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IRENEE (SAINT]


conservée la tradition apostolique, ne s’accordent pas avec l'Église romaine. Dans le second cas, la nécessité est morale : les autres Églises ont le devoir de s’accorder avec l'Église de Rome.

Pouvons-nous avancer plus loin ? La primauté de l'Église de Rome est elTective. Est-elle souveraine ? Irénée ne le dit pas explicitement ; il oriente vers cette conclusion. S’il est nécessaire que toutes les Églises particulières s’accordent avec celle de Rome à cause de sa primauté, c’est que la croyance de Rome est la règle suprême de la foi universelle. Indiquer la fol qu’elle annonce aux hommes, c’est confondre tous les fauteurs d’hérésie ou de schisme, omnes eos qui quoquo modo… præterquam oporlel colligunt. N. 2, col. 849 ; cꝟ. 1. I V, c. XXVI, n. 2, col. 1 054. Et si une Église fondée par les apôtres entrait en conflit avec Rome ? L’hypothèse est étrangère à la perspective irénéenne ; chez lui aucune allusion à la possibilité d’un désaccord doctrinal de ce genre. Mais, si le cas se présentait — en fait il s’est produit dans l’histoire — Irénée sûrement n’hésiterait pas à donner la préférence à Rome ; l’accord qu’il conçoit ne consiste point en ce que Rome aille vers les autres Églises, mais en ce que les autres Églises aillent vers Rome. C’est Rome qui aurait le dernier mot. Cf. G. Semeria, Dogma, gerarchiae culto nclla Chirsa primiliva, Rome, 1902, i. 304.

Enfin, quand il parle du principat spécial de l'Église romaine, Irénée entend qu’il réside dam le pape, son chef. C’est de la succession épiscopale, qui va des apôtres à nous, eos qui ab aposiolis insliiuli sunt episcopi et successores eorum usque ad nos, col. 848. que dépend la transmission de la tradition apostolique. Aussi, à défaut des autres listes qu’il serait trop long de dresser, Irénée donne-t-il la liste des chefs de l'Église qui a cette autorité princijiale et qui a été fondée par les apôtres Pierre et Paul. Il n’y a pas à s’arrêter i -i à son témoignage sur la venue de saint Pierre à Rome, ni à montrer que la place qi"'il tait à saint Paul n’est pas au détriment de la primauté de saint Pierre, quoi qu’en ait dit, après tant d’autres, J. Vrai (C. de Meissas), Éphémérides de la papauté, Paris, 1904, p. 160, 213, 343. Voir Pape. Relevons seulement qu’il souligne que, par les successeurs des apôtres Pierre et Paul, la foi prèchée par les apôtres est parvenue jusqu'à nous, eain quam habet ab aposiolis traditionem et annuniialam iiominibus fldem per successionem episcoporum pervenientem usque ad nos. N. 2, col. 848. Et, quand il a terminé ce catalogre des évoques de Rome, depuis Lin jusqu'à Éleuthère, Irénée conclut, n. 3, col. 851 : « C’est de cet ordre et par cette succession qu’est arrivée jusqu'à nous la tradition des apôtres et l’enseignement de la vérité. El est plenissiina hœc ostensio unam et eamdem vivificatricem fidem esse quæ in Ecclesia ab aposiolis usque nunc sil conservata et trad.la in veritate. » N’est-ce pas dire équivalemment que le pape est le gardien suprême de la fol véritable ?

En résumé, la supériorité que saint Irénée proclame n’est point due à l’importance civile de Rome ni à l’importance de l'Église romaine en tant qu’elle résulte de l’importance de la ville de Rome ; c’est une supériorité de l'Église romaine due à un caractère intrinsèque. Ce n’est pas seulement une prééminence commune aux Églises apostoliques en raison de leur origine, qui serait potentior dans l'Église de Rome, une prééminence honorifique qui la rendrait prima inter pares. Ce n’est pas même seulement une supériorité de primauté indéterminée, et nous n’avons pas une affirmation seulement implicite de la primauté juridique de l'Église de Rome. Mais nous avons une afiirmation explicite, affirmation qui, parce qu' Irénée traite une question d’ordre doctrinal, porte uniquement sur la primauté juridique envisagée au point de vue doctrinal. Cf. Flamion, Rapport sur les travaux du séminaire historique

(1898-1899), dans V Annuaire de V Université catholique de Louvain, Louvain, 1900, p. 384-389. Saint Irénée aiïirme, en termes clairs, une primauté effective. De son texte il est légitime de conclure qu’elle est souveraine et qu’elle réside dans le pape.

d) La conduite d' Irénée envers le pape. — On a cru saisir, dans la conduite d* Irénée lors de la controverse pascale, la preuve que pratiquement il n’aurait pas reconnu la primauté du pontife romain et l’indice que le texte du Contra hæreses n’attribuerait pas à l'évêque de Rome une autorité souveraine. Cf., entre autres, J.-J. Ampère, Histoire littéraire de la France sous Charlemagne et durant les x » et xie siècles, 2e édit., Paris, 1868, 1. 1, p. 177 ; C. Graul, Die christliche Kirche an der Schivelle des irenaischen Zeitalters, Leipzig, 1860, p. 138 ; Jean Vrai, Éphémérides de la papauté, p. 88. Il faut avoir lu bien distraitement les textes pour attribuer à l'évêque de Lyon une pareille indépendance. Sans doute, le pape Victor ayant entrepris de séparer les Asiates de la communion catholique à cause de leur attachement à l’usage de célébrer la Pâque le 14 nisan, Irénée lui écrivit une lettre où il lui remontrait que l’observance de la Pâque dominicale n'était pas un de ces articles pour lesquels on doive repousser quelqu’un ; il écrivit dans le même sens aux évêques. Cf. Eusèbe, H. E., t. V, c. xxiv, P. G., t. xx, col. 500508. Pure question d’opportunité. Sur le fond du débat, lui, Irénée, disciple de Polycarpe, attaché par ses origines au rite oriental, il se rangea au parti du pape, et, dans les mêmes lettres aux évêques qui réclamaient contre l’opportunité de la sentence de Victor, il ne songea pas à protester contre le pouvoir du pape de prononcer l’excommunication, mais demanda qu’on célébrât la Pâque comme Victor le voulait. Eusèbe, col. 500. N'était-ce pas reconnaître la primauté du pape, et « comment veut-on que nous parlions si l’on nous interdit de désigner par le nom de chef de l'Église le dépositaire d’une pareille autorité? » L. Duchesne, Autonomies ecclésiastiques. Églises séparées, 2e édit., Paris, 1905, p. 144. Cf. M. Capellari (Grégoire XVI), Triomphe du Saint-Siège et de l'Église, c. xix, n. 5, trad. Jammes, dans Migne, Démonstrations évangéliques, Paris, 1843, t. xvi, col. 991-992. La conduite d' Irénée ne contredit pas ses paroles.

4. L’injaillibilité de l'Église et la règle de foi. — Puisqu’il est nécessaire que toutes les Églises se conforment à l’enseignement de l'Église de Rome, il faut que l'Église de Rome soit infaillible, sinon toutes les Églises pourraient se trouver dans l’obligation d’embrasser l’erreur. L’indéfectibilité de l'Église, implicitement contenue dans le necesse est omnem convenire Ecclesiam, est énoncée ailleurs d’une façon plus directe. Irénée compare l'Église à la femme de Lot changée en statue de sel, laquelle, d’après la tradition juive, retrouvait ses membres à mesure qu’on les coupait ; de môme, l'Église, sel de la terre, dum sœpe auferuntur membra, intégra persévérât statua salis, quod est firmamentum fidei, flrmans et prtemittens filios ad Patrem ipsorum. L. IV, c. xxxi, n. 3 ; cf. c. xxxii, n. 9, col. 1070, 1078. La route de ceux qui sont d'Église est sûre, quippe firmam habens ab aposiolis traditionem… Et Ecclesiæ quidem preedicatio vera et firma, apud quam una et eadem salutis via in universo mundo ostenditur. L. V, c. XX, n. 1, col. 1177 ; cf. Dem., c. xxvi, p. 680. C’est qu’elle est « l'Église de Dieu. » L. I, c. vi, n. 3 ; c. xiit, n. 5, col. 508, 588. La foi cjue nous tenons de l'Église échappe à toutes les vicissitudes, à tous les changements, car « elle vient du Saint-Esprit qui la rajeunit sans cesse, comme un dépôt du plus grand prix conservé dans un vase précieux et qui rajeunit le vase lui-même. » L. III, c. xxiv, n. 1, col. 966. Cette foi est un don de Dieu, continue Irénée, comme le fut le souffle donné à Adam pour vivifier tous ses