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381 JANSÉNISME, L’A UGUSTIN US, T. III. LA GRACE EFFICACE

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estomac en bonne santé, iion seulement on ne détruit pas la maladie, mais peut-être accélère-t-on la mort. La distinction des deux grâces (orme le point capital de la dispute entre Pelage et saint Augustin : pour celui-là qui nie le pèche originel, la nature n’a pas été corrompue par le pecl.é et elle a conservé tout son pouvoir primitif : elle peut faire le bien et le mal, comme avant la chute ; pour celui-ci, la nature a été viciée, la liberté a contracté une maladie et elle a besoin d’un sauveur et d’une grâce médicinale pour retrouver le pouvoir de vouloir et de faire le bien. L’homme déchu est comme un aveugle et un sourd. Saint Augustin affirme catégoriquement que la grâce est nécessaire non seulement pour remettre et effacer le péché (ce qu’admet Pelage), mais encore et tout d’abord pour donner les forces suffisantes afin de triompher de la concupiscence, c. i.

La grâce médicinale nous délivre de ce corps de mort dont parle saint Paul, des blessures du péché ; elle guérit la volonté. Jansénius prouve ces affirmations par de nombreux textes de saint Augustin, empruntés spécialement aux traités De natura et gratia et De perfectione justitiæ, c. n.

La volonté d’Adam était pleinement indifférente : elle pouvait, à son gre, vouloir ou ne vouloir pas ; mais tombée librement dans le péché, elle est devenue captive du péché, enveloppée de ténèbres épaisses, enchaînée au point que la grâce lui est strictement nécessaire d’abord pour la délivrer ; elle ne peut, par ses propres forces, que faire le mal et elle est privée du pouvoir de faire le bien. Adam innocent avait besoin de la grâce pour faire le bien, mais il en restait le maître absolu, comme celui qui a de bons yeux, a besoin de lumière pour voir, mais reste maître de se servir de la lumière. Après le péché, l’homme a perdu ses prérogatives, en particulier le pouvoir de faire le bien ; devenu esclave du péché qu’il a aimé, il est engagé dans l’amour des créatures de sorte que tout ce qu’il désire, tout ce qu’il fait maintenant n’a d’autre but que de contenter sa concupiscence. La liberté n’a pas été détruite ; elle est demeurée en son entier, mais elle a changé d’état : autrefois elle embrassait le bien et le mal avec une complète indifférence ; maintenant ce pouvoir est restreint ; il ne s’étend plus qu’au mal. Les bienheureux n’aiment et ne veulent que le bien ; l’homme déchu n’aime et ne veut que le mal et il l’aime toujours jusqu’à ce que Dieu le délivre et lui inspire un amour victorieux de celui qui l’attache aux créatures.

Chemin faisant, Jansénius attaque, sans les nommer, tantôt les thomistes qui attribuent à la nature innocente là grâce qui n’est nécessaire qu’à la nature déchue, adjulorium quo, tantôt les molinistes qui n’accordent à la nature tombée que la grâce qui était propre à la nature innocente, adjulorium sine quo non. Saint Augustin, ajoute-t-il. ne fait pas de semblables confusions : il enseigne positivement qu’Adam avait le pouvoir de faire le bien et le mal ; mais qu’en voulant librement le mal, il avait perdu le pouvoir de faire le bien ; celui qui n’a pas voulu aimer Dieu, quand il le pouvait sans peine, ne peut plus l’aimer, même quand il le veut. Saint Augustin nie formellement chez le pécheur avant la grâce l’existence de la liberté de contrariété : In peccatoribus unie graliam a concupiscentia nutus imperialis inuasus est, c. in.

Il faut donc, avec saint Augustin, distinguer deux sortes de secours : le secours sans lequel une chose ne se fait point, adjulorium sine quo non, et un secours par lequel une chose se fait, adjulorium quo. Ainsi la nourriture est un secours sans lequel on ne peut vivre, mais qui ne fait pas vivre celui qui veut mourir ; ainsi la lumière est un secours sans lequel l’œil ne peut voir, mais non point un secours qui fasse voir celui qui ne veut pas voir ; par contre, la béatitude est un secours

qui produit le bonheur chez celui à qui il est accordé.

La grâce que Dieu donna aux anges et au premier homme innocent était un secours du premier ordre, une grâce laissée à leur libre arbitre, un secours tel qu’ils pouvaient ne pas s’en servir ou s’en servir, à leur gré. Ils étaient pleinement indifférents entre le bien et le mal, bien que, par eux-mêmes, ils fussent capables de faire le mal. tandis qu’ils ne pouvaient faire le bien qu’avec le secours de Dieu.

La grâce de Jésus-Chi#t est bien différente ; c’est un secours par lequel l’homme pécheur fait le bien et persévère : les saints ne peuvent pas persévérer sans ce don ; mais par ce don, ils persévèrent infailliblement. C’est que la volonté de l’ange et de l’homme innocent n’éprouvait aucun mouvement de concupiscence et avait, par elle-même, le pouvoir de persévérer, parce qu’elle était saine.

Mais après le péché originel, la volonté de l’homme est devenue malade ; le péché a introduit en elle une telle faiblesse qu’il lui faut des secours plus puissants pour la guérir et la faire agir : il lui faut la grâce du libérateur pour la délivrer de l’esclavage du péché, il lui faut la grâce médicinale. Adam, par son péché, ressemble à un homme qui se jetterait volontairement dans un précipice, sur des pierres ; il se brise et se blesse dans toutes les parties du corps et meurt enfoui dans la boue, sans pouvoir s’en retirer lui-même. Son âme, auparavant unie à Dieu par une affection toute sainte, s’est tournée vers les créatures ; son esprit, auparavant plein de lumières, s’est couvert de ténèbres et son corps qui obéissait à son âme s’est révolté contre elle. Il lui faut une grâce toute-puissante pour rompre ses chaînes.

Cette grâce ne dépend plus du libre arbitre, mais tout au contraire elle se soumet le libre arbitre ; ce n’est plus le libre arbitre qui la détermine et l’applique à l’action ; c’est elle qui le détermine et l’applique au bien.

Dans l’état d’innocence, il n’y avait que la grâce suffisante, la grâce de création était un secours sans lequel, sine quo non ; les grâces de la rédemption sont un secours par lequel, quo. Les premières sont soumises au libre arbitre, ce sont des grâces suffisantes ; les secondes se soumettent le libre arbitre, ce sont des grâces efficaces ; par suite, dans le premier cas, le libre arbitre étant cause principale de l’action, peut acquérir des mérites propres (mérites humains) ; dans le second cas, la grâce étant la cause principale, le libre arbitre ne peut acquérir des mérites propres (dons de Dieu).

En résumé, la différence des grâces s’explique par la dilïôrence des états. Dans l’état d’innocence, la volonté est maîtresse de la grâce ; elle peut faire le bien, quand il lui plaît, parce qu’elle est parfaitement indifférente. Dans l’état de péché, la volonté malade est sous l’empire des créatures ; elle a besoin de secours plus puissants pour vaincre les difficultés qui l’arrêtent et la délivrer de la servitude ; la grâce est devenue maîtresse du vouloir.

Dans le premier état, Dieu a voulu montrer ce que pouvait la grâce sous l’empire de la volonté ; dans le second, il montre ce que peut la volonté sous l’empire de la grâce, c. iv.

De ces affirmations, Jansénius tire plusieurs conclusions : a) le secours sine quo non, autrement dit, la grâce suffisante, n’existe pas dans l’état actuel, car la grâce ne dépend plus de la volonté et le secours sine quo non ne saurait constituer la grâce médicinale de Jésus-Christ. Donc ni la loi, ni la révélation, ni la rémission des péchés, ni la grâce habituelle, ni la grâce congrue de Molina, Suarez, LessiUS ne peuvent être cette grâce médicinale dont la volonté ne dispose pas, alors qu’elle est maîtresse de toutes les grâces