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365 JANSÉNISME, L’AUGUSTINUS, T. II. NÉCESSITÉ ET LIBERTÉ 366

dominante sont des péchés. C’est que, dit Jansénius, la concupiscence elle-même est la suite, la punition du pèche et il rappelle la célèbre distinction de saint Augustin : le péché qui n’est que péché et qui suppose la liberté (pèche d’Adam), le péché qui est peine du péché (concupiscence), enfin le péché qui est à la fois pèche et peine du pèche (les péchés de l’homme actuel avant la grâce). Dans ce dernier cas, qui est celui de l’homme déchu, la liberté actuelle n’est pas nécessaire pour qu’il y ait vraiment péché, c.xxi.

Pour mieux répondre a l’objection des scolastiques : « le péché n’existe que là où il y a possibilité de l’éviter, » Jansénius reprend la’distinction du double état : l’état naturel établi par Dieu et un état pénal dans lequel la créature, par son péché libre, a perverti la nature et provoqué l’ignorance et la concupiscence. Dans ses discussions avec les manichéens, saint Augustin ne parle que du premier état, pour expliquer l’origine du mal. Les manichéens affirment l’existence, dans l’homme, d’un principe mauvais qui force l’homme à faire le mal. Pour leur répondre, saint Augustin considère l’homme avant la chute et reconnaît en lui une indifférence parfaite sans laquelle Adam n’aurait pas péché. Dans ses polémiques avec les pélagiens, pour expliquer la nécessité de faire ! e mal, saint Augustin ne parle que du second état. Les pélagiens ne voient que l’homme vivant actuellement dans le péché et ne veulent pas attribuer le péché à Dieu ; dès iors, comme ils n’admettent pas les deux principes des manichéens, ils affirment l’existence actuelle de l’indifférence complète, même dans l’homme déchu. Pour les combattre, saint Augustin soutient que la nécessité de pécher, où l’absence de la grâce place l’homme, est la punition du péché du premier homme. Bref, dit Jansénius, la grâce médicinale de Jésus-Christ permet seule de faire le bien : mais cette grâce n’est point celle dont parle Moiina, c’est la grâce efficace par elle-même, laquelle nous fait faire le bien que nous faisons, suivant les expressions du concile d’Orange, can. 20.

Dans la nature bonne, telle qu’elle était sortie des mains du créateur, l’indifférence était parfaite : le péché alors devait être pleinement volontaire et il fallait à l’homme une liberté complète, indifférente entre le bien et le mal. Mais les péchés actuels sont les peines du péché originel ; ils ne supposent point la liberté indifférente, car les châtiments sont imposés et ne sont point libres. Par suite, des péchés peuvent être commis même par celui qui est dans la nécessité générale de pécher, car cette nécessité générale n’est pas autre chose que cette aveugle concupiscence terrestre qui presse et opprime la volonté, à la manière d’une habitude générale mauvaise. Ces actes ne cessent pas d’être des péchés, parce qu’ils dérivent non pas de la nature faite par Dieu, mais de la nature corrompue par le péché du premier homme, c. xxii.

D’ailleurs, d’après saint Augustin, les péchés actuels peuvent être évités, mais seulement par la foi et la grâce du Christ qui libère l’âme de la servitude du péché et lui donne la liberté de faire le bien ; sans la grâce, au contraire, on ne peut éviter le péché, soit que l’aveuglement empêche de voir la vérité et le bien, soit que la concupiscence opprime la olonté, soit que la loi qui défend enflamme le désir de pécher. Pcenalis vitiosilas subsecula est peccalum et ex liberlate jecit necessitalem.. Vicia vilio In quo cccidil voluntate, caruit liberlale natura…

Aussi les infidèles, privés du secours de la grâce libératrice, ne peuvent éviter un péché qu’en tombant dans un autre : cependant, ils peuvent éviter le péché, en ce sens qu’ils peuvent recevoir la foi et la grâce qui les libéreront, comme un boiteux peut marcher droit, s’il est guéri par un médecin : In claudo putest consistere potestas recle ambulandi, quia medici arle sanari

potest, cum nécessitait’claudicandi, quamdiu caret medicina. Quant aux fidèles, ils peuvent véritablement éviter le péché, parce qu’ayant la foi, ils sont en état de prier Dieu pour obtenir de lui le secours nécessaire afin d’éviter le péché et de faire le bien, c. xxiii.

L’existence des commandements, exhortations, réprimandes n’est point en opposition avec cette doctrine, comme le remarque saint Augustin, dans son livre De correptione et gratia contre les pélagiens et surtout contre les moines d’Hadrumète. Les scolastiques font appel à la liberté d’indifférence, mais Jansénius s’en tient à la solution de saint Augustin qui ne regarde pas l’indifférence comme essentielle à la liberté. La légitimité des préceptes négatifs qui défendent un acte s’explique par la liberté d’exercice qui laisse le choix entre plusieurs actes mauvais. Les préceptes pesitifs éclairent l’intelligence et font connaître ce qu’il faut faire ; si, sans la grâce, ces préceptes ne peuvent être observés, c’est que, par un acte libre primitif, la volonté s’est placée dans un état stable où elle se porte au mal avec réflexion et avec un entier consentement, soit qu’elle puisse, soit qu’elle ne puisse pas se soustraire à cette nécessité de faire le mal, satiseslquod peccalor sciens et prudens plena voluntate feratur in malum, sive ab ista malum diligendi necessilale se expedire possit. sive non posait. C’est la troisième proposition : une volonté délibérée, par le fait qu’elle est en notre pouvoir, c’est-à-dire, par le fait qu’elle ne s’exerce pas malgré nous, est libre et ne peut pas ne pas être libre, lors même que l’acte est nécessaire.

Sans doute, la volonté de l’infidèle ne peut, sans la grâce, obéir au précepte de croire et d’aimer Dieu ou même de faire quelque bien, parce que, en punition du péché originel, elle persévère dans l’amour de soi, dans la concupiscence où elle s’est librement plongée. Il serait absurde de dire que cet amour terrestre dans lequel très librement la créature raisonnable est tombée et qui est une juste punition de sa faute, supprime sa liberté et, avec la liberté, le péché. En effet, tout amour, en vertu des actes qu’il produit, devient plus stable, plus immuable ; l’habitude engendre un amour indéracinable et cela, non point parce que la liberté disparaît, mais parce que la liberté s’exerce constamment dans le même sens et se fixe en quelque sorte. C’est le prélude, le commencement de la béatitude ou de la damnation. L’habitude mauvaise fortifie la volonté qui devient de plus en plus mauvaise, tout en restant toujours libre, c xxiv.

Comme toutes ces thèses semblent reprendre la doctrine de Baius, Jansénius éprouve le besoin de s’expliquer dans les trois derniers chapitres et de montrer que les condamnations de Pie V et de Grégoire XIII n’atteignent pas sa propre doctrine.

La proposition 64 de Baius est ainsi conçue : Homo peccal damnabiliter eliam in eo quod necessario facil. La proposition condamnée, écrit Jansénius, se rapporte à une nécessité absolue, à une nécessité originaire qui déterminerait spécifiquement la volonté au mal et dans son exercice particulier et naturel, sans aucune liberté préalable dont cette nécessité serait l’effet et la punition. Une telle nécessité serait attachée à la nature même de l’homme, qui, dès lors, serait dans l’impossibilité de faire un acte coupable. Mais saint Augustin ne parle que de nécessité générale, d’une nécessité en vertu de laquelle l’homme déchu, avant de recevoir la grâce, ne peut que pécher, tout en ayant, en chaque péché particulier, la liberté de choisir. D’ailleurs, ajoute Jansénius, on peut avoir une liberté entière, môme dans le cas où la volonté ne peut s’abstenir de pécher ; quand cette nécessité est issue d’un acte libre, cette nécessité n’est, en réalité, que la continuation de l’acte libre primitif, c. xxv.

Jansénius examine plusieurs autres propositions