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IRÉNÉE (SAINT)


composé, n y a du désordre et des redites. Nous avons vu qu^^nlltcu^ abuse de l’allégorie dans l’interprétation de l'Écriture. Mais ces défauts sont rachetés par des qualités réelles. N’insistons pas sur la lettre des martyrs lyonnais, sortie très probablement de la plume d’Irénée, et qu' E. Renan. Marc-Aurèle et la fin du monde antique, 3e édit., Paris, 1882, p. 339, 340, a appelée « admirable » et « la perle de la littérature chrétienne au iie siècle. » Le Contra tiœreses se distingue par la force dans l’expression et le raisonnement, et, dans le ton, par le calme, la mesure, la sobriété qui conviennent à une œuvre de controverse. « Chose singulière, dit Freppel, Saint Irénée, p. 477-478, cet homme de l’Orient conduit par la Providence au milieu de la Gaule du n » siècle, a toutes les qualités de l’esprit occidental, et, si je ne craignais le paradoxe, j’ajouterais de l’esprit français : la clarté et la précision. » Assez souvent le style, d’ordinaire simple et uni, s’anime, se colore, sculpte dans un relief très net une pensée heureuse. Voici des exemples, qu’il serait facile de multiplier. Sur Dieu, t. III, c. xxv, n. 3, col. 968 : Deus non est cui bnnitas desit ; t. IV, c. xiv, n. 1, col. 1010 : Initia, non quasi indigens Deua hominis, plasmavit Adam, sed ut haberet in quem collocarct sua bénéficia. Sur le Christ et son œuvre, t. V, prsef., col. 1120 : Propter immensam suam dilcctionem factus est quod sumus nos uti nos perficeret esse quod est ipse ; t. IV, c. XX, n. 2. col. 1 033 : Ul in carne Domini nostri occurrat paterna lux, et a carne ejus rutila uenial in nos, et sic homo deuenial in incorruplelam, circumdatus paterne lamine ; c. xxxiv, n. 1, col. 1083 : Quid igitur Dominas attulit veniens ? Cpgnoscite quoniam omnem novitatem atlulit, semetipsum aljerens. Sur l'Église gardienne de la foi, t. iii, c. x.xjv, n. 1, col. 966 : Quam perceptam ab Eeclesia custodimus et quæ semper a Spirilu Dei, quasi in vase bono eximium quoddam depositum juvenescens et juvenescere faciens ipsam vas in quo est. Sur la vérité et l’erreur, t. III, c. xv, n. 2, col. 918 : Suasorius enim et verisimilis est et exquirens fucos error ; sine, fuco autem est Veritas, et propter hoc pueris crédita est. Sur notre préparation au ciel, t. V, c. vra, n. 1, col. 1141 : Nunc autem parlem aliqaam a Spiritu ejus sumimus, ad perfcclionem et præparationcm incorruptelie, paulatim assuesccntes capere et portare Deum. Sur les progrès de la connaissance en ce monde et en l’autre, I. ll, c. xxviii, col. G06 : Ut semper quidem Deus doccat, homo autem semper discal quæ sunt a Deo.

L’homme.

L’homme ne se révèle-t-il pas dans ce langage ? Et ces beaux mots sur Dieu, le Christ, l’amour, la lumière, n’indiqut’nl-ils pas un disciple de saint Jean ? Disciple de saint Jean il le fut, sinon au sens strict du mot, du moins par l’intermédiaire de saint Polycarpe. Il le fut par tout l'élan de l'âme. Sans doute il a, ainsi, du reste, que saint Jean, de rudes paroles contre les hérétiques. Cf. I. I, præf., n. 2 ; c.xxxi, n. 3 ; l. II, c. x, n. 1 ; c. xiv, n. 5 ; c. xvii, n. 9-10 ; c. XXVI, n. 1 ; c. xxxi, n. 2-3 ; t. III, c. ii, n. 3 ; c. xv, n. 2 ; c. XXIV, n. 2 ; c. xxv, n. G ; t. IV, c. xix, n. 1, 3 ; 1. V, c. viii, n. 2, col. 441, 705, 735, 752, 766, 800, 824825, 847, 920, 931-932, 967, 970, 1030, 1031, 1142-1143. Mais il aime ceux qu’il reprend ; étranger, déclaret-il, I. I, præf., n. 3, col. 444, aux délicatesses du style, il écrit avec amour et il demande que ce soit avec amour qu’on le lise. Parce qu’il les aime, il prie pour eux, t. III, c. xxvi, n. 7, col. 970-972 : « Nous prions Dieu, afin qu’ils ne demeurent pas dans cette fosse qu’ils se sont creusée, qu’ils se séparent de ce qu’ils nomment leur Mère, qu’ils sortent de l’Abîme, qu’ils laissent le Vide, abandonnent l’Ombre, afin qu’ils naissent véritablement en se tournant vers l'Église de Dieu, qu’ils forment le Christ en eux et connaissent l’auteur et créateur de l’univers, le seul vrai Dieu et Seigneur de toutes choses. Voilà notre prière pour

eux, car nous les aimons plus utilement pour leur salut qu’ils ne s’imaginent s’aimer eux-mêmes. Notre amour est véritable… C’est pourquoi par tous les moyens nous tenterons de leur tendre la main, et nous ne nous lasserons pas. » Quelle ferveur d’accent dans la supplication que, au cours d’un exposé sur le mystère de la Trinité, il adresse aux Trois, Père, Fils et Saint-Esprit, t. iii, c. T, n. 4, col. 862-863, pour les lecteurs de son ouvrage : Et ego igitur invoco te. Domine…, da omni legenti hanc scripturam agnoscere te, quia solus Deus es, et conftrmari in te, el absistere ab omni hæretica et, quæ est sine Deo, impia sententia ! Les menées grecques ont admirablement exprimé ce caractère aimant de l'évêque de Lyon : 'EpoTiâ yàp tw Ttpôç oùpavoùç tiôOco. P. G., t. vii, col. 428. Auparavant Eusèbe, H. E., t. V, c. xxiv, p. G., t. XX, col. 508, et saint Jérôme, De viris illustribus, c. xxxv, P. L., t. xxiii, col. 649, avaient noté qu’il fut pacifique comme son nom. E. Renan, J Marc-Aurèle et la fin du monde antique, 3e édit., Paris, I 1882, p. 341-342, injuste pour les qualités d’esprit d’Irénée, n’hésite pas à lui reconnaître « une conscience morale des plus saines » et le plus rare sens pratique. A une foi exaltée il unit une modération qui étonne ; à une rare simplicité il joint la sc’ence profonde de l’administration ecclésiastique, du gouvernement des âmes… Il a moins de talent que TertuUien ; mais combien il lui est supérieur pour la conduite et le cœuri »

Le docteur.

P. Galtier, L'évêque docteur : saint Irénée de Lyon, dans les Études, Paris, 1913, t. cxxxvi, p. 220-223, prosente Irénée « à la fois comme le plus ancien et le plus actuel des évêques docteurs, » et poursuit : « Ce n’est pas assez cependant, et nous eussions voulu dire aussi : « le docteur de l'Église. L'Église de France lui donnait ce titre jadis. La messe qui lui est attribuée, le 4 juillet, pro aliquibus locis, dans le missel romain, met uniquement en relief son influence doctrinale… Les deux conditions, par conséquent, requises d’après Benoît XIV, pour recevoir le titre de docteur, cette liturgie les proclame vérifiées dans saint Irénée : l'éminence de la doctrine égale chez lui la sainteté de la vie. » Et il appelle de ses vœux le jour où l'Église romaine insérera le nom d' Irénée au calendrier de l'Église universelle et ornera le front de l'évêque de Lyon de l’auréole des docteurs. On ne peut que le souhaiter et l’espérer avec lui. Pour l’heure, cependant, une difRculté existe. Ce qui la crée, ce n’est pas, semble-t-il, le fait des deux ou trois opinions erronées qui apparaissent dans le Contra hæreses, mais la solution proposée par Benoît XIV. P. Galtier a cité le De servoram Dei bcaliflcatione et bcalorum canonizatione, t. IV, part. II, c. XI, n. 13, Prato, 1841, t. iv, p. 511. Un peu plus loin, c. xii, n. 9, p. 518, Benoît XIV dit que saint Irénée, comme saint Ignace et saint Cyprien, tout en ayant ce qui est exigé pour les docteurs, n’est pas honoré comme tel : statuendum esse videtur… sexto ss. Ignatium, Irenfeum et Cijprianum, habentes requisita doctorum non coli lanquam doctores sed tanquam martyres, cum nunquum scparetur officium doctoris ab officia confessoris. Remarquons l’expre.sion : statuendum esse videtur ; Benoît XIV n’affirme pas carrément. Remarquons encore que, à l’appui de cette affirmation que l’office de docteur n’est jamais séparé de l’office ^ de confesseur, il cite seulement l’autorité de C. Guyet, Ileortologia sive de festis propriis locorum et ecclesiarum, t. II, c. VII. q. 21, qui est celle d’un simple liturgiste. ! Le sentiment de Benoît XIV paraît donc révisable. Il a|)partient à l'Église, si elle le juge utile, de se prononcer là-dessus.

Quoi qu’il en soit, le rôle dogmatique d’Irénée fut de toute première importance. Un des savants protestants, qui ont le mieux connu l’ancienne littérature chrétienne, T. Zahn l’a apprécié de la sorte, Realen-