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409 JANSÉNISME, L’AUGUSTINUS. T. III. EFFETS DE LA GRACE 410

qui est un don de Dieu ; b) Dieu fait connaître ces peines en un temps où elles peuvent détourner du mal ; c) Dieu s’en sert parfois pour amollir le cœur des endurcis ; ce sont des grâces extérieures, comme celles dont parlent les pelagiens, car elles viennent surtout de la connaissance de la loi et aussi de l’amour de soi et des créatures. Il faut donc attribuer cette crainte à la nature, car elle ne touche que l’esprit auquel elle fait connaître les supplices éternels, sans toucher la volonté qu’elle laisse dans son état naturel. La connaissance de ces tourments dépasse les forces naturelles de l’entendement, mais l’appréhension qui est dans la volonté ne dépasse pas la nature ; pour convertir la volonté, il faut l’amour plus chaste, plus saint, plus pur, plus agréable à Dieu, qui est la charité, c. xvi, xxiv.

La crainte de la peine ne vient donc point de la grâce et la justice qui naît de cette crainte vient seulement de la loi observée matériellement, elle établit notre propre justice et non celle de Dieu. La justice qu’elle nous fait atteindre vient de nos propres forces et non de la grâce de Dieu, bien qu’elle suppose une lumière surnaturelle dans l’esprit. Elle ne justifie point, parce qu’elle ne change point : « le loup reste toujours loup, bien que les aboiements du chien l’empêchent de faire le mal. Dieu seul peut changer le loup en brebis. » Ainsi la crainte qui vient des menaces de la loi fait notre propre justice, mais nous n’aimons pas vraiment la justice. Seule, la charité, vraie grâce de Jésus-Christ, nous fait aimer la justice et nous rend justes, c. xvii, xxv.

C’est que la crainte et l’œuvre inspirée par cette crainte ne procèdent pas de la grâce de Dieu, mais seulement des forces de la nature. Cette crainte qui suppose déjà une foi commencée ne dépasse pas les limites de la providence naturelle ; elle ne produit que la justice de la loi dont parle saint Paul, cette justice qu’on obtient par le seul secours de la loi et qui est opposée à celle que Dieu produit en nous par sa charité, c. xviii, xxvi.

La seule crainte de la peine ne peut nous faire éviter le mal, car elle ne peut changer la volonté du pécheur pour lui faire détester le péché. Celui qui fuit le péché par la seule crainte du châtiment que ce péché lui attirerait, ne commet pas un péché d’après la plupart des scolastiques, parce que l’attrition née de la crainte de la peine est une disposition suffisante pour donner la justification, si elle est jointe au sacrement de pénitence. Mais saint Augustin, en de nombreux passages, soutient une théorie très différente : la seule crainte ne change pas la volonté, au point de lui faire détester et éviter le péché, car la volonté de mal faire subsiste toujours ; seule, la main est arrêtée ; la crainte force à éviter le péché extérieurement, alors que la volonté désire que ce qui n’est pas permis soit permis, si cela est possible ; il y a toujours affection au péché que l’on commettrait, si le châtiment n’épouvantait pas ; on n’a pas banni la volonté de pécher ; on reste coupable dans la volonté, et, par suite, on ne saurait être vraiment justifié devant celui qui voit le fond des cœurs ; en effet, on ne hait pas le péché ; mais on redoute la punition du péché et si on espérait l’impunité, la volonté montrerait ce qu’elle aime en réalité. Aussi Dieu a en horreur cette perfidie qui se cache et qui, en dépit des apparences, reste attachée au mal, c. xix, xxvii.

Cela est vrai non seulement de la crainte des peines temporelles, mais aussi de la crainte des peines éternelles. Les textes de saint Augustin s’appliquent à la crainte de l’enfer, aussi bien qu’à celle des peines temporelles : timens invilus et non ex animo facit et proinde reus est. Timuisli pœnam, non dilexisli justitiam. On craint l’enfer, on n’aime pas Dieu, t On ressemble à la femme qui ne commet pas l’adultère

uniquement parce qu’elle craint son mari ; ainsi elle conserve dans son cœur la volonté de commettre l’adultère… » Lupus venit fremens, lupus redit tremens, lupus est tamen et tremens et fremens… Concupiscentim motum amor tollit, sed timor premit. Le désir de mal faire est comprimé et non pas détruit par la crainte. Alors on conserve la justice devant les hommes qustice légale), mais on n’a pas la justice de Dieu, c. xx, xxvra. Les chapitres suivants, xxi-xxin, xxix-xxxi, ne font que revenir, avec une insistance fatigante, sur les mêmes idées.

La justice qui vient de la crainte est une justice de la loi et de la nature, celle que l’apôtre appelle detrimentum et slercora ; car elle n’est qu’une justice extérieure avec un cœur mauvais qui voudrait faire ce que la crainte seule empêche de faire. La volonté reste pécheresse, tant qu’elle n’évite le péché que par la crainte des châtiments, c. xxiv, xxxii.

Ainsi la douleur du péché qui procède de la crainte ne saurait produire le ferme propos de ne plus pécher et donc ne saurait être une disposition suffisante pour obtenir la justification, même avec les sacrements de baptême et de pénitence. La thèse des scolastiques, sur ce point, est absolument contraire à la doctrine de saint Augustin. Pour le saint docteur, non seulement on ne peut faire le bien, mais on ne peut même pas désirer le bien, sans la charité ; par la crainte de la peine ce n’est pas le bien qu’on veut, mais la préservation du châtiment ; par suite, l’attrition ne saurait engendrer ni la volonté de se corriger ni le moindre bon propos, parce qu’elle n’exclut pas totalement la volonté de pécher. Dès lors, on a tort de prétendre que l’attrition, ou crainte des peines peut être une disposition suffisante à la justification devant Dieu. Elle ne prépare pas plus à cette justification que l’amour par lequel on aime l’intégrité de son corps ; elle détourne non du péché, mais des douleurs qui naissent du péché et elle ne tourne pas vers Dieu. La crainte des peines est un motif trop bas pour produire un effet d’ordre si élevé qui ne peut être obtenu que par une aversion vraie et sincère du péché. Jansénius va jusqu’à déclarer qu’il ne comprend pas qu’on puisse défendre une autre théorie : prorsus non intelligo… captum meum omnino superare fateor, c. xxv, xxxiu.

Le concile de Trente établit précisément cette même doctrine. Il définit que la matière de la pénitence est la contrition, sess. XIV, c. iv. Il parle de la contrition imparfaite ou attrition qui est un don de Dieu ; mais cette attrition est une vraie contrition, quoiqu’elle soit imparfaite et elle comprend une douleur de l’âme et une détestation du péché commis avec un ferme propos de ne plus le commettre ; donc elle comprend le repentir où il y a de l’amour de Dieu, quoique faible ; en même temps cette attrition renferme le ferme propos de ne plus pécher. L’attri tion dont parle le concile n’est donc pas cette attri tion servile qui vient de la seule crainte des peine et qui n’exclut pas la ferme volonté de ne plus pécher. Le pécheur baptisé n’a qu’un seul moyen d’arriver à la justification, c’est la contrition engendrée par la douleur de l’offense faite à Dieu. Le sacrement de pénitence apporte une plus grande facilité pour obtenir la rémission des péchés. Cette contrition est également nécessaire pour le baptême des adultes, car, seule, elle peut faire naître la pieuse douleur de l’esprit dont parle le concile. C’est ainsi qu’Estius et Sylvius ont expliqué les définitions du concile, c. XXVI, xxxiv.

(.(pendant la crainte des châtiments peut avoir d’heureux elfets qui expliquent les expressions du concile de Trente : a) elle arrête la main et empêche de passer aux actes extérieurs ; or les péchés de simple désir sont moins graves que les péchés d’actes ; 6) elle