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    1. JANSÉNISME##


JANSÉNISME, L’AUGUSTINUS, T. II. NÉCESSITÉ ET LIBERTÉ 364

croit qu’on peut être juste sans la foi et sans la grâce,

c. XII.

Cette thèse générale de saint Augustin découle de ses principes sur l’amour des créatures et sur l’amour de Dieu, de jruendo solo Deo utendisque creaturis. Il faut encore distinguer l’amour d’usage, dilectio transitoria, par lequel nous aimons une chose pour en user, nous en servir, mais non point y attacher notre cœur ; ce% amour qui ne fait que passer, Iransiloria, n’est point mauvais, pourvu que l’usage soit pour Dieu et selon Dieu c’est-à-dire, pourvu qu’on use des choses de la vie présente en vue des biens éternels, avec modération et retenue, sans passion, ad necessitatem et non ad gaudium. 1.’amour de jouissance, dilectio mansoria, par lequel nous aimons une chose pour en jouir et nous y reposer est mauvais, parce qu’on fait de la chose qu’on aime une fin dernière ; c’est le renversement de l’ordre. Aussi cet amour est toujours vicieux et il est d’autant plus dangereux que les choses qu’on aime sont par elles-mêmes plus innocentes. Il n’est jamais permis d’agir parcet amour qui nous fait rechercher les créatures pour en jouir ; cet amour de la créature pour elle-même est, en soi, un péché qui vicie radicalement tous les actes qui er> procèdent, quelque bons qu’ils paraissent en eux-mêmes ; c’est un mauvais arbre qui ne peut produire que de mauvais fruits, c. xiii ; par suite, quoi qu’en dise Suarez, une fin lu nnête ne suffit pas à rendre une action bonne. La seule fin de l’acte bon, de la vertu, est Dieu aimé pour lui-même et cette fin est évidemment au-dessus et au dehors de l’homme, au-dessus du corps et de l’âme, comme le voulaient les épicuriens et les stoïciens, c. XIV.

De ces thèses, Jansénius déduit des corollaires importants : a. la vertu n’est pas autre chose que l’amour de Dieu et donc toutes les vertus sont inséparables de l’amour de Dieu ; p. la foi est nécessaire à toutes les vertus, car la foi seule peut montrer cet amour comme fin dernière, peut diriger notre conduite et obtenir de Dieu cet amour ; sans la foi, on ne peut approcher de Dieu ; y. il n’y a pas de vertu en dehors de la vraie religion ; S. la distinction apportée par les pélagiens entre les actes fructueux ou surnaturels et les actes stériles qui ne sont que moralement bons n’a aucun fondement, car toute vertu vraie se rapporte à Dieu et conduit à la vie éternelle ; e. toute œuvre bonne, quelle qu’elle soit, vient de la grâce et est méritoire devant Dieu ; C il n’y a pas de bonne volonté possible sans la foi et l’amour ; r r vertu, bonne œuvre, œuvre de foi, œuvre de piété, œuvre méritoire sont des termes synonymes. Ces diverses propositions résument la doctrine augustlnlenne sur la grâce, les bonnes œuvres et les mérites et toute autre doctrine vient d’une philosophie païenne qui n’a rien de commun avec la foi chrétienne, c. xv.

Jansénius est amené à se demander s’il y a en nous naturellement des inclinations bonnes, des semences de vertus, seminavirtutum. Si, dit-il, on ne considère que l’acte en lui-même, on peut dire qu’il y a, dans l’homme, la semence naturelle de quelques vertus et c’est de là que les philosophes païens ont tiré les principes de leur morale. Comment expliquer cela ? C’est que la nature raisonnable porte encore l’image de Dieu et la loi de nature n’est pas complètement détruite en elle, mais il faudrait appeler cela des ruines et « les restes de vertu, plutôt que des semences. D’ailleurs, cela ne constitue que la matière, le corps de la vertu. L’âme de la vertu, c’est la fin de l’acte, l’intention sans laquelle la vertu n’est qu’un cadavre inerte. Or, cette fin, âme de la vertu, ne vient point de la nature humaine, mais de Dieu seul, même par son germe et par son commencement. Ainsi les théologiens modernes qui distinguent les œuvres naturelles et les

œuvres surnaturelles s’inspirent d’une philosophie toute païenne et se séparent tout à fait de saint Augustin pour qui les vertus dites naturelles sont, en réalité et essentiellement, de véritables vices, nés de l’amour des créatures, c. xvi. D’après Jansénius, cette doctrine n’est point seulement une opinion personnelle de saint Augustin ; c’est la doctrine catholique elle-même, consacrée par le concile d’Orange, can. 9, 18, 20, qui a condamné formellement les thèses opposées de Julien. L’opinion qui admet l’existence de vraies vertus chez les infidèles est, d’après saint Augustin et le concile d’Orange, o une farce, un délire, une insanité, une erreur, une impiété contraire au sens chrétien, c. xvii.

Cette doctrine de Jansénius sur les actions des infidèles est une des idées fondamentales du iansénisme et Arnauld, dans sa deuxième Apologie, Opéra, t. xvii, p. 103-185, l’a exposée avec une netteté parfaite.

b. La nécessité de pécher et la liberté, c. xviii-xxjv. — Après cette longue digression sur les actions des infidèles, Jansénius éprouve le besoin de préciser la pensée de saint Augustin sur la perte de la liberté. En quel sens, l’homme, par le péché, a-t-il perdu la liberté de faire la bien et d’éviter le mal et est-il tombé dans la nécessité de pécher ? C’est, dit-il, la thèse formelle de saint Augustin, que, par le péché originel, notre liberté de faire le bien a péri, au point qu’avant d’avoir reçu la grâce, non seulement l’homme ne peut observer intégralement la loi de l’honnêteté morale, ni même une seule loi, ne peut faire une seule bonne œuvre ; bien plus, il ne peut faire un acte quelconque sans pécher, même quand il paraît garder la loi, c. xviii.

Ici se posent des questions particulièrement graves. S’il y a, pour la volonté, nécessité de pécher, le péché n’existe plus, car ce qui est nécessaire ne saurait être péché. Cette nécessité de pécher, écrit Jansénius, n’exclut point le péché. La volonté n’est point nécessitée à faire tel péché particulier, mais elle ne peut éviter un péché qu’en tombant dans un autre. Bref, cette nécessité regarde le péché en général et non point un péché en particulier et elle ne supprime pas totalement l’indifférence que réclament les modernes. Tout le monde place une nécessité semblable en Dieu, dans les anges, dans les bienheureux relativement au bien ; la liberté de contradiction leur suffit. Elle suffit de même à l’homme déchu. La volonté est libre dans son exercice, nécessitée dans sa spécification et cette liberté suffit aux yeux mêmes de certains scolastiques.

Saint Augustin accorde cela : l’infidèle ne peut éviter un péché qu’en tombant dans un autre ; c’est comme une habitude contractée de faire le mal en vertu de laquelle on tomberait nécessairement dans le mal, à moins qu’on n’en soit détourné par une cupidité plus grande, c. xix ; Jansénius ajoute qu’il n’a vu nulle part, dans saint Augustin, l’explication inventée par les scolastiques ; cette liberté philosophique par laquelle on fui’, un péché pour se précipiter dans un autre paraît de peu d’importance au grand docteur, c. xx.

C’est ainsi que Jansénius s’achemine vers le fameux chapitre xxi où se trouve exposée, en termes parfois contradictoires, une de ses thèses fondamentales, résumée dans la 3* proposition condamnée en 1653.

Jansénius insiste sur une définition de la volonté donnée par saint Augustin : motus animes, cogenle nullo, ad aliquid vel non omillendum t>rl adlptscendum ; d’où Jansénius conclut que, seule, la nécessité de coactio’n détruit la liberté. Dès lors, la volonté, tant qu’elle ?st esclave du péché, dominée par la concupiscence, n’est point libre ; seule, la grâce qui la délivre de cette servitude est la vraie liberté. Cependant les actes faits sous la poussée irrésistible de la concupiscence