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JANSÉNISME, L’AUGUSTINUS. T. III. LA GRACE SI FFISANTE 398

Contre.--a thèse, Jansénius cite des textes seripturaires. en particulier, le texte d’isaïe : Quid début lacère i<iru- ; c mets et non feci ? Ce texte semble prouver l’existence de grâces suffisantes pour les juifs. Tout le mal. répond Jansénius, vient de la mauvaise volonté de l’homme : Dieu a fait à sa vigne tout ce qu’il u dû fair^, mais il n’est pas tenu d’accorder sa grâce a tous. Dans ce passage d’ailleurs, [sale ne parle que du peuple juif, en faveur île qui il a multiplie les miracles. Du texte de saint Jean : Si non venisscm, …. I>eccatum non haberent, Suarez conclut que les juifs eussent été excusables, si Dieu ne leur avait pas donne des secours dont ils pussent se servir à leur gré. Jansénius explique ce texte tout autrement : les juifs eussent été excusables de n’avoir pas cru Jésus-Christ parlant et faisant des miracles, s’ils avaient ignoré son existence, car cette ignorance d’un fait n’eut pas été coupable. L’ignorance est excusable en elle-même, mais ce qu’on fait par ignorance n’est pas, ipso facto, excuse, car il y a deux ignorances dont l’une est excusable, comme il y a deux impuissances dont l’une excuse. Si Jésus-Christ ne fût point venu, ne se fût pas fait connaître aux juifs, ce n’eût point été une faute de ne le pas connaître, comme ce n’eût pas été une faute pour Adam de violer le commandement de Dieu, s’il n’avait pas eu le pouvoir suffisant pour l’observer ; mais depuis le péché, l’ignorance de droit naturel, comme l’impuissance, est devenue, par le péché, imputable, et, par suite, ce qu’on fait par ignorance ou par impuissance ne cesse pas d’être péché. Il serait absurde de supposer que Dieu est tenu de détruire cette ignorance et cette impuissance, car l’homme n’est plus dans l’état d’innocence, mais dans l’état de péché où il a besoin de la grâce de Jésus-Christ, laquelle lui est refusée par justice et ne lui est accordée que par miséricorde, c. xviii.

Que penser du texte du concile de Trente : Deus non deserit, nisi prius deseratur ? Ces paroles sont de saint Augustin lui-même et elles signifient que Dieu ne prive pas de la grâce sanctifiante, ne retire pas sa justice, si l’homme ne pèche pas mortellement ; il s’agit donc d ? la grâce habituelle et non de la grâce actuelle. Lorsque Dieu justifie une âme, il reste en elle, à moins qu’il n’en soit chassé par le péché ; il est la vie de l’âme, qui meurt, dès qu’il s’éloigne. Ainsi le médecin de nos âmes ne ressemble point au médecin de nos corps. Celui-ci nous abandonne, quand il a guéri le corps ; celui-là ne nous abandonne point : il s’établit dans l’âme dont il est la vie. Le premier nous laisse, parce qu’il n’est pas lui-même la santé du corps ; le second reste en nous, car il est notre santé et notre vigueur, et, par suite, il doit conserver son opération en nous par une présence continuelle ; c’est ce qu’il fait, à moins que le péché ne le chasse.

D’ailleurs, saint Augustin dit formellement que Dieu, par un jugement secret, peut retirer aux justes des grâces actuelles. C’est pour cela que les fidèles demandent à Dieu de ne pas les abandonner à la tentation ; c’est pour cela qu’il faut prier toujours, afin d’obtenir cette grâce actuelle. Dieu peut donc nous abandonner parfois, sans quoi il serait inutile de le prier pour qu’il nous donne sa grâce, c. xix.

5. La volonté salvifique universelle (c. xx-xxi). — Jansénius examine ensuite le fameux texte de saint Pi.ul à Timothée : Deus omîtes homines nuit salvos fieri. Les scolastiques, Lessius, Suarez, LSellarmin s’appuient sur ce passage pour conclure que Dieu veut sauver tous les hommes, autant qu’il est en lui et que si, en fait, tous les hommes ne sont pas sauvés, c’est que certains ne coopèrent pas a la grâce dont l’efficacité dépend de cette coopération. Voilà précisément, répond Jansénius, l’explication donnée par les pélagiens et lessemi-pelagiens ; mais les p< res ai ciens ont pensé

tout autrement. Les l’ères grecs ont écrit parfois d’une manière Imparfaite, parce qu’ils ont écrit avant les hérésies contre la grâce, mais les l’ères latins et. en particulier, saint Augustin, ont parle nettement. Le consentement de la volonté dépend surtout de Dieu et ce consentement n’est pas toujours requis ; ainsi les enfants qui ineurent avant le baptême ne sont pas sauvés et cependant, pour eux, il ne saurait être question de consentement ; c’est donc que Dieu ne veut pas à la lettre sauver tous les hommes. Saint Augustin dit même que Dieu ne veut pas sauver certains enfants, malgré les efforts des hommes qui voudraient les sauver et cela, parce que, par un juste jugement, il les a exclus positivement de son royaume. D’ailleurs dans ce même passage, saint Paul exhorte les fidèles à demander la grâce, c’est donc qu’ils ne l’ont pas déjà.

Quel est donc le sens de ce texte ? Saint Augustin donne trois interprétations : a) Un homme n’est pas sauvé, si Dieu ne veut pas qu’il soit sauvé ; c’est pourquoi il faut le prier pour qu’il veuille nous sauver, car alors ce qu’il veut, arrivera nécessairement. Bref, tous ceux qui sont sauvés, sont sauvés par la volonté formelle, expresse et efficace de Dieu, b) Saint Paul parle de tout le genre humain : juifs et gentils, libres et esclaves, princes et sujets, savants et ignorants, adultes et enfants, hommes et femmes, en sorte que, dans chacun de ces groupes, il y a des élus. Dieu veut que, parmi les hommes sauvés, il y en ait de toutes les conditions et de tous les pays, non point qu’il veuille sauve : - tous les particuliers de chaque condition, mais, dans chaque condition, il prend des particuliers pour les sauver, c) Dieu veut que nous souhaitions le salut de tous et que nous priions dans cette intention. Comme la volonté de Dieu sur le salut de tous est secrète et impénétrable, quand nous parlons aux hommes, nous devons dire que Dieu veut les sauver tous ; il faut prier pour le salut de tous et vouloir le salut de tous.

Jansénius emprunte une quatrième explication à saint Jean Damascène. Celui-ci avait dit : Dieu veut sauver tous les hommes d’une volonté antécédente, d’une volonté de bonté, mais non d’une volonté conséquente, d’une volonté de justice qui punit les pécheurs. Dieu veut le salut de l’homme en ne voyant en lui que la grâce qu’il lui a donnée, mais trouvant l’homme souillé par le péché, il le punit en le privant de sa grâce et en le condamnant par un jugement de justice. Ce qu’il voulait par sa volonté de créateur, pour la créature innocente, il ne le veut plus par sa volonté de juge juste pour sa créature devenue coupable, car il ne peut laisser sans châtiment une créature corrompue, souillée par le péché originel et par les péchés actuels.

Les auteurs anciens ont adopté tantôt un sens, tantôt un autre, mais le mot omnes ne doit pas être pris à la lettre, car la volonté de Dieu étant toute-puissante el i alisant tout ce qu’elle veut, il suit que Dieu veut vraiment et seulement le salut des prédestinés, e. xx.

A cette question se rattache logiquement une autre question : en quel sens Jésus-Christ est-il mort pour tous les hommes, est-il le rédempteur de tous les hommes ? Tel est l’objet du c. xxi, où se trouve la 5e proposition condamnée par Innocent X.

h sus Christ est mort pour tous les hommes : de cette proposition les scolastiques et, en particulier, Lessius, concluent ad nauseam que Dieu accorde à tous la grâce suffisante. C’est encore aux pélagiens et aux semi-pélagiens que cet argument est emprunte

On pourrait dire, avec l’École, que Jésus-Christ a payé par son sang, un prix suffisant pour le rachat des péchés fie tous les hommes, mais qu’il ne les a pas tous rachetés effectivement, par une réelle application de ses mérites. Il s’est donné pour tous, c’est- à-