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IMPUTATION — INCARNATION


Adam, par sa désobéisssance, nous a constitués pécheurs. Voici que le Christ, par son obéissance, nous fait justes. La controverse entre protestants et catholiques au sujet de la cause formelle de la justification est classique en théologie. Elle nous fournit un cas intéressant d’imputation non fondée. Luther a soutenu que l’homme est justifié formellement par l’imputation qui lui est faite de l’obéissance et de la justice du Christ, à l’exclusion d’une justice intérieure et personnelle. L’homme peut être injuste et pécheur en son fond ; sous le couvert de la sainteté du Christ, il sera considéré comme juste devant Dieu, ses péchés cesseront de lui être imputés. Donc, imputation d’une justice qui n’existe pas, non-impulation du péché qui demeure, c’est tout ce qu’a trouvé pour remplacer la justification au sens calliohque, le brillant exégète, le contempteur de la théologie scolastique. A moins de professer un pur nominalisme, c’est la suppression même de l’imputabihté. L’homme ne fait pas sienne cette justice extérieure qui le couvre sans le renouveler ; il n’en est l’auteur à aucun degré, puisque Luther le déclare incapable de s’y préparer et que la foi dite justificmte ne représente pas selon lui une disposition morale, mais un simple organe appréhenseur de la justice du Christ.

Autrement justifiée et pliilosophique est l’imputation à la personne du Verbe de tout ce qui constitue le Christ, de tout ce qui lui appartient, de tout ce qu’il fait ou subit. Ses deux ntaures, sa double opération, ses œuvres divines et humaines, ses souffrances et ses mérites, le Verbe possède et revendique tout en propre, il préside à tout et il assume la responsabilité de tout : il est l’unique centre d’attribution ou le sujet à qui tout est rapporté, imputé ; aclioiies sunt supposilorum, proclame un vieil adage philosophique. Voir col. 595596.

S. Thomas, Siim. Ilieol., Ia-IIæ, q. vi ; Noldin, De principiis Iheologiie j/ioruZis, t. i, n. 79, 80 ; Billot, Disquisitio de natura et ratione peccati personalis. th. iv, x ; De peccato origlnali, § l, 2 ; Hiirter, Compendiiiin theologiæ, t. iii, n. 189.

A. Thouventn.

    1. INCARNATION##


INCARNATION. L'étude du mystère de l’incarnation s’offre à nous sous de multiples aspects : révélation du mystère, proposition du dogme, histoire et réfutation des hérésies, etc. L’ensemble de ces matières qui toutes ont trait à la personne sacrée du Verbe fait chair conslitue le traité Ihéologique De Deo redemptore ou De Verbo incarnato. Il ne saurait ici être question d’un exposé théologique de ce genre. Chaque aspect différent du problème christologique doit constituer l’objet d’un article spécial. Il semble toutefois utile, dans le présent article, de délimiter la matière des principaux articles concernant NotreSeigneur Jésus-Christ. Tout d’abord s’impose la division classique du traité du Verbe incarné, christologie, ou mystère de l’incarnation, et sotériologie, ou mystère de la rédemption. On trouvera à Rédemption les indications concernant les questions relatives à la sotériologie. Dans le problème christologique, le point de vue historique a déjà été et sera encore l’occasion de maints articles concernant les hérésies, les erreurs, les définitions conciliaires relativement à l’incarnation. Au point de vue strictement dogmatique, il a paru bon de répartir en trois articles fondamentaux l’exposé des vérités catholiques touchant le mystère de l’Incarnation. Par la nature même de la vérité dogmatique qui en forme l’objet, l’article Hyi-osta tique (Union) se trouve facilement délimité. II étudie exclusivement le mode selon lequel, en Jésus-Christ, s’unissent la nature divine et la nature humaine. L’article JÉsusCiiKisT nous fera envisager le résultat de cette union, le sujet concret, Dieu et homme, qui est apparu aux

hommes sur la terre, a vécu et conversé avec eux, et dont les ennemis de la toi chrétienne ont essayé, tour à tour, de nier la divinité ou l’humanité. Toutefois, la divinité de Jésus y devra être considérée sous l’aspect qu’elle possède dans le Verbe incarne'. La divinité du Verbe, comme tel, a déjà été l’objet d’une étude spéciale, F’ils de Dieu, et devra derechef être abordée dans la question plus particulière du Logos. Le présent article. Incarnation, considère le mystère de l’Homme-Dieu d’une façon plus abstraite, in fieri, pourrions-nous dire, c’est-à-dire dans sa nature et son intelligibilité, dans sa possibilité et dans ses causes. On considérera donc successivement : I. Définition et notions générales. II. Le mystère. III. Le dogme. IV. Possibihté, convenance et nécessité. V. Cause finale. VI. Cause efficiente. VII. Cause formelle. VIII. Cause quasi matérielle. Les Pères et les théologiens du mystère de l’incarnation seront indiqués dans la bibliograpliie qui constituera un simple répertoire des principaux ouvrages catholiques sur l’incarnation.

I. DÉFINITION ET NOTIONS GÉNÉRALES. 1° Etg rnologic. — L’usage a voulu que le terme « incarnation » désignât le mystère du Verbe de Dieu fait homme. Le sens étymologique du mot incarnation n’a pas cependant cette extension. In-carné signifie fait ou devenu chair, et non pas (ail homme. Or, considéré en soi, le mot « chair », désigne un genre, dont la chair liumaine est l’espèce supérieure. De plus, la chair, même prise dans l’acception de chair de l’homme, n’exprime qu’une partie de la nature humaine que le Verbe s’est unie hypostatiquement. Ainsi donc, à ne considérer que les réalités qui composent la nature humaine, il semblerait tout aussi correct, sinon plus conforme à la dignité de l'âme, par qui est spécifiée la nature humaine, d’appeler « inanimation » le mystère du Verbe fait homme. Si l’usage a fait prévaloir le terme incarnation, ce n’est pas seulement pour les raisons de convenance qu’indique saint Bonaventure, Breviloquium, part. IV, c. ii, à savoir, de notre part, intelligence plus facile du mystère, la chair nous étant plus connue que l’esprit ; de la part de Dieu, expression plus parfaite de l’humiliation du Verbe et de sa condescendance à notre égard, la chair étant dans l’homme ce qui est le plus distant de Dieu ; c’esl encore et surtout parce que, dans l’usage de l'Écriture et des Pères le mol chair est employé par synecdoque pour signifier l’iiomine tout entier. — 1. Équivalence de « caro » et de « homo » dans Y Écriture. - La sainte Écriture emploie le mol cliair selon (les acceptions très différentes, mais ayant toutes un rapport étroit avec la sign.fication propre de ce mot. A jiroprement parler, la chair désigne, dans le corps, les parties qui ne sont ni os, ni sang ; c’est en ce sens que l'Écriture parle de la chair de l’homme, sans préciser qu’elle désigne le corps humain ou même l’homme entier, Gen., ii, 21 ; xvii, 11-14 ; xl, 19 ; Ex., XXX, 32 ; Lev., xtii, 2 : xv, 3 ; xxvi, 29 ; Deut., xxviii, 53, 55 ; IV Reg., iv, 34 ; v, 10, 14 ; ix, 36 ; Job, ii, 5 ; vi, 12 ; x, 11 ; xxxui, 21, 25 ; Piov., v, 11 ; xiv, 20 ; Sap., vii, 1 ; Ecch., xiv, 18 ; Ezech., xxxvii, 6 ; Jer., xix, 9 ; Bar., ii, 3 ; etc. ; à cette façon de parler, on peut rapporter la promesse de JésusChrist relative à l’eucharistie. Joa., vi, 52, 57. Laissant de côté les acceptions où l’analogie est plus accentuée (chair désignant la faiblesse dans l’ordre moral, ou l’impuissance de la nature dans l’ordre surnaturel, ou la corruption du péché par rapport à la vie de la grâce ; chair désignant dans l’ordre physique la parenté et l’union très étroite de diverses personnes, l’unité de race), nous n’entendons considérer ici que la synecdoque par laquelle on passe de la signification propre du mot chair à une signification plus