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i NSÉNISME, l.Al (il STINUS.

III. LA GRACE SI FFISANTE 394

nous devons la demander à Dieu, ce qui serait ridicule, si nous avions déjà cette place. — e) Cette impuissance ne se rencontre pas seulement chez les pécheurs endurcis et aveugles et chez les Infidèles, mais encore chez les fidèles et chez les justes qui ont reçu la foi de Jésus-Christ et ont la charité et qui sont capables de demander comme il faut. Quelques justes sont quelquefois dans l’impuissance d’accomplir un précepte, puisqu’ils doivent demander à Dieu ce pouvoir.

— di Cette impuissance existe chez les fidèles non seulement quand ils ne veulent pas accomplir le précepte, mais même quand ils le veulent.

De ces quatre propositions, on peut conclure que, pour ne pas pécher, pour triompher d’une tentation, pour accomplir un précepte, pour faire le bien, il ne suffit pas de le vouloir, à cause de notre infirmité, à cause de la concupiscence qui nous détourne de vouloir le bien ; les forces de la volonté sont tiraillées de-ci delà et on ne peut vouloir assez fortement, assez entièrement, autant qu’il faut pour faire et pour vouloir. La volonté veut et agit, quand elle a la force, mais cette force dépend de Dieu seul. On doit toujours demander la grâce, précisément parce qu’on n’a pas la grâce suffisante pour accomplir les préceptes.

e) En fait, à plusieurs cette possibilité d’accomplir les commandements n’est pas donnée et elle doit être implorée par des prières. Beaucoup de fidèles n’ont pas recours à cette prière pour demander la grâce ; la plupart, pleins de présomption et d’orgueil, ne demandent pas ce secours et Dieu permet leur chute pour montrer la nécessité de sa grâce. Ainsi saint Pierre voulait mourir pour son maître et il croyait avoir les forces pour cela, alors qu’effectivement il n’avait pas la grâce nécessaire. Ainsi l’homme apprend ce qu’il est capable de faire, si Dieu ne le soutient pas et ne lui inspire pas une charité victorieuse, qui détruit par sa douceur, les charmes des créatures.

En résumé, beaucoup tombent, parce qu’ils ne demandent pas la grâce qui leur donnerait le pouvoir .d’accomplir les préceptes ; ou bien ils ne demandent pas comme il faut pour obtenir, parce que Dieu ne leur accorde pas la grâce de demander ou de demander comme il faut.

Dieu donc n’ordonne pas des choses impossibles en ce sens que tout ce qu’il commande peut être fait par la volonté de l’homme aidée de sa grâce toute-puissante, mais cette grâce n’est pas accordée à tous : potest homo, si velit, esse sine peccuto, adjutus a Deo, c. xiii. Cette question particulièrement importante sera étudiée en détail, au sujet de la l re proposition condamnée par Innocent X en 1653.

Mais si la grâce de la prière est refusée au pécheur, le précepte lui devient impossible, et, par suite, il ne pèche pas, en ne faisant pas ce qu’il devrait faire ou en faisant ce qu’il ne devrait pas faire. Objection grave à laquelle, dit Jansénius, les scolastiques, eux aussi, doivent répondre. Si celui qui est exposé à une tentation ne demande que faiblement le secours dont il a besoin pour la surmonter, il reste incapable de vaincre cette tentation.

La réponse de saint Augustin est très nette : cette privation de la grâce nécessaire est imputable au pécheur lui-même ; c’est une peine du péché. Le pécheur est privé de ce secours à cause de ses péchés passés ou au moins du péché originel. Il a péché et les désordres qui suivent son péché lui sont justement imputables, de sorte que la nécessité de pécher où il se trouve maintenant ne l’excuse point, quoiqu’iljmisse actuellement alléguer son impuissance. Les cœurs endurcis en arrivent à l’impossibilité de se convertir et cependant les actes mauvais qu’ils font leur sont justement imputés, car les derniers péchés ne sont que le châtiment des premiers.

Dreu a pitié de quelques-uns et |fas des autres. Pourquoi ? C’est le secret de Dieu, dit suint Paul. Il f-iit miséricorde à qui il lui plaît et aux autres il appliqua sa justice. Il y a là certainement un mystère ; or, il n’y aurait rien de mystérieux, si Dieu accordait à tous une grâce suffisante, comme le veulent les nouveaux théologiens et le pécheur ne pourrait rien dire, puisqu’il pécherait pour avoir refusé de profiter des grâces suffisantes à lui accordées. Saint Paul, et, après lui, saint Augustin ne parlent que de la volonté de Dieu : Dieu fait ce qu’il veut et qui peut lui résister ? Il accorde sa grâce à qui il veut ; il endurcit qui il lui plaît, en n’accordant pas sa miséricorde et en laissant agir sa justice. La grâce est gratuite ; donc Dieu peut ne pas la donner ; c’est le péché originel ou les fautes actuelles qui ont très justement provoqué cette sévérité de Dieu. Dieu serait-il injuste, parce qu’il refuse sa grâce à ceux qui en sont indignes ? Sans doute, le péché originel est effacé par le baptême ; cependant, en punition de ce péché. Dieu ne donne pas la grâce à quelques-uns, par justice ; s’il donne la grâce à d’autres, c’est uniquement par miséricorde.

La solution des scolastiques est empruntée à la seule raison et elle est injurieuse à saint Paul et à saint Augustin dont les paroles les plus nettes deviennent inintelligibles. Il est fou de suivre une raison trompeuse qui craint sottement de se soumettre à Dieu de peur de le rendre cruel ou injuste ; il est bien plus raisonnable de suivre saint Paul et de dire, avec lui, que Dieu est le maître souverain de la grâce qu’il distribue comme il veut, librement et libéralement, c. xiv.

4. Objections et réponses (c. xv-xix). — Jansénius revient à la solution des objections qu’il a proposées en tête du chapitre xiii. Il faudrait admettre l’impossibilité d’accomplir les commandements, si on rejette la grâce suffisante qui donne le pouvoir de les observer. Il a donné la réponse de saint Augustin aux chapitres xiii et xiv. Il va maintenant donner la sienne qui sera reprise, sous des formes diverses, par les jansénistes, après la condamnation de la l re proposition.

Il faut, dit Jansénius, distinguer quatre sortes de pouvoirs, a) Un pouvoir très éloigné qui existe chez tous les hommes et qui vient de la nature et du libre arbitre de la volonté flexible au bien et au mal durant toute cette vie ; en ce sens, l’homme est capable de faire quelque chose : posse credere, suscipere charitatem, parce que croire et avoir la charité sont en son pouvoir. En fait, ce pouvoir, sans la grâce, ne produit rien. C’est l’état de nature, b) Un pouvoir moins éloigné qui vient de la foi chez les fidèles, parce que la foi est inspiratrice de la prière par laquelle on demande la grâce ; par la foi, on peut bien vivre, alors même qu’on n’a pas la grâce, car, bien qu’en fait, on ne puisse bien vivre avec la seule foi, cependant celle-ci peut obtenir la grâce qui fera bien vivre en réalité. C’est l’état de foi. c) Un pouvoir encore moins éloigné qui vient de la charité imparfaite, parce que cette charité imparfaite fortifie contre les tentations la volonté faible et languissante ; elle se trouve chez les fidèles justes en qui l’état de grâce produit les mêmes effets que les dons habituels ; on peut prier, aimer, vaincre les tentations, même quand on dort, à cause de ces habitudes qui demeurent d’une manière permanente. C’est la petite charité, d) Un pouvoir prochain et immédiat, complet qui vient de la charité parfaite, c’est-à-dire de la grâce actuelle efficace, laquelle fait vouloir et agir ; elle se trouve chez les justes à qui Dieu donne la grâce victorieuse. C’est la charité parfaite, efficace.

En quelqu’état qu’il soit, l’homme a toujours un de ces pouvoirs ; dés lors il est vrai de dire que l’homme peut toujours observer les commandements de Dieu, et que, s’il ne les observe pas, c’est parce qu’il ne veut