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JANSÉNISME, L’AUGUSTINUS, T. III. GRACE ET LIBERTÉ


peu importe, nous restons libres, pourvu que nous ne soyons pas contraints et que nous puissions vouloir ce que nos faisons ; dès lors, elle s’accorde parfaitement avec la liberté, puisque toujours on veut ce qu’on fait, c. xix.

Cependant, dit Jansénius, saint Augustin reconnaît, dans la volonté, une certaine indifférence, soit avant la grâce, soit après la grâce ; cette indifférence qui n’est point essentielle à la liberté, consiste dans la versatilité de la volonté qui peut passer du mal au bien par l’actition de la grâce et du bien au mal par l’action de la concupiscence. Tant que l’homme vit, soit dans l’infidélité avant la grâce, soit dans la grâce, il y a, en lui, une certaine indifférence pour vouloir et faire le bien et le mal, mais non point au sens des pélagiens et des scolastiques, qui supposent que la liberté est restée tout entière après le péché d’Adam et qu’elle peut, à son gré, faire le bien ou le mal, comme dans l’état d’innocence. Après la chute, sans la grâce, la volonté est déterminée au péché et avec la grâce, elle est déterminée au bien, mais dans le temps même où la volonté est placée sous l’influence de la grâce efficace et même quand la volonté fait le bien, il y a, en elle, un pouvoir de ne pas faire le bien et de pécher, non point qu’elle puisse arrêter l’acte bon qu’elle fait ou commettre réellement un péché (ce que demanderait le sens composé), mais parce que le pouvoir de cesser le bien ou de pécher peut coexister avec la grâce dans la même volonté. Quand, avec la grâce, nous faisons le bien, il est vrai de dire qu’on peut faire le mal, non seulement parce que la puissance de faire le mal demeure en nous, mais encore parce que le poids de la concupiscence ou pouvoir de pécher n’est pas détruit par la délectation du bien, quoiqu’elle ne puisse produire son effet, tant que la grâce domine dans la volonté. En un mot, la puissance de pécher n’est pas détruite par la grâce et, au moment même où la volonté est efficacement mue par elle, on peut dire que la volonté reste capable de pécher, quoiqu’il soit impossible que le péché et l’opération de la grâce se trouvent ensemble au même moment dans la même volonté. Ainsi on peut dire que l’infidèle qui ne croit pas peut croire, non pas qu’il dépende de lui de croire, mais parce qu’au moment où il ne croit pas, il a la puissance de croire qui pourra se traduire par l’acte de croire, quand il sera délivré par la grâce, de la même manière que « l’homme boiteux peut marcher droit, non pas qu’il le puisse réellement tant qu’il est boiteux, mais parce qu’il le pourra, quand il sera guéri. » Deux actes contraires ne peuvent coexister dans la même volonté, mais deux puissances pour des actes contraires peuvent coexister.

Si maintenant la volonté, sans la grâce, ne peut que faire le mal, cela ne tient pas à sa nature, mais c’est une punition du péché. Les actes qui viennent de cette nécessité de pécher sont de vrais péchés, bien que la volonté, étant ce qu’elle est, ne puisse les éviter. Le pécheur vit avec plaisir dans son péché et cette habitude s’est changée en une nécessité qui le rend inexcusable. S’il voulait le bien et ne pouvait pas le faire, il serait excusable, mais il n’en est pas ainsi : il ne veut pas faire le bien. Lorsque l’âme est accablée sous le poids de la concupiscence, c’est moins le pouvoir, que la volonté de faire le bien qui lui manque. En ce cas, on ne peut faire le bien parce qu’on ne veut pas le faire. Lorsque l’âme est préparée par une forte délectation de la grâce à aimer le bien ardemment, ce n’est pas la puissance de faire le mal qui est enlevée, mais la volonté, ayant changé son affection et s’attachant au bien, ne veut plus faire le mal. Celui qui ne fait pas le bien, agit ainsi non par défaut de pouvoir, mais par défaut de volonté. Ce qui manque pour faire le bien, quand on n’a pas la grâce, ce n’est pas le pou voir, mais le vouloir ; le pouvoir ne disparaît qu’à cause du vouloir, car le pouvoir suit la volonté. Aussi le pécheur qui ne fait pas le bien est coupable de ne pas le faire et de faire le mal, parce que, s’il l’eût voulu, il eût pu éviter le mal et faire le bien.

C’est ainsi que Jansénius qui, au c. iv, avait rejeté comme étrangère à la pensée de saint Augustin, la distinction scolastique du sens composé et du sens divisé, l’a reprise ici. Arnauld, dans la Seconde Apologie de Jansénius, p. 243-244, traduit cette pensée de son maître : « Quelque grand et puissant que soit le plaisir victorieux de la grâce qui prévient et détermine le libre arbitre à faire le bien, il peut encore non seulement ne pas faire le bien, mais encore jaire le mal, car cela est vrai selon la façon de parler ordinaire des philosophes, dans le sens qu’ils appellent composé et non pas dans le sens divisé, c’est-à-dire, qu’au même temps que le libre arbitre est rempli de ce plaisir victorieux de la grâce qui le meut efficacement et lors même qu’il fait actuellement le bien, la puissance de ne point faire et même de pécher est dans la volonté, non qu’il se puisse faire que la volonté n’agisse point, lorsqu’elle agit ou que le péché se rencontre effectivement avec l’influence de cette grâce délicieuse (ce qui serait nécessaire pour le sens composé) mais que la puissance de ne point faire le bien et de pécher se peut rencontrer avec la grâce dans le même arbitre… » c. xx.

3. Différence entre la doctrine de saint Augustin et celle de Calvin (c. xxi). — Cette explication de l’accord de la grâce et de la liberté diffère essentiellement, dit Jansénius, de celle qui a été proposée par Calvin. Pour celui-ci, la volonté est enchaînée par la grâce et elle est mue par elle comme par un moteur extérieur et étranger, tandis que pour saint Augustin, la volonté n’est pas poussée extérieurement, mais elle est mue intérieurement et elle obéit librement.

Jansénius, d’ailleurs, commence par déclarer que tout ce qu’enseignent leshérétiques n’est pas hérétique ; d’ordinaire, l’erreur se mêle à la vérité, afin de surprendre même les moins crédules. Puis il indique en quoi l’opinion de Calvin diffère de celle de saint Augustin :

a) Calvin nie que l’homme puisse choisir entre le bien et le mal et il critique l’auteur de la Vocation des gentils, qu’il croit être saint Ambroise ; or saint Augustin et saint Prosper soutiennent la thèse nettement opposée, b) Pour Calvin, le mouvement de la grâce est si puissant qu’il est impossible à l’homme de lui résister ; pour saint Augustin, la grâce meut infailliblement la volonté, mais le pouvoir de résister à la grâce subsiste toujours, nonobstant l’acte contraire. Si ce pouvoir ne s’exerce pas, c’est que la volonté n’est pas disposée à vouloir. L’actuelle résistance ne peut pas coexister avec l’actuelle motion de la grâce, mais le pouvoir de résister coexiste avec cette motion. c) La volonté, pour Calvin, est la suivante de la grâce, pedissequa volunlas, et on ne peut pas dire que la volonté consente ou obéisse librement à la motion de la grâce ; cela est tout à fait opposé à Augustin qui écrit que notre volonté consent et obéit, d) La vertu et le vice, dit Calvin, |ne sont pas en notre pouvoir ; par suite, l’homme n’est pas libre de faire le bien ou le mal. Or saint Augustin a toujours enseigné qu’il est en notre pouvoir de changer notre volonté ; il dépend de la volonté de croire, puisqu’on croit quand on veut, de pratiquer la vertu et la justice, puisqu’on ne pratique la vertu et la justice que lorsqu’on le veut. Nous sommes libres, parce que nous avons en notre puissance ce que nous faisons. e) Calvin nie l’existence du libre arbitre ; c’est un mot vide de sens qu’il faut exterminer, car lorsque Dieu donn-j sa grâce, l’homme n’agit pas, il « est agi. Or ceci est encore absolument opposé à la pensée de saint Augustin qui affirme l’existence de la liberté, qui