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IRENEE (SAINTE


était le mystère. En exposant au grand jour les doctrines gnostiques, Irénée entamait leur prestige. Un autre élément de sa réussite, c'étaient la complication apparente du système et ses allures scientifiques. Au fond, cette espèce d’histoire de l’univers en proportions colossales, avec multiplication de mondes et multiplication d'êtres divins, était moins extraordinaire qu’elle n’en avait l’air, et il ne faudrait pas que l’abondance des détails abusât sur le caractère simpliste de pareilles conceptions : < enseigner qu’il y a trois cent soixante-cinq cieux et trois cent soixantecinq ordres d’anges, ce n’est pas imposer plus d’efforts à l’intelligence que de lui enseigner qu’il n’y a qu’un ciel et qu’un Dieu. » Mais l’imagination trouvait à se repaître dans ces fantasmagories, » et en même temps l’on avait la flatteuse persuasion d’avoir dépassé le christianisme df la grande Église. » P. Rousselot et J. Huby, Chhstus, 2e édit., Paris, 1916, p. 1054-1055. En soufflant sur ces bulles de savon, Irénée les fit évanouir. Quant aux quelques idées originales qu’il y avait, sous ces travestissements mythologiques du christianisme, Irénée montra non seulement qu’elles ne résistaient pas à l’examen de la raison, mais encore qu’elles n'étaient plus du christianisme : le gnosticisme apparaissait tout au plus comme « une tentative d’intellectuels chrétiens, quelques-uns d’une exceptionnelle vigueur, affirmant leur droit de spéculer et de systématiser, de dogmatiser, au sens propre du mot, à la façon des écoles païennes de philosophie, » et, si l’on veut, comme « la première grande tentative de sécularisation du christianisme. » P. Batifïol, Le gnosticisme, dans le Bulletin de littérature ecclâsiastique, Paris, 1907, p. 167. Les trois points sur lesquels Irénée établit que porte l’erreur gnostique, en plus de la nécessité d’une règle de foi invariable et sûre que fournit l'Église, à savoir l’unité de Dieu créateur du monde (d’où la réfutation du dualisme et du panthéisme), le christocentrisme (péché originel, christologie et sotériologie), le salut de tout l’homme, y compris le corps, c’est le christianisme tout entier. Le gnosticisme a donc fait fausse route sur toute la ligne. La démonstration d' Irénée a été mortelle pour l’hérésie. Irénée écrivit vers 1 80, et c’est peu de temps après que fleurirent Héracléon, Apelle et le rénovateur de l’ophitisme. Nous savons, par ailleurs, que le Contrœhæreses fut traduit en latin, en arménien et, au moins fragmentairement, en syriaque, et cela très vite en ce qui concerne la version latine, qu’il parut livre par livre (sauf les livres I et II) : ce nous est une preuve de l’intérêt qu’il excitait, du retentissement qu’il eut, de l’influence qu’il exerça. L'Église prenait une offensive redoutable. Le gnosticisme se sentit atteint. De là, selon toute vraisemblance, l’effort d’Héracléon, d’Appelle, des ophites. Cf. A. Dufourcq, Saint Irénée (collection Les swm/s), p. 169-1 76 ; (cllection La pensée chrétienne), p. 29-31 : il compare l’influence du Contra hæreses sur cette transformation à celle de V Histoire des variations de Bossuet sur l'évolution du protestantisme. De lii, peut-être, à partir du nie siècle, chez les gnostiques. cette « prédominance de l’idée sacramentelle, » cette initiation aux rites et aux mystères, qui avait prise sur la masse. Cf E. de Faye. Gnostique^ et gniisticismc, p. 456, 460. On atténua la doctrine gnostique, on imita la liturgie de l'Église. Le gnosticisme eut beau faire ; il ne se releva pas de n'être pas du christianisme et de ce qu’on le savait. Le libertinage acheva sa déconsidération. Cf. E. de Faye, p. 458-459. La M’anifeslalion et réfutation de la fausse gnose a réfuté d’avance toutes les hérésies en mettant à sa place l’autorité doctrinale de l'Église ; elle a atteint directement toutes les hérésies plus ou moins gnosticisantes. C’est le cas de certaines sectes du protestantisme, par exemple, les anabaptistes, de l’avis de Des DICT. DE THÊOL. CATHOL.

gallards, l'éditeur protestant d' Irénée, P. G., t. vii, col. 1331. Et même P. Batilïol, Le gnosticisme, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, Paris, 1907, p. 166-167, a cru pouvoir expliquer la complaisance des critiques protestants allemands pour le gnosticisme par cette raison que < le gnosticisme est bel et bien l’individualisme, le sectarisme, le libre examen, la libre critique, la libre spéculation, l’indépendance en face de la règle de foi, de la tradition et du magistère ecclésiastique. — d’un mot, le grand ancêtre du protestantisme.

Il a fondé la théologie chrétienne.

D’abord, non pas en innovant, mais en se rattachant au passé, en le continuant, en l’enrichissant, en l’explicitant, surtout en fixant, d’une manière si forte, la règle de foi, qui assure tout. On trouve en lui une doctrine et une méthode. La leçon de méthode est, dit P. Galtier, L'évêque docteur : saint Irénée de Lijen, dans les Études, Paris, 1913, t. cxxxvi, p. 220, « que le mépris ou la haine des novateurs ne suffit pas à la défense de la foi. Il y faut la connaissance de leurs procédés et la pénétration de leurs sytèmes. Mais, l’inconsistance de leurs pensées une fois mise au jour, il importe surtout d’y pouvoir opposer l’harmonieuse simplicité de la doctrine transmise. L’avoir apprise de ceux qui ont mission de l’enseigner, la posséder dans toute son intégrité, la scruter et la méditer sous le regard de l'Église qui en a reçu le dépôt, permet de dépister et de juger tous les docteurs de nouveautés. La confiance au * charisme de vérité qui rend l'Église indéfectible, voilà, en un mot, ce que prêchent la vie et les œuvres de saint Irénée, » et voilà pour la méthode. Voici maintenant pour la doctrine. Le premier, et le seul, de tous les anciens, il a un exposé relativement complet du dogme catholique. Pour ne rien dire de ses écrits non connus et qu’on peut espérer de lire un jour, en particulier de ce traité De la science, qu’Eusèbe quai. fie de t court mais nécessaire, H. E., t. V, c. xxvi, P. G., t. XX, col. 509, le Contra hæreses et la Démonstration de la prédication apostolique constituent une sorte de somme de théologie des origines chrétiennes. Ailleurs on glane ; là on moissonne à mains pleines. Et non seulement Irénée offre des anticipations de la dogmatique ultérieure, non seulement il aborde presque toutes les questions vitales ; mais encore il a eu le mérite de donner au Christ la place à laquelle il a droit. « La doctrine du Christ, dit P. Beuzart, Essai sur la théologie d’Irénée, Paris, 1908, p. 129 ; cf. p. 8384, forme la pierre angulaire de toute construction théologique. Irénée l’a senti suffisamment pour traiter cette partie avec une grande ampleur. Ce point de son système est vraiment original, » et tout le reste en tire son explication, sa solidité et sa splendeur.

IV. L'ÉCRIVAIN, L’HOMME, LE DOCTEVR. 1° Uécvi vain. — Irénée était sans prétentions littéraires. « Nous n’avons pas l’habitude d'écrire, dit-il, Cont. h<er., t. I, prœf., col. 444 ; nous n’avons pas étudié l’art du discours… Demeurant parmi les Celtes, obligé de parler le plus souvent une langue barbare, n’attendez de nous ni l’art de l'éloquence que nous n’avons pas appris, ni la force et les grâces du style que nous ignorons. Recevez avec charité ce que la charité nous a fait écrire sans ornement, dans un langage simple, mais conforme à la vérité. » En dépit de cette modestie d’auleur, plus. ou moins sincère, saint Jérôme, Episl., Lxxv, P. L., t. xxii, col. 688, juge que le Contra hæreses fut écrit doctissimo et cloquentissimo sermone. Nous n’avons pas l’original grec, mais nous en possédons des fragments assez considérables pour constater que l'éloquence, au sens usuel du mot, et l’agrément du style ne sont pas le fait d’Irénée. Son langage est simple, comme il l’a annoncé, et quelque peu terne. Le plan est confus, l’ouvrage médiocrement

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