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427 JANSÉNISME, L’AUGUSTINUS, T. III. GRACE ET LIBERTÉ 428

posé, mais qund un acte existe, la puissance de faire le contraire persévère au sens divisé, c. iv.

2. La doctrine de saint Augustin (c. v-xx). — Mais il est fort douteux que saint Augustin ait songé à une telle explication. Dans ses polémiques contre les pélagiens, le grand docteur donne une solution très différente au problème de l’accord de la grâce avec la liberté.

La grâce, écrit-il contre les pélagiens, nous fait vouloir, en nous gagnant, en nous ravissant, en nous délectant ; la volonté n’est pas forcée, violentée par la grâce ; elle agit parce qu’elle veut ; la grâce ne blesse pas la liberté, elle la perfectionne ; en détachant la volonté des créatures et en lui faisant vaincre la concupiscence, elle la replace dans l’ordre où Dieu l’avait créée et l’entraîne vers Dieu aimé comme fin dernière. Nous ne sommes point emportés comme une pierre par un torrent ; nous sommes entre les mains de Dieu comme des instruments de sa grâce, mais des instruments animés qui connaissent et veulent ce qu’ils font, coopérant avec le principe qui les meut et se mouvant avec lui. La grâce ne fait point que ceux qui ne veulent pas veuillent, car alors elle violenterait la volonté, mais elle change les affections et fait vouloir, alors qu’auparavant on ne voulait pas. Pour être secourue, notre volonté ne perd pas sa liberté ; au contraire, elle voit sa liberté accrue. Dans les opérations de la grâce, nous ne sommes pas immobiles et inertes, comme des souches, ou mus de l’extérieur, semblables à une cire qui ne fait que recevoir des impressions qu’on lui impose ; nous nous mouvons, nous agissons, nous suivons avec connaissance, avec élection, avec plaisir. Avec la grâce on fait le bien, parce qu’on veut le faire : jusliftcat volenles Volendo cum gratia aliquid facit.

Aux pélagiens qui l’accusaient de tout accorder à la grâce qui agit en nous sans nous, saint Augustin répond de diverses manières. Dieu, par sa grâce, opère en nous le vouloir et le faire, parce que c’est par son secours seul que nous pouvons vouloir et faire, mais personne n’est contraint par la grâce à faire le bien. Dieu ne donne pas la bonne volonté et le goût de la vertu à l’homme, malgré lui, mais la grâce change la volonté qu’elle tourne et qui se tourne vers Dieu, car la volonté n’est point inerte ; elle agit, elle opère et elle coopère à la grâce qui la meut : si non esses operator, ille (Deus) non esset cooperator. Nous demandons à Dieu de venir à notre aide, c’est donc que, nous aussi, nous agissons : Adjutor meus esto, ergo agis aliquid. La grâce rend la volonté très libre, parce qu’elle la libère de l’esclavage du péché et elle fait vouloir le bien très ardemment et très librement, c. v et vi.

Une seconde preuve en faveur de l’explication proposée par saint Augustin est tirée des plaintes des pélagiens contre lui. La grâce ne fait pas tout : la liberté agit avec elle ; la liberté ne fait pas tout : la grâce agit avec elle. Il faut que la volonté veuille, mais c’est la grâce qui la fait vouloir et la volonté n’est point forcée. Si enimeogitur, non uull.Quid absurdius quant ut dicatur nolens velle ? L’homme, sous l’influence de la grâce, ne peut vouloir le mal ; sans doute, mais il ne s’ensuit pas qu’elle est forcée, autrement il faudrait dire que Dieu n’est pas libre, puisqu’il ne peut vouloir le mal. D’ailleurs, chez l’homme justifié sous l’empire de la grâce, la concupiscence subsiste toujours avec le pouvoir de pécher, c. vu

Une troisième preuve est empruntée au livre De la grâce et du libre arbitre, composé par saint Augustin à la fin de sa vie pour traiter ex professo cette question. Il n’y parle jamais d’indifférence. Jansénius cite et commente quatre textes où ce docteur souligne le rôle de la volonté humaine dont l’opération ne doit pas être séparée de celle de la grâce. Les deux opérations se mêlent dans l’acte concret. Aussi saint Augustin

attribue-t-il tout le bien à la grâce qui fait vouloir et agir la volonté libre et tout le mal à la volonté libre agissant sans le secours de la grâce, c. viii.

Une quatrième preuve, empruntée à l’Opus imperfectum, 1. 1 1, est tirée de la concupiscence qui nous fait vouloir le mal, sans nous forcer ; elle fait voir, contre Julien, comment la liberté se concilie avec la concupiscence dominante. Pas plus que la grâce, la concupiscence ne détruit le libre arbitre, quoi qu’en disent les pélagiens, parce que nous faisons avec plaisir et librement ce qu’elle nous propose, comme ce que la grâce nous inspire ; dans les deux cas, nous sommes maîtres de nos actions. Il faut donc dire qu’on peut être libre, sans avoir le pouvoir défaire l’un ou l’autre des deux actes contraires. Le propre de la volonté est de nous faire vouloir librement ; par suite, quand même nous serions emportés par un torrent de volupté, nous voulons librement, si nous voulons. La volonté malade et viciée se porte au mal librement ; c’est pour cela qu’elle doit être guérie. Cette volonté, sans la grâce, ne peut s’abstenir de pécher, comme elle le pouvait avant la chute d’Adam, mais les actes qu’elle fait ne cessent pas d’être des péchés, parce que c’est volontairement qu’elle se délecte dans son péché. C’est par sa propre volonté, donc librement, qu’avec la grâce, l’homme veut et fait le bien ; c’est par sa propre volonté, donc librement, que, sans la grâce, l’homme veut et fait le mal. Dans les deux cas, la nécessité ne supprime point la liberté qui reste entière, tant que la volonté demeure, c. IX.

Enfin une cinquième preuve est tirée des autres Pères de l’Église, spécialement de saint Prosper auquel Jansénius attribue le livre De vocatione gentium, et qui écrit : gratia non abolet sed adolet, c. x, de saint Cyrille d’Alexandrie, de saint Fulgence et de Pierre diacre, c. xi, de saint Grégoire le Grand, de saint Bède, de saint Anselme, c. xii, de saint Bernard et de ses deux amis Hugues et Richard de Saint-Victor, c. xiii, de Pierre Lombard, d’Alexandre de Halès, de Guillaume de Paris, c. xiv, de saint Thomas, de saint Bonaventure et de Duns Scot, c. xv, de Henri de Gand de Richard de Midletown, de Marsile, c. xvi, des papes Zozime et Célestin, et enfin du concile de Trente, qui tous, proclament que la grâce efficace ne détruit pas la liberté, c. xvii.

On arrive encore à cette conclusion que l’indifférence de contrariété et de contradiction n’est pas nécessaire à la volonté pour qu’elle soit libre. La liberté subsiste entière, tant qu’il n’y a ni contrainte, ni violence, ni nécessité antécédente, parce que la volonté est maîtresse de ses actions ; elle agit, parce qu’elle veut et elle ne fait rien malgré elle. La grâce ravit l’âme, la charme et, loin de forcer la volonté, elle lui fait vou’oir le bien en la délivrant du péché ; la grâce ne nous entraîne pas malgré nous : non agimur et aliquid agimus, adjuvamur enim et r.emo adjuvari potest, si ab ipso nihil agatur. Dieu coopère, donc nous opérons. Avec la grâce qui lui est accordée, la volonté veut, fait, agit avec joie ; elle est, pour ainsi dire, enivrée de plaisir ; s’il y a une nécessité, c’est une nécessité concomitante ou plutôt subséquente, simple, volontaire, qui ne répugne point à la liberté selon Scot, saint Thomas et saint Bonaventure, c. xviii.

Pourquoi saint Augustin explique-t-il de cette manière, sans faire appel a l’indifférence, l’accord de la liberté et de la grâce ? Il faut, d’après lui, bannir le fantôme de l’indifférence, parce qu’il détruit la grâce de Jésus-Christ et met la volonté dans l’état où elle était avant le péché. Il faut un secours médicinal pour guérir la volonté malade et la relever de son impuissance ; cette grâce qui prévient la volonté, ne la détruit point, car elle laisse l’acte en notre pouvoir. Que la grâce nous fasse agir nécessairement ou non,