquoi celui-ci est-il élu et celui-là réprouvé ? C’est le secret de Dieu seul et il serait téméraire de vouloir scruter ce mystère. L’un est sauvé parce que Dieu, par miséricorde, a voulu le sauver ; l’autre est réprouvé parce que Dieu, par justice, n’a pas voulu le sauver, c. iv.

L’aveuglement de l’esprit, l’endurcissement du cœur et la damnation éternelle sont les effets de cette réprobation. En effet, les réprouvés sont infailliblement privés de la gloire éternelle ; donc, dès cette vie, la réprobation produit des châtiments qui sont les effets du jugement de damnation prononcé par Dieu, en particulier les péchés qui découlent du péché originel. Jansénius cite ici un texte terrible des Soliloques : Reprobis omnia cooperantur in malum et ipsa oratio uerlitur in peccatum.

La permission du premier péché soit des anges, soit des hommes n’est pas un effet de la réprobation, car Dieu avait d’abord la volonté de sauver tous ceux qui persévéreraient dans le bien en usant des grâces à eux accordées ; la réprobation n’a été prononcée qu’après le péché. La permission du péché des anges et d’Adam est un effet d’une providence générale qui a précédé les décrets de prédestination et de réprobation absolus, lesquels sont postérieurs à la prévision du péché originel, et, par suite, l’acte par lequel Dieu punit le péché de nos premiers parents e* le péché contracté par leur postérité n’est pas un effet de la réprobation et on ne doit pas dire que la réprobation est la cause du péché d’Adam, c. v.

2. Difficultés et réponses (c. vi-x). — Trois difflcul tés particulières se présentent contre cette doctrine : a) Comment Dieu peut-il être le sauveur de tous les hommes ? b) Comment Jésus-Christ peut-il être le Rédempteur de lousl c) Comment Dieu a-t-il pu pro mettre la vie éternelle à ceux qui observeraient ses commandements ?

Saint Augustin connaissait ces difficultés, car elles sont empruntées aux semi-pélagiens et cependant il a toujours défendu la même doctrine ; c’est donc qu’il ne les regardait pas comme décisives. Poit la première et la seconde difficulté, Jansénius rappelle les solutions qu’il a données au I. III : pro generibus singulorum et pro singulis generum.

La troisième objection est tirée de l’imagination des hommes qui croient que Dieu récompense à la manière des hommes, tandis qu’en fait, c’est Dieu qui, par sa grâce, nous donne la forcee » les moyens de mériter. La persévérance ne dépend pas de nous ; Dieu décrète à la fois et la fin et les moyens. Lorsqu’il veut sa gloire, il veut en même temps que l’exécution soit obtenue par les bonnes œuvres et, par suite, il veut accorder aux prédestinés les moyens nécessaires ; mais les prédestinés, avec les grâces à eux accordées, doivent faire les bonnes œuvres ; ils doivent travailler de leur côté et demander incessamment que Dieu accomplisse en eux ce qu’il désire, rogatur ut del quod jubet. Dieu donne ce qu’il commande ; l’exécution de la promesse dépend de Dieu, tout comme l’objet de cette promesse : Deus facil ut faciamus, c. vi.

Mais alors, objecte Lessius à la suite des Marseillais, Dieu dresse des embûches, tend des pièges aux réprouvés pour les faire succomber ; pour réaliser ses décrets, il doit empêcher ceux qu’il n’a pas choisis, d’arriver au salut ; il doit faire en sorte qu’ils meurent dans le péché et ainsi il est l’occasion de leur perte. C’est là une objection des semi-pélagiens contre saint Augustin ; elle est fondée sur cette erreur que l’homme par ses propres forces, peut s’introduire au nombre des élus ou persévérer dans la justice ; or, Dieu seul peut l’arracher à la masse de perdition et donner la grâce nécessaire pour persévérer ; personne, sans sa volonté formelle et positive, ne peut entrer et demeurer au nombre des élus, c. vu.

Le même Lessius objecte encore que cette doctrine engendre la lâcheté chez les élus, le désespoir chez les réprouvés, la paresse chez tous. En effet, on peut dire : ou je suis prédestiné ou je ne le suis pas. Si je suis prédestiné, je n’ai rien à faire, mon salut est assuré, quoi que je fasse ; si je ne suis pas prédestiné, quand même je ferais le bien, je serai damné ; donc je n’ai rien à faire. Raisonnement faux, répond Jansénius : nous ne devons pas mettre notre confiance en nous-mêmes, mais dans les promesses de Dieu : miror homines se malle confiderc infirmitali suas quam firmitati promissionis Dei. Cette objection, mise en avant par les semi-pélagiens, pourrait être faite aussi bien à propos de la prescience divine dont tout le monde convient : Dieu qui ne peut se tromper sait que je serai sauvé ou non ; dès lors, quoi que je fasse, il est nécessaire que ce qu’il sait arrive. Raisonnement illogique, car Dieu qui connaît ceux qui seront sauvés, connaît aussi les moyens par lesquels ils seront sauvés. Ceux qu’il prédestine à la gloire, il les prédestine aussi aux moyens d’obtenir la gloire, c’est-à-dire aux mérites et aux bonnes œuvres par le secours de la grâce.

Ni la prescience, ni la prédestination n’excluent la coopérât ion de la volonté humaine ; elles supposent cette coopération : il faut avoir soin de son salut, le demander continuellement à Dieu de qui tout dépend, avec l’assurance que la prédestination ne peut se réaliser que par ce moyen, tout comme la prescience ne se réalise que par les événements prévus. Mais dira-t-on, si je ne suis pas élu, c’est en vain que je sers Dieu. Raisonnement absurde, car servir Dieu est un bien et pour servir Dieu, il faut l’aimer pour lui-même, quoi qu’il arrive et cela suppose déjà qu’on est élu.

Il faut faire le bien et se confier en la miséricorde