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INTUITIVE (vision ;


l’opcralion intellectuelle, l’opération elle-même par laquelle l’esprit comprend, saisit, forme une idée, et l’idée elle-même qu’elle appelle le verbe mental, ou l’espèce expresse. Saint Thomas, distingue très certainement, d’une distinction réelle, l’acte même de comprendre, et l’idée formée par cette opération. L’acte de l’intelligence est ce par quoi, ici qiio, l’esprit comprend ; le verbe mental est ce en quoi, in quo, il comprend. Voir un bon exposé de la théorie thomiste dans Billot, De Deo tiino, proœmium, § 2. — Suarez ne pouvant distinguer l’un de l’autre le mouvement de la puissance et son terme, est obligé de confesser que l’opération de l’esprit et le verbe ne sont qu’une seule et même réalité. Voir Suarez, Metaph., disp. VIII, sect.iv, n. 2. Quand donc on demande si, dans la vision intuitive, il y a production d’un verbe créé, les thomistes répondent négativement. L’opération de l’intelligence se termine nécessairement à l’essence divine qui joue, ici encore, le rôle d’espèce expresse, comme elle jouait le rôle d’espèce impresse. Suarez au contraire admet un verbe créé, c’est-à-dire une opération de l’intelligence, acte vital complet, se terminant d’ailleurs à l’essence divine, vue en elle-même. Question assez secondaire, on le voit, et sur laquelle les théologiens sont en désaccord pour des motifs d’ordre philosophique, sur lesquels nous n’avons pas à insister ici. Voir, du côté des thomistes, Gonet, loc. c17. ; Billuart, loc. cil. ; Sahnanticenses, disp. II, dub. ix ; et parmi les contemporains. Billot, De Deo uno, th. xiii, coro^tar/um ; Tabarelli, De Deo uno, p. 303 sq. ; Jannssens, op. cit., p. 434 ; Van der Mcersch, De Deo uno el trino, ijruges, 1917, n. 304. Dans l’autre école, Suarez, op. cit., c. XX ; Mazzella, De Deo créante, n. 820 sq. ; Pesch., op. cit., n. 81 ; Piccirelli, De Deo uno et trino, Naples, 1902, p. 318 sq. ; 393 sq. — Nous ne faisons qu’indiquer une opinion moyenne, jadis assez en faveur môme, près de certains thomistes : l’essence divine pourrait être vue dans l’acte de vision intuitive sans verbe mental créé ; mais, en fait, ce verbe créé existe. On cite, parmi les principaux tenants de cette opinion Capréolus, Sylvius, S. Bonaventure, Scot, Sylvestre de Ferrare, Vasquez et Molina. Voir les références dans les Sahnanticenses, loc. cit., § 2. Les autres thomistes font valoir, à l’égard de l’espèce expresse représentative de l’essence divine, les mêmes arguments d’impossibilité qui militent contre l’espèce impresse. Le fini ne peut représenter l’infini. Et, d’autre part, ils affirment qu’une opération de l’intelligence n’aboutit pas nécessairement à la production d’un verbe créé. Toute diction de verbe, est une intellection, mais la réciproque n’est pas vraie, dès là que l’essence divine, par sa transcendance même, supplée le verbe créé.

3. Conclusion.

On peut condenser en quelques mots toute cette théorie psychologique de la vision intuitive.

« Dans tout acte d’intellection, écrit Mgr Jannssens,

loc. cit., p. 429, on doit distinguer trois choses : l’espèce impresse, la faculté agissante, et le terme de son action… Dans la vision intuitive. Dieu lui-même joue le rôle d’espèce impresse en se présentant à l’intelligence ; Dieu fortifie la faculté, en lui rendant possible la réception même de cette présence divine ; Dieu, enfin, vu en lui-même est le terme de l’action du voyant. Seule la lumière divine, fortifiant et élevant la faculté est quelque chose de créé en dehors de Dieu. » Toute explication qui tendrait à substituer à l’essence divine une espèce ou un verbe créé, représentatifs de Dieu lui-même, que cette explication se présente d’une façon absolue, ou d’une manière simplement hypothétique (comme chez ceux qui ne l’envisagent qu’au point de vue de la puissance absolue de Dieu) est une explication entachée de rationalisme, à laquelle on peut appliquer l’apprécia tion portée contré l’hypothèse suarézienne par M. Mahieu, Suarez, Sa philosophie et les rapports qu^elle a avec sa théologie, Lille, 1921, p. 221 : <r Cette théorie atténue sensiblement la différence entre la vision béatifiquc et la connaissance surnaturelle que l’on peut avoir de Dieu ici-bas. Au fond, elle ne met entre l’une et l’autre qu’une différence de degré et ceci au préjudice de la vision béatifique qui n’est plus avec la même rigueur une vision puisqu’elle n’atteint Dieu que par l’intermédiaire d’une species et que la species n’est jamais qu’une image imparfaite de l’objet. Dans ce système, les expressions scripturaires qui concernent la connaissance des bienheureux se vérifient moins exactement : nous ne voyons pas Dieu précisément

« comme il est, » « face à face » ; nous ne le voyons pas

comme il se voit lui-même ; nous n’avons pas avec lui cette similitude dont parle saint Jean ; nous n’avons pas cette « participation à la nature divine », c’est-à-dire à la manière d’opérer de Dieu dont parle saint Pierre : car la nature c’est l’essence comme principe d’opération. Et il devient moins aisé de répondre à ceux qui, pour nier la possibilité de la vision béatifique, objectent— que Dieu dépasse la capacité de l’intelligence créée, si élevée qu’on la suppose par les dons surnaturels, taudis que dans le système opposé, la connaissance revêt un caractère tout particulier : l’objet connu n’entre pas dans le connaissant pour se rapetisser à sa mesure ; c’est au contraire le connaissant qui se hausse jusqu’à son objet. »

V. Objet.

1° Objet principal : Dieu, lui-même, tel qu’il est. — Cette détermination de l’objet principal de la vision intuitive résulte des définitions mêmes de l’Église : vident divinam essenliam, dit Benoît XII ; et, plus explicitement encore, intueri clare ipsum Deum trinum et unun^, dit le concile de Florence. Atteignant par la vision intuitive l’essence divine telle qu’elle est en elle-même, les élus ne peuvent pas ne pas en connaître et les attributs et les relations subsistantes, qui s’identifient dans la réalité avec cette essence. « Il ne faudrait pas s’imaginer, écrit avec raison le P. Terrien, op. cit., t. IX, c. IV, p. 170, que Dieu puisse se montrer à qui le contemple, à demi, comme par fragments. 11 est l’unité pure : par conséquent, le voir, c’est le voir tout entier ». Et c’est à dessein que le concile de Florence définit que Dieu sera iiv non seulement dans son unité, mais encore dans la trinité adorable des personnes.

Et pourtant, une formule si simple donne lieu à deux gi’aves controverses dogmatiques et à plusieurs discussions théologiques. Il faut nous arrêter sur les premières et signaler tout au moins les secondes.

1. Première controverse dogmatique : incoi.nprchensibilité divine et vision intuitive. — Il est de foi que Dieu est incompréhensible, cf. concile de Latran de 049, can. 1 ; IV « concile de Latran, can. Firmilcr ; concile du Vatican, sess. III, c. i ; Denzinger-Bannwart, n. 254, 428, 1892. Le terme latin comprehendere a deux significations. Il peut être employé tout d’abord, dans un sens général, pour exprimer la connaissance intuitive, par opposition à la connaissance médiate, abstraite ou indirecte. En ce sens, les élus admis à la vision béatifique, sont dit comprehensores. Mais il peut être employé dans le sens spécial de pénétrer de part en part, d’épuiser par la connaissance toute l’intelligibilité de l’objet. Comprendre, en ce sens, c’est connaître l’objet autantqu’ilest connaissableen lui-même. Or, nulle intelligence créée ne peut arriver à connaître l’essence divine selon le degré de perfection où elle est connaissable. Cela est évident ; Dieu acte pur et sans limites, est infiniment connaissable. D’autre part, nulle intelligence créée ne peut connaître Dieu infiniment. Il est donc impossible qu’elle le comprenne. Cf. S. Thomas, Sam. theol., P, q. xii, a. 7.