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INTUITIVE (VISION


qu’il est. Mais il n’est pas vu entièrement, si nous considérons le principe d’où émane l’acte de vision intuitive. Ce principe, l’intelligence créée, et élevée par la lumière de gloire, si parfait que nous le supposions, est cependant infiniment distant de la perfection de l’essence divine dans l’ordre de l’intelligibilité. L’essence divine est infiniment intelligible ; l’esprit bienheureux ne peut la saisir que d’une manière finie. Et c’est en cette disproportion que se trouve la conciliation de dogme de la vision et de celui de l’incompréhensibillté divine. Mais remarquons-le immédiatement, la disproportion qui existe entre la mesure du sujet qui voit Dieu et la mesure de l’objet vii, c’est-à-dire de Dieu lui-même n’est pas seulement question d’extension, mais encore question d’intensité. Et c’est sur ce dernier point que la thèse de Vasquez certainement, la position de Suarez et de Petau probablement sont en défaut. A supposer par impossible que la vision intuitive n’ait pour objet que l’essence divine considérée en soi et non comme la forme idéale contenant éminenament tous les possibles, ou encore manifestant les secrets desseins du Tout-Puissant, cf. Gonet, op. cit., disp. V, a. 6, elle resterait encore incompréhensible. Saint Thomas expose ce point de vue dans la Somme contre les Gentils, t. III, c. lv :

« Tout ce qui est « compris » par quelqu’un, doit élre

connu aussi parfaitement qu’il est connaissable. Or, la substance divine est quelque chose d’infini par rap-port à toute intelligence créée… Il est donc impossilile cjue la vision d’une intelligence créée soit adéquate à la divine substance vue par cette intelligence, c’est-à-dire que cette intelligence voie l’essence divine aussi parfaitement qu’elle est intelligible. » Et dans la Sum. theol., q. xii, a. 7, ad 2 : « Dieu donc est dit incompréhensible, non parce qu’il y a quelque chose en lui qui n’est point vii, mais parce qu’il n’est pas aussi l)arfaitement vu qu’il est visible. » Connaître Dieu tout entier, mais non totalement, c’est donc afhrmer que tout en connaissant Dieu comme l’être infini, (ceci est l’aspect de l’oljjet de la vision intuitive, oljjet tout entier connu), notre mode de connaissance reste fini (et ceci est l’aspect du sujet connaissant). C’est ainsi, remarque encore saint Thomas, apportant un exemple bien capable de faire entendre cette doctrine délicate, que quelqu’un peut savoir qu’une proposition est démontrable et ne pas savoir la démontrer. Il connaît dans sa totalité le mode d’être de cette proposition, mais son mode de connaître n’est pas adéquat au mode d’être de la proposition. De même, les élus connaîtront dans le ciel l’Infini ; ils connaîtront qu’il est infini, sans pourtant le connaître d’une manière infinie. Ils verront l’infini, un peu comme sur terre un objet vu à distance ou avec des moyens trop faibles peut être vu tout entier, sans être vu aussi parfaitement que s’il est à meilleure portée ou si le regard est rendu plus perçant.

Remarquons ensuite et en conséquence de ce qui vient d’être dit, que l’incompréhensibilité divine est encore une question d’extension. A propos de la plénitude de la science du Christ, saint Thomas, Compendium Iheologise, c. ccxvi, enseigne que si parfaite que fût la science de vision du Christ par rapport à celle des anges et des âmes, elle ne pouvait cependant être assez étendue pour permettre à l’humanité de Jésus de saisir dans la cause première tous les elTets qui y sont renfermais. On trouvera aussi dans Jean de Saint-Thomas, op. cit., a. 8, un excellent développement de ce point de vue. Mais, si clair qu’apparaisse le principe nous obligeant à limiter quant à son extension la science de vision des élus par rapport à tous les poslibles dont l’essence divine contient la représentation idéale, il reste encore à déterminer la raison de cette jmitation. Saint Thomas donne de cette limitation

deux raisons, l’une prochaine, l’autre éloignée. La raison prochaine, c’est la nature niême de la dépendance des efi’ets par rapport à la cause première. Certains elïets ont leur rapport de dépendance marquée avec plus de netteté ; d’autres se rattachent à la cause moins apparemment, soit parce que plus éloigné. ?, soit surtout, lorsqu’il s’agit des choses existantes ou des événements dépendant des libres décrets de Dieu, à cause de cette liberté même de la volonté divine. Dieu peut toujours ne manifester dans son essence cause premièie et suréminente de tout, que ce qu’il veut bien y laisser percevoir aux élus. Cf. Sum. IheoL, l’^, q. Lvii, a. 5 ; Gonet, op. cit., disp. V, a. 3 ; Billuart, dissert, iv, a. 10 ; Salmanticenses, disp. VII, dub. in. Les effets les plus manifestes sont plus facilement connus ; les plus cachés sont plus difficilement atteints. Cf. Gonet, a. 7, § 2. Mais cette différence même dans la connaissance que donne la vision intuitive tient à une cause plus profonde et plus éloignée, c’est-à-dire au plus ou moins de participation qu’ont les élus à la lumière de gloire, organe de la vision intuitive. C’est par une application des mêmes principes que se résolvent toutes les questions similaires relatives à la limitation de la connaissance intuitive quant aux décrets libres de Dieu, quant aux efl’ets présents et futurs : ceux qui sont connus, sont connus en raison de la vision intuitive, quoi qu’en aient pu penser quelques rares théologiens, Durand de Saint-Pourçain. In IV Sent., t. III, dist. XIV, q. ii, n. 4, 5 ; t. IV, dist. XL IX, q. iii, n. 12 ; Vasquez, op. cit., disp. L, c. III, n. 23 ; Molina, In /""", Sum. ttieoL, q. xii, a. H, disp. V, memb. 5, 0. Sur toutes ces questions et les controverses secondaires qu’elles comportent, on consultera les Salmanticenses, op. cit., disp. VII, dub. iii, IV, V, où les différents aspects de ces problèmes plus théologiques que dogmatiques, et même plus scolastiques que théologiques, sont longuement et minutieusement élucidés.

2. Deuxième controverse dogmatique : vision intuitive et inégalités dans le degré de la vision. — Que les élus jouissent inégalement du bonheur céleste et que, par conséquent la vision intuitive, qui est le principe de ce bonheur, soit inégale chez les uns et les autres, c’est une vérité de foi catholique, que l’on a suffisamment exposée à l’article Gloire, t. vi, col. 1416 sq. Le point qui touche plus particulièrement à notre sujet est la conciliation de cette antinomie apparente : vision intuitive, vision inégale. Tout d’abord éliminons une équivoque possible sur l’épithète inégale, appliquée à la vision intuitive accordée aux anges et à celle accordée aux hommes. Alarcon, voir 1. 1, col. G58, dans son commentaire. Prima pars Iheologiæ scholastiav, Lyon, 1033, q. xir, disp. III, c. vi, établit une différence essentielle entre la vision des anges et celle des hommes, comme si l’une était d’autre nature que l’autre, et ce théologien appuie son dire sur l’autorité d’autres auteurs, Richard de Middietown, Maj(jr, Durand de Saint-Pourçain, .Molina, et quelques autres moins connus qu’il cite. Mais l’ensemble des théologiens rejette cette hypothèse qu’aucune raison plausible n’appuie. Cf. Gonet, op. cit., disp. IV, a. 1 ; Salmanticenses, op. cit., disp. V, dub. ii. Admettons donc une simple différence de degré, quant à l’intensité et quant à l’extension dans la vision intuitive, chez tous ceux, anges ou hommes, c|ui en bénéficient dans le ciel. Reste à résoudre la question : d’où provient, en face de la souveraine et unique intelligibilité de l’objet, cette différence de perfection dans la.vision de cet objet ?

La solution, communément admise, est que toute les inégalités de vision intuitive ont leur racine dans le plus ou moins de participation à la lumière de gloire. Cf. Suarez, op. cit., c. xii, Jean de Saint-Thomas, op.