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JANSÉNISME, L’AUGUSTINUS, T. III. LA GRACE EFFICACE


peut faire éviter le péché et la loi, toute seule, ne fait qu’accumuler les fautes, c. ix.

La loi fait abonder le péché et, suivantles expressions de saint Paul, opère la colère, elle rend les hommes prévaricateurs. Les manichéens et les pélagiens se scandalisent de cette doctrine, parce qu’ils oublient que ces tristes effets de la loi viennent du péché de l’homme : Ils oublient que, dès que la loi intervient pour réprimer les mouvements de la concupiscence, cehe-ci s’enflamme et s’emporte. Cela est la faute de l’homme et non de Dieu qui donne la loi. Le mal vient, non de la loi qui éclaire, mais du sujet vicieux qui la reçoit : lex non est fomes, sed limes ; sed ex limite exardescil concupiscentia, c. x.

Mais pourquoi Dieu nous donne-t-il la loi qui, en fait, ne sert qu'à nous rendre plus coupables ? Mystère impénétraule à la raison humaine, allissime latet. Les nouveaux scolastiques ne trouvent pas de mystère, parce qu’ils font intervenir leur grâce suffisante, mais cette explication est en opposition formelle avec saint Augustin. Par la multiplicité des péchés, qu’ils ont commis. Dieu a brisé l’orgueil des Juifs, si fiers de leur loi ; il les a convaincus de leur faiblesse et de la nécessité d’un Rédempteur ; ainsi il les a forcés à lui demander le secours de la grâce : quid nisi superbiam lege fractam tradil ufl gratiæ adjutorium quæreretur, c. XI.

La loi est un pédagogue ; car elle conduit à la grâce par la crainte : pœdagogus ad graliam per terrorem ; elle fut un gardien, custos, du peuple qu’elle retenait dans le culte du vrai Dieu et qu’elle empochait de recourir aux idoles ; par la menace et par la crainte, elle a conduit le peuple juif à la connaissance de la vraie grâce de Jésus-Christ, c. xii.

Jansénius veut expliquer l'économie de la loi. La loi, dit-il, a été donnée pour la justification et le salut des hommes. Le fruit direct et immédiat de la loi est de faire connaître très exactement la règle de conduite à la lumière de laquelle on peut apprécier la perversité du mal ; elle fait rougir de la multiplicité des prévarications ; elle fait craindre les châtiments qui menacent et amène ainsi à demander la grâce du libérateur dont on sent la privation ; elle écrase l’orgueil par la constatation des nombreuses fautes commises. Cette accumulation des fautes ne fut point dans l’intention et l’ordre de Dieu législateur, mais dans ses prévisions. Il savait qu'à la lumière de la loi l’homme apercevrait le remède opportun pour guérir son orgueil et la concupiscence. Aussi les chutes' ont été profitables à l’homme et elles n'étaient imputables qu'à lui et nullement à Dieu législateur : Lex data est ut gratia quæreretur, quæ data est ut lex implcrctur. Aussi la loi a été utile à l’homme, parce qu’elle lui a fait prendre consscience de sa faiblesse et de sa maladie et l’a excité à chercher un remède. On est d’autant plus malade qu’on ne se croit pas malade, c. xiii.

L’admirable économie de la dispensation de la loi et de la grâce apparaît dans l’humanité en général et dans chaque homme en particulier. Dieu conduit par degré à la vertu. Avant la loi, l’homme est ignorant ; il n’y a ni combat, ni victoire ; sous lu loi, l’homme apprend à discerner ce qui est bon et ce qui est mal, mais il ne peut triompher ; il y a combat sans victoire. Sous la grâce, l’homme connaît sa maladie et recourt au médecin ; il y a combat et victoire ; enfin dans lu paix, l’homme est pleinement heureux ; c’est la fin du combat et le repos dans la victoire. Ces quatre états ont existé pour l’humanité : le premier d’Adam à Moïse ; le second de Moïse à Jésus-Christ ; le troisième depuis Jésus-Christ ; le quatrième à la On des temps, et ils existent pour chaque homme qui passe successivement par chacun de ees états. Ainsi, conclut saint Augustin, la fin de la loi est l’humilité qui détruit

l’amour de soi ; la connaissance de la maladie fait appeler le médecin, c. xiv.

Pourquoi Dieu a-t-il donné en divers temps aux hommes d’abord la loi, puis la grâce ? O profondeur de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieul Admirable justice de Dieu à l'égard de son peuple ! Ce peuple charnel, semblable à un enfant, ne pouvait comprendre une loi toute spirituelle ; c’est pourquoi il le détourne du mal par la crainte des châtiments ; ensuite, il lui donne une loi spirituelle pour lui faire connaître le caractère temporel et terrestre des biens qu’il a revus, pour l’en détacher et ainsi le préparer à recevoir le Sauveur quand il viendra. Dieu a donné et donne à chacun ce qui lui convient, c. xv.

Ce qui est vrai de la loi est également vrai de toutes les grâces de l’intelligence : promesses, exhortations, révélations, etc., dont le but est d’apporter la vérité, de faire connaître et discerner le bien et le mal. Ces grâces éclairent l’intelligence, mais elles font abonder le péché, car elles sont tout à fait impuissantes à libérer la volonté ; elles montrent le mal sans le guérir : dut scire, non velle, mullo minus fecere ; elles ne touchent la concupiscence que pour l’exciter et pour lui faire produire des péchés plus nombreux, car la volonté demeure toujours garrottée de ses liens, c. xvi.

On voit ainsi l’erreur profonde de Suarez et de Vasquez qui parlent de pensées congrues naturelles, capables de faire agir ; ils les appellent congrues, parce que Dieu prévoit, que par elles, le sujet agira. Rien de plus opposé à la doctrine de saint Augustin. Nous ne pouvons avoir aucune bonne pensée sans la grâce. Toute pensée sainte est une grâce de Dieu qui imprègne la volonté et la fait agir. Par elles seules, les pensées sont des lumières qui éclairent sans échauffer, si Dieu ne vient pas fortifier la volonté pour les suivre et inspirer une dilection victorieuse de la cupidité qui tient la volonté captive. Les pensées seules n’aboutissent qu'à une sorte de contemplation spéculative de ce qu’il faut faire ; il faut que la véritable grâce de Jésus-Christ tourne vers Dieu, après avoir détourné des créatures. Suarez et Vasquez, par leurs théories, vont rejoindre les pélagiens et les semi-pélagicns qui, avant eux, avaient trouvé le congruisme et que saint Augustin avait vivement combattus, c. xvii.

Enfin Jansénius indique la raison fondamentale pour laquelle aucune grâce de l’intelligence, quelle qu’elle soit, aucune doctrine, aucune loi, aucune grâce congrue, ne peut délivrer la volonté de la captivité du péché : cette délivrance est un changement radical qui transforme la servitude en liberté. Le terme initial de ce changement est la concupiscence dominante ; le tenue final est l’amour de Dieu qui rompt les liens, détache de la créature et tourne vers Dieu. Ce changement qui rend la volonté formellement libre n’est possible que par l’amour même de Dieu, par la charité qui est la vraie grâce de Jésus-Christ, la vraie grâce de la volonté. La délectation de l’amour céleste arrache la volonté à la concupiscence et, ainsi, la délivre de cette servitude du péché et lui donne la liberté, e. XVIII.

2° La vraie grâce de volonté (Livre 11). — 1. Distinction fondamentale entre la grâce d’Adam et la grâce de l’homme déchu (c.i-v), — Les théologiens distinguent ordinairement la grâce habituelle et la grâce actuelle, la grâce su (lisante et la grâce efficace. Jansénius prend une division tout autre : il distingue la grâce de la nature saine et entière et la grâce de la nature malade et corrompue ; ces deux grâces ont des propriétés absolument différentes, au point que, si l’une est appliquée à la place de l’autre, elle ne sert a rien ou même elle nuit au lieu d’aider, comme lorsqu’on donne : ï un estomac malade qui a du dégoût pour les aliments une nourriture qui convient à un