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INCARNATION


coiuprcliensive, celle de corps humain ou nicme d’hoinine. L’hébreu n’ayant pas, comme le français, de mot particulier pour distinguer le corps de la chair, c’est le même terme bâidr qui réunit ces deux significations. Ainsi, le ps. xv, 9, distinguant « la gloire », c’est-à-dire l’âme supérieure, l’esprit, du cœur, siège du sentiment, et de la cliair, c’est-à-dire du corps, marque bien cette acception du mot bÛKÙr dans l’énumération des parties intégrantes du composé humain. Cette énumération du ps. xv est très exactement reproduite par saint Paul, I Thés., v, 23, qui parle explicitement du corps, ow[jia. On comprend ainsi que par sjTiecdoquc chair signifie le corps tout entier. La sainte Écriture fournit de nombreux exemples de cette acception : le soin de la chair, Rom., xiii, 14 ; sa chair n’évitera pas la corruption, Act., ii, 31 ; ma chair reposera avec espérance, Act., ii, 26 ; la chair du Christ, pour le corps du Christ, corps soumis à la souffrance et à la mort, Eph., ii, 15 ; Heb., x, 20 ; I Pet., iii, 18 ; iv, 1 ; une seule chair des époux dans l’usage du mariage, Walth., xix, 5 ; Marc, X, 8 ; 1 Cor., VI, 16 ; Eph., v, 31 ; cf. Gen., ii, 24 ; voir d’autres exemples : Eph., v. 29 ; I Cor., v, 5 ; Col., II, 1, 5 ; I Pet., III, 21 ; IV, 6 ; Jac, v, 3 ; Heb., ix, 10 ; Gal., iii, 3. De là à la signification d’homme, l’âme étant comprise implicitement dans le corps humain, il n’y a qu’une nuance imperceptible. On trouve ainsi « toute chair » équivalent de « tout homme », Luc, ni, 6 ; cf. Is., xl, 5 ; Joa., xvii, 2 ; Act., ii, 17 ; cf. Joël, 11, 28 ; I Pet., i, 24 ; non omnîscoro, synonyme de « personne ». Matth., xxiv, 22 ; Marc, xiii, 20 ; Rom., ni, 20 ; I Cor., i, 29 ; Gal., ii, 16 ; chair et sang, signifiant l’homme tout entier, Matth., xvi, 17 ; Gal., I, 16 ; Eph., vi, 12 ; cf. Ecch., xiv, 19 ; I Cor., XV, 50. On comprend ainsi toute la signification du verset : Et Verbum caro faclum est. Le Verbe s’est fait chair, c’est-à-dire « homme ». Le mot chair est employé ici de préférence à tout autre, parce que l’usage de la langue hébraïque, tel que nous venons de le rappeler, autorisait pleinement cette façon de s’exprimer, et sans doute aussi pour marquer avec jilus d’expression la réalité de la chair du Christ et tlonner ainsi le coup de mort au docétisme. Comparez Texpression : venu en chair, dont l’apôtre saint Jean se sert dans ses Épîtres pour combattre le docétisme naissant : « Plusieurs séducteurs ont paru dans le monde ; ils ne confessent point Jésus comme Christ venu en chair. » II Joa., 7. « Tout esprit qui confesse .Jésus-Christ venu en chair est de Dieu ; tout esprit qui ne confesse pas ce Jésus n’est pas de Dieu. » I Joa., IV, 3. Voir Docétisme, t. iv, col. 1488. L’emploi du mot « chair », au lieu de « homme » peut encore subsidiairement se justifier ici, ainsi qu’on l’a déjà fait observer, parce qu’il est plus humble et marque avec plus d’énergie les profonds anéantissements du Fils de Dieu. Cf. Phil., ii, 6.

2. Consécration de cette équivalence dans la tradition primitive. — Toutes les nuances de l’équivalence de caro ou de homo, dont l’Écriture nous offre des exemples, se retrouvent dans la tradition (les premiers siècles. Nous nous en tiendrons ici strictement à la double équivalence <]u’on a signalée et qui se rapporte plus directement au présent sujet, savoir caro = corpus ; caro = homo. Épltre de Barnabe, on y retrouve les préoccupations antidocètes des Épîtres johanniques : Jésus a livré sa chair, c’est-à-dire son corps, v, 1 ; vi, 3 ; vii, 5 ; il est apparu dans la chair, v, 6 ; vi, 7, 9, 14 ; xii, 10 ; il est « venu dans lachair », V, 10, 11 ; (élément dans / » C’; r., xxxii, 2, pour désigner Jésus-Christ considéré dans son humanité, emploie l’expression ô xupioç’ly]ao~jç ib xaxà csàçix.<x. que l’on retrouve presque identique chez saint Ignace, Ad Magn., xiii, 2. Dans // » Cor., chair est syno nyme d’homme en général, vii, 6 (citation d’Is., Lxvi, 24) ; de fragilité humaine, viii, 2 ; de corps proprement dit, IX, 1, 2, 3 ; au verset 4, réminiscence évidente de Joa., i, 14 ; Christus caro factus est. Plus loin, XIV, 3-5, l’Église est dite la chair, c’est-à-dire le corps du Christ. Dans les Épîtres ignatiennes, la chair désigne tantôt l’humanité, opposée à la divinité, c’est-à-dire considérée dans ses faiblesses. Ad Magn., III, 2 ; VI, 2 ; Ad Rom., ii, 1 ; viii, 3 ; Ad Pliil., vii, 1, 2 ; tantôt le corps proprement dit opposé à l’âme, soit dans l’homme, Ad Magn., xiii, 1 ; Ad Trall., inscript. , XII, 1 ; Ad Polyc. v, 1 ; Ad Rom., inscript. ; soit en Jésus-Christ, Ad Magn., i, 1 ; Ad Smyrn., I, 1. La génération humaine du Christ est dite, comme dans l’Écriture selon la chair. Ad Eph., xx, 2 ; le Verbe fait homme est dit Dieu existant dans la chair. Ibid., VII, 2. Dans YÉpître à Diognète, v, 8 ; vi, 5, 6, et dans le Pasteur d’IIermas, le mot chair, opposé à l’esprit et à Dieu, signifie la faiblesse de la nature humaine laissée à sa déchéance. - — Chez les Pères apologistes se précise déjà l’équivalence de caro et de homo, à propos de l’incarnation, dans des formules qui préludent à la formule dogmatique définitive. Saint Irénée, dans sa lutte contre les hérétiques, identifie pleinement, dans l’expression du mystère du Fils de Dieu fait homme, chair et homme. Pour lui, « le Verbe s’est fait homme » est pleinement l’équivalent de : « Le Verbe s’est fait chair. » Ainsi Cont. hær., 1. 111, c xviii, n. 7 : « Le Verbe de Dieu s’est donc fait homme ; car Moïse a déclaré vérité les œuvres de Dieu. Deut. xxxii, 4. Si donc il ne s’était pas fait chair, il en aurait cependant eu l’apparence, et donc l’œuvre de Dieu n’eût pas été vérité. Ce qu’il paraissait, il l’était en réalité. Dieu récapitulant (c’est-à-dire restaurant en lui et par lui) la nature même autrefois donnée à Adam. » P. G., t. vii, col. 938. Cf. c. XIX, n. 2, col. 940. Dans ce c xix, l’incarnation est désignée par le terme aa.py.o)aiç, col. 939. C’est la première fois qu’on rencontre cette expression. Et encore, I. V, c. xviii, n. 3 : « Le Verbe s’est fait chair… il est Verbe de Dieu et vrai homme, » col. 1174. Cf. Demonstratio apostolicas prædicationis, Fribourg-en-Brisgau, 1917, n. 32, 94. Dans Justin, comparez aap>co7cof/]0elç’lYjaoCç, Apol., I, n. 66, P. G., t. VI, col. 428, et avOpwTioç Y^^ô[j, evoç, n. 63, col. 453. Tout aussi expressif Tatien, parlant de l’homme sans la grâce, par opposition à Dieu, aCTapxoi ; (i.sv oùv ô TÉXeioç Qsbç, écvOptoTroç 8è aâpÇ. Aduersus Grsecos, n. 15, ibid., col. 837. Pour indiquer l’incarnation, Aristide écrit que le Fils de Dieu a pris chair, aâpxa àvéXaês, de la Vierge, Apologia, n. 15, Texts and studies de Robinson, t. i, fasc, 1, p. 110. Accusant Calliste de sabellianisme, saint Hippolyte parlait de l’Esprit, non différent (oùx ËTSpov) du Père, et qui s’était incarné, oapxwOév. Philosophoumena, t. IX, c. XII, P. G., t. XVI, col. 3383. Cf. aapxojŒtç, dans le Contra Noetum, n. 17, P. G., t. x, col. 823, équivalent à ihûpcùnoi ; yevôfXEVoç, dans le sens d’homme parfait, zekeioçPliilosophoumena, t. X, c. xxxiii, P. G., t. XVI, col. 3447. On trouveaussi aàpy-oimç dans le Contra Beronem, faussement attribué à Hippolyte, 7-*. G., t. X, col. 829. Tertullien identifie homo et caro, en parlant de l’humanité de Jésus-Christ. De carne Christi, c. v ; Adversus Praxeam, c. xxvii, P. L., t. II, col. 761, 190. On le voit par ces textes, l’expression Dieu ou Verbe incarné est consacrée dès la seconde moitié du iie siècle. Si Clément d’Alexandrie se contente encore d’affirmer que le Verbe a « pris chair », a « revêtu la chair », Prot., c. i, xi ; Ptedag., t. I, c m ; Strom., VI, c. XV, P. G., t.vm, col. 60, 228, 258, 349. Origène dit expressément homo factus incarnatus est. De princ., t. I, præf., n. 4, P. G., t. xi, col. 117 ; cf. In Joa., t. i, n. 9, P. G., t. xiv, col. 37.