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INTUITIVE (vision ;


ou moins intense, esL lu cause de visions plus ou moins parfaites. L’essence divine reste évidemment la même pour tous les élus ; mais elle est vue selon les exigences de la lumière de gloire propre à chacun des élus. Et cette lumière de gloire infusée par Dieu se diversifie, selon la volonté de Dieu, conformément à l’état de chacun d’eux, c’est-à-dire à leur charité tout d’abord, mais aussi aux situations diverses dans lesquelles les élus ont manifesté leur charité et acquis des mérites pour le ciel. Cf. Gonet, loc. cit., § 2.

VI. Caractères et propriétés.

1° La vision est l’apanage des élus parvenus an terme. — Bien que cette première vérité soit plutôt une conclusion des propriétés qu’on exposera plus loin, nous préférons la jjrésenter tout d’abord, en— regard de certains faits, rapportés par l’Écriture, et dont il convient, avant toute autre chose, de donner une explication suffisante. f^e premier fait, incontestable et s’imposant à notre adhésion, est celui de l’âme de Jésus--Christ, encore vivant sur terre, et déjà en possession de la vue de Dieu, d’une façon haliituclle, permanente, inamissible. Mais, le fait de la vision intuitive accordée d’une manière transitoire à des hommes encore dans l’état <le voie, et non parvenus an terme, semble, au premier abord, affirmé par la sainte Écriture pour Moïse, Num., XI, 8 ; pour saint Paul, II Cor., xii, 1-4 ; opinion appuyée par l’autorité de saint Augustin, Epist., cxlvii, c. xiii, n. 31, 32, cf. De Genesi ad litleram, t. XII, c. xxvni, P. L., t. XXXIII, col. 610 ; XXXIV, col. 478. Et si cette opinion est fondée, fondée aussi sera l’opinion attribuant la vision intuitive, d’une manière transitoire, et dans les circonstances les plus mémorables de sa vie terrestre, à la vierge Marie. Cf. Suarez, De mysleriis vitæ Christi, (lisp. XIX, sect. IV, n. 1-4. On peut tout d’abord nier que Moïse ou saint Paul aient joui dès cette terre de la vision intuitive, même d’une manière simplement transitoire ; les textes de l’Écriture se rapportant à un état de contemplation extraordinaire qui fut le leur peuvent s’expliquer en un sens différent, et, dès lors, on ne voit non plus aucune raison d’attribuer à Marie la jouissance de cette faveur. Cf. Suarez, loc. cit., et surtout Vasquez, op. cit., disp. LV-LVII. Toutefois, dalo, non concesso, que Moïse, saint Paul et la Vierge aient joui de visions transitoires, cette faveur n’infirmerait en rien notre position. « Autre est la vision béatiflque, autre l’acte transitoire dont il est question ici. Celui-ci n’est que d’un instant et ne suppose pas le principe intérieur et permanent de la lumière de gloire ; tandis que celle-là, procédant d’une intelligence élevée par cette lumière divine, ne connaît ni éclipse, ni terme. » Terrien, op. cit., p. 305-306. On se rappelle comment saint Thomas résout la difficulté tirée de cette hypothèse. Quand on parle de vision intuitive, il s’agit à proprement parler de la vision qui procède de la lumière de gloire. Or, quel que soit le secours stirnaturel que Dieu accorderait transitoirement pour suppléer la lumière de gloire, ce secours actuel ne saurait produire l’effet durable et permanent qu’on entend communément sous le nom de vision intuitive. Cf. Il » Ili^, q. clxxv, a. 2, ad 2 ; De Ver., q. x, a. 11.

2° La vision est un acte unique et toujours identique.

— Saint Thomas d’un mot rappelle ce caractère de l’acte de vision intuitive : « Cette opération est unique et éternelle, unica et sempiterna », Sum. theoL, l’^ II », q. iii, a. 2, ad 4 ; cf. I*, q. x, a. 5, ad 1. C’est que la mesure de l’acte de vision ne peut être que l’éternité elle-même. De même que la vision est une participation de la vie divine elle-même, vie qui est dans l’éternité ou plutôt qui est l’éternité elle-même, ainsi sa mesure sera une participation de l’éternité’. S. Thomas, Cont. Gent., 1. 111, c. lxi. Bien que les pensées des tiicologiens apparaissent, sur ce point assez concor dantes, leurs expressions ne sont pas toujours identiques. Vasquez entend bien que la vision intuitive est toute de simultanéité, mais il la comprend cependant à la manière d’une opération dont le temps serait la mesure, disp. XXVI, c. ii. Scot, In IV Sent., L IV, dist. XLVII, q. vi ; Suarez, Metapli., disp. L, sect. vi, n. 14, enseigne que l’œvum est la mesure de la vision intuitive. Sur Vœvum ou éviternité, voir Éternité, t. v, col. 913-915. Cette conception est inexacte en ce sens que la vision intuitive n’a pas de succession d’actes accidentellement jointe à son immobilité substantielle. L’opinion communément admise est que la mesure de la vision béatiflque est l’éternité elle-même, non pas cependant l’éternité essentielle de Dieu, mais l’éternité participée, étant donné que cette vision aura eu un commencement, ce qu’on ne peut dire de l’éternité essentielle. Voir S. Thomas, loc. cit. ; Gonet, op. cit., disp. VI, n. 17 ; Jean de Saint-Thomas, op. cit., q. x, disp. X, a. 1 ; etc. C’est donc vraiment la « vie éternelle ». De quelque côté qu’on regarde cet acte de vie, soit qu’on le considère en lui-même, soit qu’on en examine le principe et l’objet, on ne trouve rien qui donne l’idée de succession, rien même qui rappelle la possibilité du changement. Voir dans saint Augustin un admirable développement sur la félicité immuable du ciel, là où « nos pensées ne voltigeront plus, passant d’un objet à l’autre, et revenant sur ce qu’elles ont quitté : un coup d’œil embrassera tout notre science. » De Trinitate, t. XV, c. xvi, P. L., t. xlii, col. 1079. Mais précisément si l’acte de vision est, comme le dit saint Thomas, « un instant qui ne passe ni ne s’écoule », Cont. Cent., t. III, c. lxii, cet acte demeure éternellement identique à lui-même et ne comporte, à proprement parler, pour les élus, aucun progrès dans la connaissance des perfections divines. Il y a là une vérité sur laquelle il est bon d’insister en face de certaines descriptions du bonheur éternel, où l’imagination a plus de part que la raison théologique. « S’il faut en croire certains auteurs, Dieu ne s’arrêtera pas dans la manifestation qu’il fait de lui-même à ses élus. Contemplant sa face adorable, ils ne cesseront d’y découvrir des perfections nouvelles ; et, leur amour croissant à proportion de la connaissance, ce sera le progrès continu, le progrès indéfini dans la béatitude, sans autres limites que celles de l’éternité. Deux considérations, l’une tirée de la nature de Dieu, l’autre, de celle de la créature intelligente, leur paraissent décisives en faveur de cette opinion. Dieu ne serait pas le souverain bien, s’il ne tendait à se répandre… D’autre part, la nature créée ne peut se contenter d’une félicité qui serait toujours la même. Une vie sans progrès et comme immobilisée ne peut être la vie parfaite ; car la vie c’est le mouvement… » Mais ces raisons sont loin d’être concluantes. « Au ciel, c’est l’état de l’homme

parfait Dès le premier abord, le voyant a mis dans

son regard toute l’énergie, toute l’ampleur dont le jugement de Dieu l’a rendu capable. Pour étendre le champ de la vision, il faudrait un accroissement de grâce sanctifiante, un perfectionnement dans la lumière de gloire : car l’acte est adéquat à son principe. La flèche est entrée dans l’océan de lumière aussi loin que la portait la poussée de l’amour, et cet amour lui-même n’augmente pas, puisque les élus sont arrivés au terme. Du reste, les prodigalités de Dieu, loin de s’arrêter, continuent plus que jamais à couler à flots : car cette splendeur de gloire, il la conserve ; cette perfection suprême de la connaissance, elle est constamment de lui…Vainement nous objectez-vous encore qu’une vie sans mouvement n’est pas une vie. Je l’avoue, pas de vie sans mouvement ; mais avouez, à votre tour, que le mouvement qui fait la vie parfaite, n’emporte avec lui ni changement, ni succession, ni progrès, puisque tout cela n’est autre chose que le