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421 JANSÉNISME, L’AUGUSTINUS, T. III. LE LIBRE ARBITRE

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vrance sont négatifs ou positifs : a) elle nous empêche de consentir à la concupiscence dont elle nous a délivrés ; elle nous détache des créatures ; b) elle nous attache si étroitement à la justice et à la vérité que rien n’est capable de nous en éloigner ; elle enflamme nos affections pour le bien et produit l’amour de Dieu et de la justice ; c’est la servitude très libre et très délectable du bien qui fuit le mal, parce qu’on aime le bien. Avant que la grâce libératrice ne vînt briser les liens de la concupiscence, la volonté n’avait aucun pouvoir pour le bien ; mais la grâce lui redonne la vraie liberté qui lui permet de vouloir et de faire le bien ; avant d’être délivrée par la grâce, la volonté n’avait qu’une liberté servile, comme celle des juifs sous la loi qui tue ; elle n’avait point la vraie liberté suivant l’esprit qui vivifie, car elle était esclave du péché. La grâce produit un troisième effet, inséparable de l’amour : le plaisir qui adoucit le joug des commandements et le rend agréable et léger, c. vu.

La crainte ne saurait produire de semblables effets, car personne n’est plus esclave que celui qui craint. La crainte ne fait pas vraiment le bien, car, avec elle, le cœur est et reste attaché au mal. Servir Dieu par crainte, c’est le servir en esclave.

Les effets de la grâce permettent d’en déterminer la nature. La délivrance, opérée par la grâce, engendre la santé de l’âme, la force, la vigueur de la volonté pour le l’ien ; elle détruit les maladies et les infirmités de l’âme et produit l’amour de Dieu, la charité, qui exclut tout amour vicieux. La santé parfaite, la charité sans mélange bannit tout amour de la créature et fait disparaître toute convoitise. La volonté est forte, parce qu’elle est pleinement libre, par le fait de la grâce qui l’a délivrée. Ainsi la grâce guérit la volonté et lui fait librement aimer la justice. La santé de l’âme croît et décroît avec la charité. Il y a, ordinairement, lutte en nous entre la santé et la maladie, entre la grâce et le péché, entre le créateur et la créature ; aussi il faut combattre longtemps avant de parvenir à la santé parfaite, c’est-à-dire, à la pleine charité et à la pleine liberté. Plus nous sommes délivrés du péchés plus nous sommes libres, plus notre volonté a de puissance pour le bien. Bref, notre volonté est d’autant plus libre qu’elle est plus saine et d’autant plus saine qu’elle a plus de charité, car le poids de la concupiscence et celui de la charité, c’est-à-dire, de la liberté, sont en raison inverse, c. viii.

Ces principes expliquent plusieurs propositions de saint Augustin, a) Le libre arbitre ne peut coexister avec la concupiscence, car, avec celle-ci, la volonté est esclave du péché, assujettie à la loi du péché, b) Le libre arbitre d’Adam était parfait, parce qu’il était exempt de toute concupiscence, c) Le libre arbitre n’augmente et ne se perfectionne que par la grâce, d) Le libre arbitre, au ciel, est beaucoup plus parfait qu’ici bas, non point parce qu’il peut choisir entre plusieurs biens, comme le croient les modernes, mais parce qu’il est délivré de l’esclavage du péché, plus rempli de grâces, plus affermi dans la justice. Il n’y a donc pas d’autre liberté vraie que celle qui nous arrache au péché ; par suite, il n’y a pas de liberté plus grande que celle des bienheureux qui sont souverainement libres, parce qu’il sont délivrés de tout péché, c. ix.

4. Liberté et indifférence (c. x-xvi). — La liberté peut se présenter dans des états différents : a) En Dieu, la liberté ne saurait changer ; elle est infailliblement et immuablement tournée vers le bien, tandis que, dans les créatures, cette liberté est changeante, b) Adam et les anges ont été créés dans l’indifférence : ils étaient maîtres de la grâce qui restait soumise à leur volonté. Tel est le premier état de la grâce créée, c) Cet équilibre qui rendait la volonté indifférente a été perdue par le péché d’Adam ; désor mais la volonté est déterminée au bien ou au mal. Dès lors les hommes voyageurs n’ont pas une liberté fixée et immuable : ou bien, ils sont sous l’influence de la grâce et alors ils sont déterminés au bien, ou au contraire ils sont sous l’influence de la concupiscence, et alors ils sont déterminés au mal. Durant le temps de l’épreuve, ils peuvent passer de l’un à l’autre état, mais dans tous les cas, ils sont libres, car ils sont toujours maîtres de leurs actions qu’ils font, quand ils veulent.

De ces faits, il faut conclure que l’indifférence du premier état de la création n’était point une perfection de la liberté, c’était plutôt une marque certaine d’imperfection, car elle ne donnait que la possibilité de déchoir et de perdre cette heureuse liberté qui nous unit à Dieu. Ce pouvoir qu’avait la liberté de se détourner de Dieu n’était point essentiel à la liberté ; l’indifférence ou « versatilité » venait de ce que la créature était tirée du néant et n’avait pas la claire vue du bien qui l’aurait fixée dans la justice. Dieu aurait pu créer les hommes dans un état tel que le péché n’aurait pu leur plaire, dans un état tel que, seul, le bien les aurait attirés, comme maintenant, les anges et les bienheureux et cela sans supprimer l’état de voyageur ; c’est d’ailleurs ce qui est arrivé pour Jésus-Christ et pour la sainte Vierge.

Bref, l’indifférence du premier état ne constitue pas l’essence et la perfection de la liberté ; mais elle entrait dans l’ordre naturel des choses qui va graduellement de l’imparfait au parfait, c. x.

Cependant les pélagiens, et, en particulier, Julien, prétendent que la liberté exige le pouvoir égal de choisir entre le bien et le mal. Contre eux, saint Augustin soutient que la liberté peut consister à pouvoir faire soit l’un ou l’autre des contraires, soit le bien, soit le mal, sans pouvoir faire le contraire. La doctrine, des pélagiens est une impiété qui supprime la liberté en Dieu, puisque Dieu ne saurait être indifférent entre le bien et le mal et qu’il ne peut faire que le bien. De même que le méchant est parfaitement libre dans le mal, parce qu’il le fait, quand il le veut, bien qu’il ne soit pas libre pour le bien, étant esclave du péché ; ainsi l’homme de bien est libre, dans la pratique des vertus, quoiqu’il n’ait pas de liberté pour le mal. La volonté du pécheur est libre dans le mal, parce qu’elle se délecte dans le mal, parce qu’elle le veut. Les démons et les damnés ne peuvent faire que le mal et néanmoins ils sont libres en le faisant. Ce n’est pas la nécessité qui rend le diable mauvais, mais sa volonté affermie dans le mal. Le pouvoir de faire le mal est une impuissance et une faiblesse de notre nature, blessée par le péché.

De même, les pélagiens sont dans l’erreur quand ils prétendent que les bienheureux sont libres, parce qu’ils peuvent choisir entre tel et tel bien et que les démons le sont également, parce qu’ils peuvent choisir entre tel et tel mal. Sur ce dernier point, il est vrai, quelques modernes se séparent des pélagiens et soutiennent que les damnés ne sont plus libres.

Quoi qu’il en soit, l’indifférence n’est pas essentielle à la liberté, car actuellement il n’y a pas de milieu entre la nécessité de pécher qui vient de la concupiscence et la nécessité de faire le bien qui vient de la grâce : liberlas a juslitia est libertas ad malum ; libertas a peccato est libertas ad bonum, c. xi.

On voit, dès lors, en quel sens on doit dire que les pécheurs sont ou ne sont pas libres. Saint Augustin dit parfois que le libre arbitre n’existe que dans l’amour de Dieu, que la vraie liberté est soumise à Dieu, que celui qui fait le péché est esclave du péché. Cependant on ne doit pas refuser la liberté au pécheur. En effet, celui-ci est maître de son action, comme les gens vertueux ; il a ce qu’il fait en sa puissance, donc il est libre.