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375 JANSÉNISME, L’AUGUSTINUS, T. II. ÉTAT DE 1M RE NATURE 376

être malheureux. L’ordre exige que la misère suive le péché ; ainsi la peine rétablit l’ordre troublé par le mal et il y a un lien absolu et indissoluble entre la peine et le péché ; il est impossible que celui qui fait le mal soit bon, donc heureux, car l’homme qui pèche s’éloigne de Dieu, donc de sa béatitude, et, par suite, il doit être malheureux, e. il.

La peine est donc inhérente au péché : des peines intérieures, cachées, accompagnent toujours le péché ; les peines extérieures sont réservées à l’avenir par Dieu. Les premières pénétrent les replis les plus secrets du cœur et ne peuvent se séparer du péché : c’est le remords dans la conscience ; c’est l’inquiétude perpétuelle avec la cécité et l’insensibilité, la perte du bonheur, l’amour des créatures, c. ni. Aussi le pécheur, demeurant dans son péché, ne peut être heureux, parce qu’il reste.dans l’injustice, dans l’erreur et le désordre, c. iv. Mais Dieu ne peut damner une créature innocente, lui infliger des peines éternelles, la priver de la vision béatifique et la soumettre à la peine du sens, c. v.

Donc — c’est le dernier argument de Jansénius, — la misère et le malheur ne peuvent précéder la faute ; l’homme ne peut souffrir qu’en punition d’une faute. Le malheur et la misère ne peuvent être qu’une peine ; donc la nature pure est inconcevable, parce qu’elle suppose un état de misère qui ne serait pas un châtiment. La mort que les pélagiens regardent comme une chose indifférente est la plus terrible des peines du corps ; comme toutes les autres souffrances, elle n’eût pas existé sans le péché. Dieu est l’immuable Vérité et la vérité crie partout qu’il est dans l’ordre que le péché soit puni, mais que l’innocent ne doit souffrir aucun mal,

c. VI.

Pour prouver cette affirmation, Jansénius cite de nombreux textes de saint Augustin. La toute-puissance, la justice et la science de Dieu seraient lésées, si l’homme innocent souffrait ; c’est pourquoi l’état de nature pure est incompatible avec ces attributs divins, c. vu ; la justice, en particulier, est détruite, car elle doit donnera chacun ce qui lui est dû, c. viii.

Pour arriver à cette conclusion, saint Augustin ne parle pas de l’état surnaturel ; il ne fait appel qu’à la raison et à la nature même de la justice divine, c. ix ; il ne parle pas formellement des peines, en tant qu’elles sont corrélatives à une faute, mais matériellement, en tant qu’elles a.Tligent la nature humaine, en tant qu’elles affectent cette nature, en tant qu’elles détruisent le bonheur, crucifient l’âme et troublent la volonté. L’homme est malheureux matériellement et il ne peut être dans cet état de souffrance physique sans une faute préalable, c. x, car Dieu, infiniment juste, ne peut infliger à une créature innocente ces maux, particulièrement la mort que l’homme abhorre ; on peut dire la même chose de la corruption du corps, des monstruosités, des lenteurs et des difficultés de L’esprit, de la folie, etc., c. xi. Dieu ne peut permettre ni produire tous ces maux, car il serait injuste et coupable dans les deux cas, c. xii. Admettre la possibilité de la nature pure, c’est accuser Dieu de cruauté, puisqu’il ferait soulfrir un innocent, c. xiii.

Celle conséquence s’impose au point que ceux qui l’uni niée ont dû recourir à des explications embarrassées et erronées : on s’est jeté dans les erreurs des platoniciens, des manichéens, des gnostiques, qui attribuent tous ces maux à la matière, parce qu’ils ne peuvent les attribuera Dieu. Les pélâgiens en sont arrive 1 a dire, avec les stoïciens, que ces souffrances ne sont pas (les maux. Beaucoup de philosophes païens

ont attribué cet état de misères à une faute. C. i ; et il le faut bien, sans quoi on profère contre Dieu des impiétés et des blasphèmes : Dieu est injuste ou impuissant, e. xv.

Cependant saint Augustin, dans son Commentaire sur le psaume LXX, dit que Dieu peut damner un juste ; dès lors, à plus forte raison, il peut infliger des misères à un être dans l’état de nature pure : quis diceret Deo : quia) fecisti ? si damnant justum. Jansénius donne deux solutions à ce texte. Saint Augustin, dans ce passage, parle de l’etal présent de l’homme où, quelque juste qu’il soit, Dieu n’est pas oblige de l’empêcher de tomber dans le mal et dans les misères qui sont la punition du pêche d’Adam, comme il paraît par l’exemple de Job. A ut iv solution : ce passage est altéré ; il faut lire : injustum, car. dans cet endroit, saint Augustin veut prouver qu’il faut craindre et aimer Dieu ; le craindre, parce qu’il damne l’injuste par sa justice, l’aimer, parce qu’il justifie le pécheur par sa miséricorde, c. xvl

Une autre difficulté plus grave est tirée du III’livre Du libre arbitre : ignorantia et difficultas, si esset naturalis homini, non esset culpandus Deus. Saint Augustin, répond Jansénius, suppose le péché déjà commis et la nature corrompue, c. xvii ; la concupiscence, lo pudeur sont dites naturelles, en ce sens qu’elles suivent le péché ; elles doivent être attribuées non à Dieu créateur mais à l’homme pécheur, c. xviii. D’autre part, les misères ont pu, en toute justice, exister chez les adultes pour leur servir d’épreuves et leur permettre d’obtenir des biens d’ordre supérieur ; pour les enfants, la difficulté est plus grave, mais cependant il y aurait pour eux une large compensation, c. xix. Jansénius donne une solution plus complète du texte de saint Augustin qui, dit-il, dans ce traité, s’adresse aux manichéens. Ceux-ci attribuent le mal à un principe mauvais. Mais, répond saint Augustin, quand même l’ignorance et la concupiscence seraient naturelles et que Dieu nous les infligerait, cependant cela ne serait pas un mal et Dieu ne serait nullement responsable de ces maux, c. xx. Pour répondre aux scolastiques touchant le souverain domaine de Dieu qui pourrait punir même des innocents, Jansénius réplique : punir un innocent n’est pas le fait d’un Dieu, mais d’un tyran. Dieu, matériellement, pourrait punir un innocent de par sa toute-puissance, mais sa justice, sa bonté, sa sagesse règlent sa puissance, c. xxi.

Enfin Jansénius se trouve en présence de la proposition 55e de Baius, condamnée par les papes Pie V et Grégoire XIII : Deus non potuissel ab initio talem creare hominem, qualis nunc nascitur. L’homme naît maintenant dans la misère, l’ignorance, la concupiscence, sujet aux maladies, à la mort ; donc il ne répugne pas à la justice de Dieu de créer l’homme, avant tout pèche, avec toutes ces misères, dans l’état de nature pure. Jansénius hésite, hæreo, jateor. La doctrine de saint Augustin a été approuvée par neuf papes, donc elle ne peut être condamnée par deux papes récents. Il faut interpréter la proposition condamnée, car l’opinion des scolastiques rendrait Dieu coupable de la concupiscence qui est mauvaise, qui est la source de tous les péchés. Il est bien évident que Dieu ne pouvait créer l’homme dans le pèche ; avec le péché, il faut supprimer la concupiscence et les autres misères du corps et de l’âme qui sont le châtiment du pêche. Que dire ? Hæreo, /atror… Jansénius reprend sa distinction au sujet des œuvres des infidèles, De statu iia/iiru lapsse, 1. IV. c. wvn : la censure prononcée par Pie V et Grégoire X1I1 n’est (lu’une censure de prudence : il faut dire que l’Église romaine s’occupe non moins de paix que d’érudition ; elle condamne plusieurs propositions de Baius, non point comme fausses, mais comme opposées à la paix, afin de couper court à des discussions inopportunes, c. XXII.

Un auteur anonyme (Bibliothèque nationale de Paris, ms. fr. 18 890, p. 10) écrit ici : La lecture de ce Chapitre fait voir l’extrême respect de Jansénius pour le pape et comme il le croyait infaillible. »