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JANSÉNISME, L’AUGUSTINUS. T. III. LE LIBRE ARBITRE


l’un ou à l’autre. La plupart des textes qu’on cite, répond Jansénius, ne s’appliquent qu’aux hommes voyageurs ; ils n’expriment pas nécessairement ce qui est de l’essence même de la liberté. Il faut distinguer avec soin l’acte libre et la liberté elle-même dont les conditions peuvent être très différentes ; en d’autres termes, il faut distinguer ce qui est essentiel et ce qui est accidentel dans la liberté ; or l’indifférence n’est qu’accidentelle. Les bienheureux, par exemple, sont dans la nécessité de se porter vers Dieu, parce qu’ils aiment nécessairement et immuablement et cependant ils sont libres, car leur amour de Dieu ne vient pas d’une impression extérieure, d’un mouvement indélibéré, mais du choix très libre de leur volonté qui veut constamment suivre la droite raison, laquelle fait juger d’une manière sûre et parfaite que Dieu est infiniment aimable ; cette nécessité, loin de diminuer, agrandit, au contraire, leur liberté. Les hommes voyageurs, eux, vont tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, parce que leur volonté est inconstante ; mais leur indifférence à agir ou à ne pas agir, à choisir entre le bien et le mal, n’est point essentielle à la liberté ; elle est une marque de cette liberté, mais elle n’en constitue pas l’essence, puisque Dieu est souverainement libre et que cependant il ne possède pas cette indifférence entre le bien et le mal ; de même, les anges et les bienheureux, de même, Jésus-Christ. Dieu, par l’immutabilité de sa nature et de ses décrets, les bienheureux et les anges, par la constance de la grâce, sont déterminés au bien ; les démons, par l’obstination de leur malice, sont déterminés au mal ; Adam innocent, en sa création, était dans une parfaite indifférence entre le bien et le mal ; les hommes actuels n’ont plus cette indifférence, car ils sont captifs sous la loi du péché ; ils sont déterminés au mal par la concupiscence victorieuse, quand la grâce ne leur est pas accordée par Dieu et déterminés au bien par la grâce victorieuse, quand Dieu la leur accorde. Tous sont libres cependant. Par suite, la liberté, d’après la nature de chacun, d’après l’ordre établi par Dieu ou d’après la diversité des mérites, présente des états différents, permet de faire des actes différents, mais elle existe toujours, plus ou moins parfaite. Chez tous, elle consiste à vouloir soit le bien soit le mal, soit l’un ou l’autre ; elle peut croître ou diminuer ; elle peut être ou devenir capable de faire des actes très différents. Il y a quelques différences entre tous ces êtres qui sont libres : Dieu, Jésus-Christ, les anges, les bienheureux, Adam innocent, la postérité d’Adam, mais la différence n’existe que pour l’étendue plus ou moins limitée des actions et des vouloirs mais non dans la nature de la liberté elle-même qui, chez tous, est uniforme. L’indifférence de contrariété qui peut choisir entre le bien et le mal, l’indifférence de contradiction qui peut choisir entre agir ou ne pas agir ne sont pas essentielles à la liberté, prise en elle-même et généralement : elles sont seulement des preuves de la liberté dans les états et les sujets elle/, qui on

les rencontre : toute personne qui a l’une ou l’autre de ces Indifférences est libre, mais tout agent libre n’a pas l’une ou l’autre de ces indifférences. Pour être libre, il suffit de ne pas agir par contrainte, par une nécessité involontaire, c. xxxiv.

L’acte de la volonté raisonnable et délibérée est en notre pouvoir, quoiqu’il soit nécessaire. Quand on parle d’actes bines, ordinairement, on ne pense qu’aux actes commandés, suivant les expressions de l’École imperali et non aux actes élicites rluiti, qui sont de

purs actes de volonté, des actes immédiats de la volonté. Les actes inipercs par la volonté sont dits libres,

quand il y a indifférence de contradiction au moins

(cai les scolasliques ne l’ont pas grand cas de l’indille renec de contrariété) ; en d’autres termes, il faut que

l’acte commence ou cesse suivant les ordres de la volonté : quod fit cum volumus, non fit cum nolumus ; mais cette condition n’est pas requise pour les actes élicites ou immédiats de la volonté, car, ces actes, tout en étant libres, peuvent parfois être nécessaires de cette nécessité volontaire qui n’impose aucune contrainte. Ainsi un honnête homme a, par tempérament, une aversion naturelle pour l’ivrognerie, et, de plus, sa raison lui inspire une horreur extraordinaire pour ce vice dégradant, peut-il s’enivrer ? Oui, sans doute, pourvu qu’il le veuille, mais peut-il le vouloir ? Oui encore, si l’aversion et l’horreur qu’il a pour l’ivrognerie viennent à disparaître et si la passion vient remplacer la raison éclairée qui lui montre le mal de l’ivrognerie ; mais tant qu’il demeure dans son premier état, il ne peut vouloir s’enivrer. Il y a, dans ce vouloir, quelque sorte de nécessité, mais une nécessité improprement dite, une nécessité volontaire qui ne détruit pas la liberté de l’acte. Tel est l’état des bienheureux dans l’autre vie ; ils peuvent cesser d’aimer Dieu, si la connaissance parfaite qu’ils ont de Dieu en qui ils ne voient que du bien, vient à disparaître. Toute la différence vient de ce qu’il y a, dans leur état, une sécurité qui ne se trouve jamais dans l’homme voyageur. Mais la nécessité est la même. Tel est l’état de ceux qui ont la grâce de Jésus-Christ : celui qui a la grâce pour éviter une fornication, tant que cette grâce actuelle subsiste, est joyeux d’éviter cette faute ; sa raison éclairée par le Saint-Esprit ne lui fait voir que du mal dans la fornication ; il peut bien commettre la fornication, s’il le veut, mais la grâce lui fait vouloir le contraire et cette heureuse nécessité n’empêche pas que la volonté reste maîtresse de ses actes et s’abstienne du mal, parce qu’elle le veut et elle tomberait dans la fornication, si elle le voulait. Le posse dissentiri, si velit du concile de Trente est favorable à cette interprétation qui est également en parfait accord avec les explications de saint Bonaventure.

La volonté délibérée est essentiellement libre en elle-même : velle aut nolle est essenlialiler liberum. La liberté subsiste donc, même quand on agit d’une manière constante, car elle est toujours dans son propre exercice qui est de vouloir et de ne vouloir pas. Notre vouloir est toujours en notre puissance, parce que, malgré la volonté immuable et fixée dans un sens, le vouloir n’est ni arrêté, ni violenté ; plus nos actes sont fermes, plus ils sont libres, car cette fermeté, cette fixité sont l’exercice, le témoignage même de la liberté. L’inconstance n’est qu’une marque de notre faiblesse, car elle procède ou de l’ignorance des raisons et des circonstances dans lesquelles on fait un acte, ou de la légèreté et du défaut de persévérance dans ce qu’on a entrepris. Dans le premier cas, nous changeons pour une juste raison, parce qu’on s’est aperçu qu’on se trompait ; dans le second, nous ch : ngeons sans raison et par pur caprice. En effet, si une lumière qui nous était d’abord inconnue nous apparaît, la volonté qui s’était engagée Imprudemment doit changer ; dans le second cas, la volonté éclairée et prudente devrai) persévérer. I.e changement tient donc à deux défauts de notre nature. Si nous connaissions toutes les raisons de nos actes et si nous étions constants en nos résolutions, nous ne changerions point et nous persévérerions toujours dans le choix que nous aurions fait librement et prudemment. Ce vouloir immuable et lixc serait toujours eu notre pouvoir et nous serions parfaitement libres. Qu’on enlève ces deux défauts (.c’est le cas des bienheureux), et alors la volonté ne peut tomber ni dans l’ignorance, ni dans le caprice, ni. pai’suite, dans l’inadvertance ; dés lors, la volonté demeure Immuable en ses actes et reste toujours libre

de cette liberté parfaite par laquelle tout d’abord on a voulu et aimé ce cpie, raisonnablement, prudem-