', n| JANSÉNISME, L’AUGUSTINUS. T. III. LA DÉLECTATION VICTORIEUSE 102
Cette nécessité et cette toute-puissance actuelles de la délectation victorieuse viennent de l’infirmité de notre volonté, (’.'est une erreur de croire que, lorsque une tentation nous assaille, notre volonté peut, a son gré, se porter où elle veut, tant que la raison demeure entière, car elle ne peut modérer les passions et s’en rendre maîtresse. La délectation céleste est absolument nécessaire pour vaincre la délectation terrestre, déposée dans l’âme par le péché originel. La volonté est devenue infirme et. par ses propres forces, elle ne peut s’arracher à la concupiscence, même avec la loi qui ne fait que nous rendre prévaricateurs ; elle n’a plus la vigueur et la santé qu’elle avait reçu^ à la création. Le pèche l’a tellement affaiblie que la moindre tentation l’abat, si Dieu ne vient pas à son secours. Aussi l’Église, dans ses prières, demande à chaque instant cette grâce. Avec elle, la volonté fait tout ce qui lui est commandé, parce que la grâce rend délectable ce qui ne l’était pas ; elle fait .aimer le bien pour l’amour de lui-même ; sans elle, la volonté peut faire le bien à la lettre, mais ne peut le faire comme il faut, parce que, sans la grâce, l’homme n’a que des motifs de crainte, d’intérêt, de vanité, d’orgueil, qui vicient l’acte. Bref, c’est la faiblesse de notre "volonté qui est la raison pour laquelle la délectation céleste est absolument nécessaire, afin de soulever et de fortifier l’âme ; c’est « comme l’huile et la graisse nécessaires pour faire tourner le gond de la volonté, ex deleclatione dilectio, ex dilectione operatio, c vu.
Afin de confirmer cette théorie par une nouvelle preuve, Jansénius soutient que les anges et les bienheureux dans le ciel sont fixés immuablement dans le bien, parce que la vision de Dieu produit en eux une délectation perpétuelle. Les bienheureux n’aiment que Dieu ; Lui seul leur plaît et comme cette délectation est constante, leur amour est constant. Voilà la raison de leur impeccabilité : ils ne peuvent pécher, tant qu’ils aimeront Dieu et ils aimeront toujours Dieu, parce que Dieu les tient toujours dans les délices de son amour. Par contre, les démons pèchent toujours, parce qu’ils sont toujours dans la délectation du péché.
Cela s’explique aisément, a) La délectation de la divine charité est si grande qu’elle absorbe les autres plaisirs comme la mer engloutit les ruisseaux, comme le soleil fait éclipser les étoiles, b) La volonté, recevant cette abondance de saintes voluptés, non seulement s’unit à Dieu par des liens invincibles, mais encore y attache l’entendement qu’elle oblige à ne se détourner jamais d’un objet si ravissant. La volonté consomme le bonheur du ciel, en attachant l’entendement élevé parla lumière de gloire à la contemplation de son objet, de telle sorte qu’il ne peut s’en distraire. Ce n’est donc pas dans la vision béatifique ou simple contemplation de Dieu que consiste la béatitude, c’est dans l’amour, car les bienheureux sont impeccables et il n’y a que la charité qui puisse les rendre tels. La simple connaissance même de la Vérité souveraine ne peut, en soi, refréner les passions inférieures et suspendre le consentement que la volonté pourrait leur donner. Saint Augustin ne parle jamais de la vision aride, de la contemplation abstraite de Dieu, séparée de la charité, semper concupiscendo diligat et diligenilo concupiscal. Seule, la charité triomphe de la délectation terrestre et la pure contemplation de la vérité ne saurait rendre impeccable, e. vin.
La nécessite de cette délectation céleste pour taire le bien ne tient point à la nature même de la volonté, mais elle vient du châtiment qui lui a été in (lige en punition du péché. Certains ont dit que la volonté doit être touchée de quelque plaisir, en voyant un objet aimable ; mais cette opinion est insoutenable, car il y a beaucoup de biens 1res différents ; il n’est pas exact non plus que la volonté, par elle-même, n’agisse que par
le plaisir, car cela n’existait pas au paradis terrestre où Adam a commis son péché, uniquement parce qu’il l’a voulu. Dans l’état d’innocence où la volonté se déterminait elle-même, parce qu’elle était maîtresse de tous ses mouvements, cette délectation n’était pas nécessaire ; mais le péché originel a engendré la concupiscence, la délectation des choses terrestres qui tyrannisent la volonté et l’entraînent au mal ; cette délectation est donc née de la volonté affaiblie. La répugnance pour le bien est un châtiment infligé à la faute du premier homme et la concupiscence a engendré les difficultés du bien, la nécessité du mal qui ne peuvent désormais être surmontées que par la grâce victorieuse. Ainsi la délectation céleste est un remède pour la volonté malade et non point un secours pour la volonté saine et forte, c. ix.
Cette théorie de la délectation victorieuse est parfaitement d’accord avec la distinction des deux états. En effet, a) l’état d’Adam était bien différent du nôtre ; sa volonté, avant le péché, était pleinement indifférente ; elle pouvait vouloir le bien ou le mal sans aucun plaisir ; aucune délectation n’était nécessaire pour entraîner son consentement. Après le péché, cette indifférence n’est plus ; la volonté est détournée du bien, et, d’elle-même, elle court au mal ; elle n’a plus le pouvoir défaire le bien, parce qu’elle est esclave du péché, b) Dans le ciel, la délectation céleste fixe la volonté dans le bien ; par suite, la perte de l’indifférence n’entraîne pas la perte de la liberté ; donc l’indifférence n’est pas essentielle à la liberté, c) La délectation céleste fait vouloir et faire le bien, car la volonté suit toujours la délectation victorieuse, d) La première grâce est la foi, car la délectation céleste se rapporte au bien immuable qui est Dieu ; par suite, les infidèles ne peuvent faire de bonnes actions, car n’ayant pas la foi, ils ne peuvent avoir la délectation céleste qui suppose la connaissance de Dieu par la foi. e) Enfin toutes les grâces du Sauveur sont des grâces efficaces, puisqu’elles ne sont que des délectations victorieuses des autres plaisirs ; elles nous font vouloir et agir, puisque l’homme actuellement agit toujours d’après ce qui lui plaît le plus, c. x.
En quoi consiste cette délectation céleste qui constitue la grâce ? C’est un acte vital, un acte d’amour et de désir précédant le consentement ; c’est un acte indélibéré venant de Dieu pour que le bien proposé plaise à la volonté et provoque son désir ; c’est la première complaisance dans le bien, par laquelle on s’attache à ce bien qui apparaît comme convenable. Ce mouvement vers le bien délectable est déjà suave et agréable ; il ressemble un peu à la joie par laquelle l’âme se repose dans le bien dont elle jouit, mais avec cette différence cependant qu’elle précède le désir, tandis que la joie le suit et en est le terme. C’est comme un désir qui nous pousse à consentir, à vouloir, à agir. C’est une opération vitale de la volonté qui cherche ce qui lui est convenable, un acte par lequel Dieu fait aimer ce qu’il commande. Cet acte comprend essentiellement une complaisance dans le bien proposé et un désir qui porte directement à faire ce qui est proposé, parce que ce qui est propose apparaît comme convenable et agréable, c. xi.
?, . Principales espèces de grâces : grâce prévenante et grâce subséquente (c. xii-xix). —Après avoir analysé les élément s qui constituent la grâce. Jansénius signale les principales espèces de grâces : il goûte fort peu les divisions classiques des scol astiques qui s’appuient sur une fausse définition de la grâce. Pour les modernes, la grâceest un mouvement indélibéré par lequel la volonté comme endormie, est éveillée et passe a l’acte, après avoir été a in si prévenue ; c’est la grâce opérante que Dieu produit en nous sans nous, sans not re coopération. Elle est aussi excitante, puisqu’elle reveille la volonté ; elle