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IXHESSE — IVROGNERIE


I. Définition et divisions.

1° Au sens propre, qui fait l’objet spécial de cet article, l’ivresse est un ensemble de désordre, principalement cérébraux, accompagnés, ou non, de vertiges, d’hallucinations, de délire, de furie, de sommeil, et déterminés par l’abus du viii, ou des autres boissons fermentées, plus ou moins alcooliques. Ces mêmes phénomènes, physiques et intellectuels peuvent aussi, à des degrés divers, être produits par l’absorption de substances médicinales, ou toxiques. On a ainsi l’ivresse éthérique, ou éthérisme ; l’ivresse cocaïnique, ou cocaïsme ; l’ivresse thébrique, ou théboïsme, provenant de l’opium ; l’ivresse cannabique, produite par le haschisch, extrait du chanvre ; l’iTesse morphinique, ou morphinisme, produite par l’abus de la morphine ; l’ivresse nicotinique, provenant du tabac ; l’ivresse quinique, produite par l’ingestion de quinine, à hautes doses ; l’ivresse iodique plus rare, provenant de doses trop fortes d’iodure de potassium, etc.

2° Au sens figuré, ce mot désigne simplement toute excitation de sentiments, de désirs, ou de passions : par exemple, l’ivresse de la gloire, de l’orgueil, du pouvo’r. du succès, du plaisir ; de l’amour, même légitime, comme la tendresse d’une mère ; l’ivresse de la joie, de la fortune, du bonheur ; l’ivresse du sang, ou propension inconsidérée à commettre beaucoup de meurtres et de carnages ; l’ivresse des sens, de la volupté, etc.

3° Nous ne parlerons pas ici, de l’ivresse mystique, qui n’est pas du domaine strict de la théologie morale, et qui sera traitée ailleurs. Voir Mystique.

II. Culpabilité.

Nature.

1..La malice de

l’ivresse, quand elle est pleine, totale et entière, provient de lf perte volontaire de l’usage de la raison, sans cause juste et grave, mais seulement pour le plaisir de boire. 2. Que la privation volontaire de l’usage de la raison ne soit pas, en soi, une faute, cela apparaît évident par la seule considération du sommeil naturel, qui prive totalement de l’usage de la raison, et qui a été constitué, par le créateur, comme le moyen régulier pour la conservation et la réparation des forces physiques, et même intellectuelles. Aucun remède n’est plus efficace contre l’épuisement produit par l’excès de la fatigue, dans l’âme et le corps, surtout dans la faculté de penser. La médecine, en effet, et l’expérience enseignent que le privation de sommeil trop prolongée, ou trop fréquente, agit d’une façon désajlreuse sur les fonctions du cerveau, bien plus encore que la privation exagérée de nourriture. 3. L’ivresse, quand elle est entière, non seulement trouble la raison, ou en gêne et même en empêche le libre exercice, dans les circonstances où s’imposerait la nécessité d’en user ; mais cause dans la raison et l’intelligence, une perturbation profonde, anormale, brutale même, qui produit, parfois, la plus bestiale, la plus violente, ou la plus honteuse des folies, de sorte que, par elle, l’homme créé à l’image et ressemblance de Dieu, se ravale au rang des animaux sans raison C’est en cela, surtout que consiste sa malice intrinsèque, car c’est faire une injure à Dieu, que de souiller ainsi et de déshonorer sa vivante image.

Gravité.

En divers endroits, saint Thomas,

semble dire que l’acte de s’enivrer n’est en lui-même que péché véniel, et que seule l’habitude le rendrait mortel, car l’homme n’est pas tenu à faire constamment usage de sa raison. De malo, q. ii, a. 8, ad 3 u n » ; q vii, a. 4, ad l"m ; In IV Sent., t. II, disl. XXIV, q. iii, a. 6. Mais, ailleurs, il enseigne clairement que l’ivresse, de sa nature, est péché mortel : De ebrietalc vero dicendum est, quod secundum suam rationem, habet quod sit peccatum morlale. Sum. llwol., I » flæ, q. lxxxviii, a. 3, ad 1°™. Il en donne la raison : Quod e.nim hume, absque necessitate, reddat se impotentem

ad utendum ratiom per quam homo in Deum ordinatur, et multa peccata occurrentia vilat, ex sola voluptate vint, expresse contrariatur virtuti ; elle ne serait péché véniel que dans le cas de surprise : Quod sit peccatum veniale, contingil propler ignoranliam quamdam vel infirmitalem : puta quum homo nescit virtutem vini, aut propriam debilitalem, unde non putat se inebriari. Sed quando fréquenter inebriatur, non potest per hanc ignorantiam excusari. Ces dernières paroles résolvent la difficulté que l’on pourrait formuler d’rprès les textes précédents, et montrent dans quel sens il faut les entendre. Ailleurs aussi, saint Thomas enseigne avec la même clarté que l’ivresse est, de soi, un péché mortel, Sum. theol., II" II Œ, q. cl, a. 2. Tous les docteurs l’ont suivi dans cet enseignement, qui est conforme à celui de saint Paul, Neque ebriosi regnum Dei possidebunl, I Cor., xvi, 10. Cf. S. Alphonse, Theologia moralis, t. V, De peccalis, c. iii, dub. v, n. 75, édit. Gaudé, t. ii, p. 760.

III. Cas pratiques.

1° Est-il permis de s’enivrer sur le conseil des médecins, pour guérir d’une maladie ?

L’opinion qui affirme que c’est permis, dans ce cas, est la plus probable, et elle est soutenue par les meilleurs auteurs. Elle s’appuie sur la doctrine de saint Thomas, que l’ivresse est péché, seulement quand elle est produite ex sola vini voluplate et absque necessitate. L’angélique docteur parle encore plus clairement à ce sujet, dans la Somme théologique, II a II æ, q. cl, a. 2, ad 3um : Dicendum quod cibus et potus est moderandus, secundum quod competit corporis valetudini ; et ideo sicut quando contingil, ut cibus vel potus qui est moderatus sano, sit superfluus infirmo, ila etiam poteste cpnverso contingere, ut ille qui est superfluus sano, sit moderatus infirmo. Et hoc modo, quum aliquis multum comedit, vel bibit, secundum concilium medicinæ, ad vomilum provocandum, non est repulandus superfluus cibus vel potus.

L’usage du chloroforme, de l’éther et des autres aneslhésiques, avant les opérations chirurgicales, est parfaitement licite, d’après renseignement de tous les théologiens modernes. Ces agents, d’ailleurs, ont pour but premier de produire le sommeil et l’insensibilité mais non pas l’ivresse.

2° Est-il permis de s’enivrer pour éviter la mort, dont on serait menacé, à moins qu’on ne s’enivrât ? — Cette question est plus controversée. Saint Alphonse, se prononce pour la négative, Theol. moralis, loc. cit., n. 77, t. ii, p. 7C2 ; mais beaucoup de graves auteurs se déclarent pour l’affirmative, tels que Busembaum, Lessius, Bonacinos, Layman, etc. En ciTet, si l’ivresse n’est pas intrinsèquement mauv : ise. et si elle n’est péché que ex sola vini voluptate et absque necessitate, comme l’affirme saint Thomas, loc. cit., pourquoi serait-elle défendue, dans ce cas de.péril imminent de mort, alors qu’elle est permise, dans le cas de maladie ? Cf. Ballerini, Opus theologicun^ morale in Busembaum medullam, tr. IV, De peccatis, c. iii, dub. V, a. 2, t. i, p. 586 sq.

3° Quant aux autres cas qui peuvent se présenter, il est lacile de les résoudre, d’après le principe que l’ivresse est péché seulement quand elle est produite sine necessitate et ex soli vini voluptate.

IV. Des maux commis durant l’ivresse — Ils ne sont imputables, que dans la proportion où ils ont été prévus, et si les précautions n’ont pas été prises pour les éviter. S. Alphonse, Theol. moralis, loc. cit., n. 78, u. ".), t. ii, p. 764.

T. Ortolan.

    1. IVROGNERIE##


IVROGNERIE. -C’est l’habitude de s’enivrer. Elle rend plus coupables les actes d’ivresse, comme l’explique saint Thomas, ! >< malo, q. ii, a. 8 ; q. vu. a. 4 ; Sum. theol, 1° -II », q. i.xxxviii, a. 1, ad l" m. Voir IvBBSSB.