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399 JANSENISME, L’AI CI STIN1 S.

I. LA DÉLECTATION VICTORIEUSE’iito

dire pour toutes sortes de personnes, grands et petits, nobles et roturiers, de toute qualité et de toute condition. Mais de là on ne peut conclure que tous reçoivent une grâce suffisante, parce que la proposition de saint Paul veut dire que Jésus-Christ est mort pour tous suffisamment, pour racheter non seulement tous les hommes, mais encore tous les démons, s’il l’avait voulu. En ce sens, Jésus-Christ est mort pour tous les hommes sans exception, sans qu’on puisse affirmer l’existence de la grâce suffisante. Saint Augustin d’ailleurs donne une autre explication : le mot omnibus signifie multis comme dans saint Matthieu, xx, 28, pro redemplione mullorum, car il n’est pas mort effleurement pour tous, autrement tous seraient sauves, puisqu’on ne peut résister à la volonté divine ; aussi saint Augustin ne dit jamais que Jésus-Christ est mort pour tous les hommes, mais qu’il est mort pour A’Église, pour ceux à qui son sang a profité.

En fait, Jésus-Christ n’a pas eu la volonté formelle de mourir pour tous, par exemple, pour les enfants qui meurent sans baptême et pour les infidèles ; il « ’a pas versé sou sang pour tous les fidèles, qui, tous, ne participent pas au même degré au fruit de sa mort. Les uns ne reçoivent qu’un fruit passager, sans persévérance ; les autres, les élus, persévèrent par la grâce qui leur est miséricordieusement accordée. Notre-Seigneur n’est vraiment mort que pour ces derniers, car celui qu’il a racheté, dit saint Augustin, ne peut périr.

Il n’est pas conforme aux principes de saintvugustin de dire que Jésus-Christ est mort pour le salut des infidèles qui meurent dans leur infidélité, ni pour le salut des fidèles qui ne persévèrent pas ; il n’a pas plus , prié pour le salut de ceux-ci qu’il n’a prié pour le salut du diable. La volonté de Dieu de sauver tous les tho mmes ne se réalise vraiment que pour les élus.

Cependant Jansénius ne dit pas que Jésus-Christ n’est mort que pour les prédestinés, car Dieu donne des grâces à beaucoup de fidèles auxquels il n’accorde pas la grâce de la persévérance, ce don n’existant que pour les seuls prédestinés. Jésus-Christ est donc mort : a) pour les prédestinés ; b) pour les fidèles qui ne persévèrent pas ; c) pour ceux qui n’ont pas encore connu la grâce, mais qui l’obtiendront un jour, qu’ils soient prédestinés ou non ; d) il n’est pas mort pour les infidèles et les pécheurs endurcis.

C’est une erreur semi-pélagienne de prétendre que Jésus-Christ est mort pour tous les hommes, en particulier, sans exception aucune, en sorte que la grâce nécessaire au salut soit présentée à tous sans exception et qu’il dépende seulement de la volonté de chacun d’arriver an salut par cette grâce générale et sans le secours d’aucune grâce efficace, c. xxi.

Bref, cetle proposition : Jcsus-Christ est mort pour le salut de tous les hommes est susceptible d’un sens légitime et d’un sens mauvais. Sens légitime : <i) il est mort pour une cause commune à tous les hommes, pour le péché qui a souille la nature humaine ; b) il a payé un prix suffisant pour tous : il a payé pour la lançon de tous, même pour le salut des dénions ; ces deux sens, les plus larges, sont empruntés à saiul Prosper ; c) il est mort pour toutes sortes de personnes (état, condition, nation, âge, sexe, etc.) non » n> singulis generum, sed pro gencribus singulorum : il l il est mort pour tous les fidèles qui, tous,

reçoivent quelque fruit de la mort du Sauveur, au

moins la délivrance du pèche originel par le baptême. Sens mauvais : Jcsus-Christ est mort pour mériter des grâces suffisantes toujours offertes à tous les hommes et dont tous les hommes peuvent user connue il leur ph.il, en sorte qu’il dépendrait d’eux seuls de croire et de pratiquer toutes les vertus chrétiennes.

4° Salure de la grâce ; essence et division (Livre IV). 1. L i délectation céleste (c. i-v). — La grâce médicinale de Jésus-Christ n’est point ce qu’ont imaginé les scolastiques : ce n’est ni une sainte pensée, ni des mouvements indélibérés d’amour, de crainte, d’espérance, qui exciteraient l’âme à aimer, à craindre Dieu et à espérer en Lui, ni une prémotion physique de la volonté, ni un être incomplet pour lequel Dieu, en tant que cause principale, se servirait de la volonté humaine comme d’un instrument. La grâce, d’après saint Augustin, n’est qu’une suavité céleste, ineffable, qui prévient la volonté et l’amène à vouloir et à faire tout ce que Dieu a établi qu’elle doit vouloir et faire ; c’est une dilection qui passe dans le cœur et dans la volonté, qui opère en nous et se répand en nous avec une douceur spirituelle ; c’est un plaisir victorieux qui porte au bien. Pour prouver sa thèse, saint Augustin s’appuie sur de nombreux textes d’Écriture où la grâce est désignée par les ternies de « suavité, délectation, dilection, douceur, » c. i.

Une seconde preuve de cette thèse est tirée de l’analyse des éléments qu’on trouve dans toute œuvre bonne : c’est du plaisir que dérivent toutes les œuvres de piété et de justice, car la volonté est toujours gagnée par l’amour, trahit sua quemque voluplas. La créature raisonnable ne se porte au bien ou au mal que par le plaisir qu’elle y trouve. On va à Dieu par la foi qui attire par sa douceur ; cette douceur de la foi engendre la prière qui nous fait demander à Dieu les secours nécessaires pour combattre l’amour des ciéatures ; après la foi et la prière, naît l’amour du bien et de Dieu. Cette sainte suavité de la grâce arrache l’âme à la tyrannie du péché, délivre des craintes qui troublent notre repos et nous porte à accomplir la loi de Dieu par amour ; ainsi la grâce, suavement, opère le bien et répand dans nos cœurs la délectation victorieuse. Le bien ne peut être pensé, désiré, exécuté sans cette suavité de la grâce ; il vient de la délectation sainte et spirituelle de la grâce qui fait vouloir et faire ce que Dieu veut qu’on veuille et qu’on fasse. Ce plaisir qui vient de la grâce, de l’amour de Dieu, est nécessaire dans cette vie pour nous soutenir et mettre dans nos âmes l’oubli ou le mépris des créatures, c. n.

Par contre, le mal vient de la délectation terrestre qu’on cherche dans les créatures ; on ne pécherait pas si le mal ne plaisait pas, ne délectait pas ; le mal de quelque nature qu’il soit (pensée, parole, action), vient d’un plaisir illicite, d’une délectation mauvaise c. ni.

La lutte, en nous, des deux délectations, terrestre et céleste, permet d’arriver aux mêmes conclusions. Ces deux délectations sont la source de toutes nos actions : Il y a péché, Imites les fois que, dans ce conflit, la délectation terrestre triomphe, et il y a œuvre bonne, quand la délectation céleste l’emporte. Saint Augustin répète sans cesse : le céleste amour, né de la délectation sainte, est le fruit de la vraie grâce, non amatur nisi quod deleclat, c. iv. Saint Augustin parle de la lutte de ces deux délectations, spécialement dans les écrits qu’il a composés contre les ennemis de la grâce et il y expose ex professo la force suave de la grâce du Christ. Nous voulons une chose dans la mesure où elle nous plaît, c. v.

2. La délectation victorieuse (c. vi-xi). — C’est dans ces écrits qu’on trouve l’expression elle-même de délectation victorieuse, delectatio vtetrix seu uineens, appliquée à la grâce de Jésus Christ, ainsi que le célèbre axiome qu’il faudrait écrire en caractères d’or : Quod amplius nos détectât, secundam id aperemur necesse est. Ainsi la grâce du Sauveur est vraiment cl nécessairement une délectation victorieuse ; lorsque l’âme est privée de cette deleclat ion de la grâce, elle ne peut que rechercher et suivre la délectation des choses terrestres qui devient alors victorieuse, c. vi.