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425 JANSÉNISME, L’AUGUSTINUS, T. III. GRACE ET LIBERTÉ

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ou dans un autre, mais de la libre option de la volonté qui consent ou ne consent pas, quelle que soit la grâce qui attire. C’est le congruisme.

Les premiers font de grands efforts pour ne pas détruire la liberté ; les seconds, pour ne pas détruire la vraie grâce chrétienne. Les thomistes accusent les congruistes de pélagianisme ; les congruistes accusent les thomistes de calvinisme.

Ces deux doctrines se distinguent, en partie, et sont d’accord, en partie, avec celle de saint Augustin. Avec les premiers, saint Augustin affirme que la grâce détermine efficacement le consentement de la volonté : avec les seconds, il affirme que c’est un acte vital et céleste, une délectation ineffable de suavité, mais cette grâce n’attend pas le consentement de la volonté ; elle le donne. En somme, les thomistes ont mieux saisi la pensée de saint Augustin et se rapprochent davantage de lui, ils ont retenu ce qu’il y a de formel, à savoir la façon d’agir essentielle à la grâce. Les molinistes n’ont retenu que le matériel, c’est-à-dire, ce qui sert de sujet à l’opération de la grâce. Ils ont confondu l’état d’Adam innocent avec l’état actuel, le secours sine quo non avec le secours quo ; ils ont oublié l’infirmité dans laquelle est tombée la nature après le péché et ils s’imaginent guérir la nature avec la même grâce qui suffisait à la nature saine, c. i.

Cependant le secours médicinal dont parle saint Augustin diffère essentiellement de la prémotion physique des thomistes. La grâce de Dieu doit déterminer la volonté au bien ; mais à cette vérité fondamentale proclamée par saint Augustin, les thomistes ont ajouté des erreurs : a) la prémotion physique est quelque chose d’extérieur, d’étranger, d’accidentel, reçu passivement dans la volonté ; c’est un être imparfait, incomplet, comme la couleur dans l’air, l’impulsion dans une chose qui est poussée ; en réalité, c’est une spéculation métaphysique à laquelle saint Augustin ne songe point. Pour lui, c’est un vrai mouvement de l’âme, une ineffable délectation qu’elle reçoit et dans laquelle elle s’abîme, une suavité qui l’emporte et lui rend agréable ce qui lui déplaisait auparavant.

b) La prédétermination physique n’est pas un acte vital de l’âme, mais quelque chose d’extrinsèque auquel la volonté se soumet passivement, tandis que pour saint Augustin, la grâce du Sauveur est un acte vital qui affecte l’âme et l’incline vers Dieu ; c’est une délectation victorieuse qui s’empare de l’âme et l’envahit, qui détermine la volonté et la fait vouloir.

c) La prémotion physique est telle qu’en toutes circonstances, elle surmonte toutes les résistances et détermine toujours la volonté à l’action ; elle est efficace absolument ; elle est toujours victorieuse. Au contraire, la grâce de saint Augustin n’est pas toujours victorieuse ; elle n’est efficace que relativement : elle est victorieuse, lorsqu’elle surmonte la délectation de la concupiscence ; mais, si cette dernière est plus forte, la volonté s’arrête à des désirs inefficaces ; elle ne veut pas pleinement et parfaitement ce qu’il faudrait vouloir. Ce sont les petites grâces.

Remarquons ici en passant que beaucoup de jansénistes se sont appuyés sur ce passage de VAugustinus pour dire qu’on peut résister à la grâce efficace. La grâce efficace a toujours son effet, mais elle n’est efficace réellement que lorsque la délectation est plus forte ; autrement, son efficacité consiste à produire des velléités et des désirs inefficaces ; c’est une petite charité qui ne triomphe pas ; c’est la grâce de saint Pierre, quand il renia son Maître. Au contraire, on ne peut résister à la prémotion physique des thomistes, parce que celle ci est efficace absolument.

d) La prémotion physique des thomistes est comme un concours général de Dieu ; elle est exigée par une théorie philosophique qui envisage la subordination

naturelle des choses créées par rapport a la cause première. Au contraire, la grâce du Sauveur, pour saint Augustin, n’est nécessaire qu’à cause de l’infirmité contractée après le péché originel, c) La prémotion est nécessaire en tout temps, en tout lieu, en tout état, parce qu’elle est nécessaire à la créature, cause seconde, qui toujours, dépend de la cause première dans son être et dans son action. Au contraire, la grâce du rédempteur n’est nécessaire qu’à la nature humaine blessée et corrompue, pour la guérir et lui donner des forces.

Eref, pour saint Augustin, la grâce du Sauveur n’est point nécessaire à la nature humaine à cause de la dépendance de cette nature à l’égard de Dieu, ni à cause de son indifférence, ni à cause même de la surnaturalité des actes, mais seulement à cause de l’impuissance et de l’infirmité de cette nature dont les forces ont été brisées par le péché et dont la volonté est esclave de la concupiscence. C’est pourquoi les thomistes se rattachent à l’école philosophique d’Aristote plus qu’à saint Augustin, magis arislotelici sunt quam augusliniani, c. n.

Cependant Jansénius, après s’être nettement séparé du thomisme, se réconcilie avec lui et déclare que saint Augustin est, en partie, d’accord avec les thomistes. La grâce du Sauveur, comme la prédétermination physique, produit toujours son effet ; elle fait efficacement ce que la volonté veut ; elle n’attend pas que la volonLé coopère ; elle fait que la volonté coopère, en l’appliquant à vouloir et à faire tout ce que, par elle, Dieu a décrété de vouloir et de faire ; elle fortifie la volonté par une ineffable suavité et elle la fait vouloir et agir librement. Elle produit ces effets, en inclinant, en appliquant, en déterminant la volonté qu’elle prévient d’une manière physique et réelle. Elle délecte la volonté et l’attire, et, comme il est nécessaire que nous agissions suivant ce qui nous délecte le plus, nous voulons et agissons toujours d’après cette délectation victorieuse de la grâce. Notre action vient de cette délectation de la grâce. La prédétermination des thomistes est physique, réelle, efficace ; elle est aussi, en un sens, morale, parce qu’elle se. produit en tant que la volonté est charmée, délectée par l’objet qu’elle désire. Ainsi l’opinion des thomistes, au sujet de la puissance de la grâce, est d’accord avec celle de saint Augustin : la grâce attire si puissamment la volonté que celle-ci ne résiste jamais, puisque la grâce lui est donnée pour vaincre la dureté du cœur et ropousser, par par sa douce et forte suavité, les faux plaisirs de la concupiscence, c. m.

Aussi tout ce que les scolastiqucs ont dit pour concilier la prédétermination physique de la grâce avec la liberté peut s’appliquer à la théorie même de saint Augustin. Jansénius rappelle la célèbre distinction du sens divisé et du sens composé. Quand, avec la grâce, on fait un acte bon, il y a, dans l’âme, un pouvoir de faire le mal, mais un pouvoir séparé, privé de son acte, simultas potentiæ, non potentia simultaiis ut simul agal et non agal. Quand la volonté a tout ce qu’il faut pour agir, elle peut ne pas agir, mais en fait, l’action est nécessaire. Le pouvoir de ne vouloir pas ne répugne pas à la volonté, quand elle a ce qu’il faut pour agir, niais il répugnerait qu’actuellement elle ne veuille nas. La volonté mue par la grâce divine ne peut pas résister à Dieu, ne peut pas refuser de faire ce que Dieu veut par cette grâce, ne peut être détournée et vaincue actuellement par la concupiscence contraire. Mais, nu sens divisé, elle peut résister, être détournée et vaincue. Quand la grâce est donnée, une résistance actuelle est impossible, bien que la volonté conserve le pouvoir de résister, pouvoir qui pourra se traduire en acte, quand la grâce aura disparu. En résumé, les deux actes contraires ne sauraient coexister au sens com-