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JANSÉNISME, L’AUGUSTINUS, T. III. LA GRACK Di : SAIVKUR


11. IOMK 111. LA GRACE DU SAUVEUR. — Le t. m

de l* Augustinus renferme la partie capitale du travail de Jansénius. Qui connaît la maladie doit en connaître les remèdes convenables. Le mal est si profond que Jésus-Christ a apporte d’en haut le remède : la grâce, fruit de l’incarnation, qui produit la vie surnaturelle ; c’est le premier mystère de notre religion d’où dépend toute la conduite de la vie chrétienne. Il importe de bien connaître la nature de cette grâce de Jésus-Christ ; car la moindre erreur aurait ici des conséquences désastreuses. Les philosophes ne peuvent rien dire sur ce point et ils ont imagine que l’homme tire la vertu de lui-même ; les seolastiques se sont imprégnés de cette philosophie toute païenne et voulant concilier Aristote et saint Paul, ils ont entouré ce mystère de ténèbres épaisses. Molina, en particulier, s’est écarté de la tradition ; il avoue que son système est nouveau et il a l’audace de prétendre que, si saint Augustin l’eût connu, il l’eût approuvé. Ses disciples l’ont dépassé et croient s’autoriser de saint Augustin, alors qu’ils exposent des opinions nouvelles. Jansénius proclame qu’il veut revenir à saint Augustin lui-même, car il est le maître en ces matières délicates. « Si quelqu’un vous annonce quelque chose en dehors de ce que vous avez reçu de saint Augustin, qu’il soit anathème. Préface.

Jansénius étudie successivement la nature, les propriétés et les effets de la grâce dans les cinq premiers livres ; puis le libre arbitre dans l’état de nature réparée, 1. VI et VII, la conciliation de la liberté et de la grâce, t. VIII, enfin la prédestination, t. IX, et la réprobation, 1. X.

Préliminaires (Livre I, c. i-v). — Les traités précédents ont suffisamment montré ce qu’a produit en nous le péché d’origine. L’effet principal est d’avoir rendu esclave le libre arbitre ; l’effet principal de la grâce du Sauveur est donc essentiellement la libération, l’affranchissement de la volonté. Or la servitude de la volonté est provoquée par la maîtrise de la concupiscence dont l’âme est captive au point que, par ses propres forces, elle ne peut se délier et s’élever à l’amour de Dieu. La libération consiste donc avant tout dans la rupture des liens de la concupiscence, dans la suppression de cette douceur délétère des créatures auxquelles la volonté est enchaînée jusqu’au moment où elle s’élève à l’amour des choses surnaturelles, lorsque la céleste douceur de la grâce a brisé tous les liens de la concupiscence. C’est que, quoi qu’en pensent les seolastiques, le libre arbitre n’est point indifférent entre le bien et le mal, mais il doit d’abord être délivré par la grâce, avant de vouloir ou de faire quelque bien, c. n.

Aussi, pour mettre en relief cet effet essentiel de la grâce, saint Augustin lui a donné divers noms auxquels il est surprenant que les seolastiques n’aient accordé aucune attention. C’est la grâce libératrice, la grâce de délivrance, d’affranchissement ; elle délivre de la servitude, de la cupidité dominante, du corps de mort, de la loi du péché, elle répare la liberté perdue, etc., c. m.

Cette grâce libératrice est nécessaire au libre arbitre, non seulement pour qu’il puisse faire des actes surnaturels, mais encore pour qu’il puisse faire des actes moralement bons, car une action, pour être bonne, doit être faite par amour de Dieu. Cette grâce, en elfet, procure la santé de l’âme et donne à la volonté le pouvoir de faire le bien ; sans elle, la volonté est soumise aux lois de la concupiscence, pénétrée intimement

« de cette misérable glu » de la cupidité terrestre

et emportée de-ci de-lâ par elle. Sans la grâce, il n’y a, dans la volonté, que la cupidité ou amour des créatures dont tous les actes sont nécessairement mauvais, c. IV.

Aussi Jansénius combat l’axiome des seolastiques’Fûcienli quod in se est Deus non denegat gratiam, entendu dans ce sens que, par ses propres forces, le libre arbitre peut obtenir la grâce. La grâce, dit-il, n’est point donnée, nécessairement et par une loi certaine, à celui qui fait tout ce qu’il peut par les forces de sa nature ; on ne peut se préparer à la grâce, puisque, sans la grâce, on ne peut rien faire de bon ; bien plus, sans la grâce, on ne peut faire que des actions mauvaises, comme on l’a déjà démontré au sujet des actions des infidèles, c. V.

Après ces préliminaires, Jansénius étudie la grâce en elle-même. Il distingue la grâce de la volonté qui élève cette faculté et la délivre de la servitude du péché (Jansénius en parlera à partir du 1. II) et la grâce de l’intelligence qui prend une double forme : en tant qu’extérieure, elle atteint l’intelligence par les sens (prédication, exhortation, persuasion, promesse de récompense, châtiment) ; en tant qu’intérieure, elle atteint l’intelligence par la révélation de la sagesse et la connaissance de la vérité qui nous font connaître la loi, c. vi.

1° Les grâces de l’intelligence : la loi (Livre I, c. vixvra). — La grâce de la loi ou de la doctrine ne peut délivrer la volonté pour la faire vouloir et opérer la justice, ni l’affranchir de la servitude du péché, à cause de l’ignorance qui supprime la connaissance du bien et surtout de la concupiscence qui enchaîne la volonté. La loi nous fait connaître et nous découvre le péché, sans nous donner la force nécessaire pour l’éviter ; elle fait connaître la maladie, sans donner le remède. Ainsi, elle détruit l’ignorance ; elle fait connaître ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter, mais elle laisse intacte la concupiscence qui continue de tenir sous son joug la volonté impuissante ; elle nous fait prendre conscience de nos devoirs, de nos fautes et de nos faiblesses, mais ne donne pas la force pour remplir ces devoirs, pour éviter ces fautes, pour corriger notre faiblesse, parce qu’elle ne supprime pas la blessure faite en nous par la concupiscence, c. vu. La loi a un second effet : elle rend l’observation des préceptes plus difficile, parce qu’elle surexcite la concupiscence. Les théologiens récents ont cru que la loi éclaire et rend l’observation des commandements plus facile ; mais c’est une erreur profonde, car la loi enflamme plus qu’elle n’apaise la soif de pécher ; sans la grâce, elle augmente les difficultés pour faire le bien, accroît l’inclination au mal. En effet, la cupidité comprimée s’exalte et nous porte plus fortement vers l’objet mauvais : illa lex, quamvis bona, auget prohibendo desiderium malum. Seule, la charité, la concupiscence bonne, s’oppose à cette concupiscence mauvaise. Certains seolastiques, il est vrai, ont prétendu que Dieu accorda aux juifs des grâces suffisantes pour observer la loi, mais rien n’est plus contraire à la doctrine de saint Augustin, c. vin.

Un troisième effet de la loi est d’augmenter le péché et d’imposer une servitude plus étroite, car elle accroît la concupiscence sans apporter un secours et elle conduit fatalement au péché, parce qu’elle commande des actes que la faiblesse ne peut faire ; alors, ou bien, on pèche parce qu’on n’évite le mal que par la crainte des châtiments et on est coupable dans son cœur et devant Dieu, ou bien on pèche plus gravement encore, en violant le précepte connu. La première manière de faire le mal est plus dangereuse, parce qu’elle est plus cachée ; la seconde est plus grave. L’homme charnel qui reçoit la loi ne peut donc que pécher, qu’il veuille ou non accomplir la loi ; car, s’il veut l’observer, il commet un péché caché, périlleux, ordinairement un péché d’orgueil ; s’il ne veut pas, il commet un péché plus grave, puisqu’il viole un précepte en connaissance de cause. Bref, la charité seule