expliquant en bonne part l’opinion de Thomassin, même en supposant qu’elles expriment bien la pensée des Pères, ne vont nullement contre notre doctrine. On en sera pleinement convaincu, pour peu qu’on se rappelle les caractères hypostatiques du Fils et du Saint-Ksprit, et les lois de Vapproprialion. Puisque le Fils procède par voie d’intelligence, comme Verbe, et, par conséquent comme lumière et comme vérité, quoi de plus naturel que d’attribuer singulièrement au Fils ce qui convient à l’essence divine, en tant qu’elle est lumière et vérité ? De plus, qu’est-ce que le Verbe, si ce n’est l’image, la ressemblance, le visage, la parole, la manifestation vivante et substantielle de Dieu ? Donc, il y a là un nouveau titre pour que le rôle d’image et la fonction de forme idéale que remplit la divinité dans la vision béatifique, lui soient appropriés, plutôt qu’au Père ou au Saint-Esprit. D’autre part, ne faut-il pas voir dans le principe supérieur d’activité qui doit relever l’intelligence et la rendre apte à la contemplation de Dieu, le suprême et dernier perjectionnement de la créature raisonnable, le don par excellence cjui soit fait à l’homme, la cause procliaine de son union bienheureuse avec Dieu ? Or, si je ne me trompe, c’est là précisément le caractère des effets divins que nous attribuons singulièrement à celui qui se manifeste comme le complément de la Trinité, le Don personnel. l’Union du Père et du f-’ils, c’est-à-dire, à l’Esprit Saint. »
c. Doctrine commune. — Il serait possible, théoriquement, de concevoir la lumière de gloire, par laquelle l’intelligence est élevée à la vision de Dieu, comme un secours actuel, d’ordre surnaturel, et reçu dans l’intelligence à la façon d’une grâce actuelle suppléant la grâce habituelle. Cette conception doit être mise en relief, pour expliquer, non la vision intuitive des élus dans la patrie, mais certains actes de vision intuitive passagère, accordée parfois aux hommes encore sur cette terre, et dont saint Thomas reconnaît tout au moins la possibilité. De veritate, q. x, a. 11 ; In IV Sent., t. IV, dist. XLIX, q. ii, a. 7. Mais, en ce qui concerne le fait de la vision intuitive dans l’autre vie, il faut dire, avec l’ensemble des théologiens, que la lumière de gloire, requise pour cette vision, est une qualité créée, divinement infuse dans l’intelligence du voyant. Il s’agit, en elïet, d’un état permanent et qui ne peut s’expliquer d’une façon conforme à la nature des choses que par un secours permanent. Les thomistes ajoutent généralement, que cette qualité doit être ramenée à la catégorie des liabitus, quoique agissant à la manière de la puissance. Ce n’est évidemment qu’un habitus, puisque la lumière de gloire n’est accordée qu’en vue d’un acte bien déterminé ; mais c’est un habitus, jouant le rôle de puissance, à l’instar des vertus infuses, puisqu’il est reçu en un sujet qui n’est nullement disposé à cet acte et n’a par rapport à lui qu’une puissance obédentielle. Les thomistes pensent qu’il n’est possible d’interpréter logiquement la décision de Vienne que de celle manière. Banez //i/a’u, q. XII, a 5 ; D. Soto, In IV Sent., t. IV, dist. XLIX, q. II, a. 4. Et leur doctrine fait loi dans l’enseignement actuel. Cf. Suarez. op. cit., t. II, c.xiv, n. 7 ; F’ranzclin, loc. cit. ; Mazzella, De Deo créante, Rome, 1880, disp, IV, a. 7. n. 852 ; Peseh, De Deo uno, n. 78.
3o Rôle de la lumière de gloire et de l’essence divine. dans l’acte de vision intuitive : psycholoyie de cet acte. — ( 1 Suarez, loc. cit., fait remarquer fort judicieusement que l’interprétation consciencieuse du concile de Vienne nous oblige à admettre que la lumière de gloire est une qualité créée et infuse dans l’intelligence ; mais qu’en dehors de cette conclusion, « rien n’est certain ». Toutes les spéculations théologiques relatives à la psychologie de l’acte de vision sont donc dans le domaine des pures opinions Ihéologifjues. On com prendra que nous nous contentions d’indiquer brièvement le sens de ces théories et de relever les principales références.
1. Rôle de lu lumière de gloire.
La lumière de gloire rend l’esprit apte à voir Dieu en lui-même ; elle l’élève jusqu’à l’essence divine, à laquelle elle l’applique comme à son objet actuellement intelligible. Elle remplit donc une triple fonction. Premièrement, elle élève l’intelligence créée à l’ordre de la vision intuitive et la rend physiquement capable d’atteindre l’essence divine. Deuxièmement, la vision ne pouvant se produire que par l’union immédiate de l’essence divine et de l’intelligence, la lumière de gloire dispose l’intelligence à cette union. Troisiè— J mement, elle concourt activement avec l’intelligence à " l’acte même de la vision. Sur le premier point, il n’y a pas de difficullès entre théologiens : ce n’est que l’expression même de la doctrine catholique. Sur le second point, il y a des divergences sur le rôle de < disposition » que joue la lumière de gloire par rapport à l’union immédiate de l’intelligence avec l’essence divine. Vasquez, op. cit., disp. XLIII, c. iii, semble nier ce rôle ; Suarez paraît assez hésitant, op. cit., c. xv, n. 21. Cependant, les thomistes enseignent que la lumière de gloire joue le rôle d’une cause dispositive par rapport à l’union avec l’essence divine. Jean de Saint-Thomas, In /am p., q. xii, disp. XIV, a. 3 ; Gonet, op. cit., disp. III, a. 2 ; Salmanticenses, op. cit., disp. IV, dub. ii, § 2. Voir dans les Salmanticenses les autres références aux auteurs thomistes. La lumière de gloire agit ainsi, dans l’intelligence, à la façon dont l’espèce impresse dispose naturellement l’intelligence à comprendre Gonet, loc. cit., n. 9. Il s’ensuit, ajoutent les théologiens de Salamanque, que, mèdiateilient du moins, la lumière de gloire est aussi disposition à recevoir l’acte de vision béatifique dans l’intelligence bien heureuse ; foc. cit., dub. III, g 2. Sur le troisième point, il y a dissentiment entre Suarez et son école d’une part cl l’école thomiste de l’autre. Conformément à ses théories de la puissance obédientielle active et de la non-répugnance absolue d’une vision béatifique sans lumière de gloire, Suarez, op. cit., c. xvi, n. 2, cf. In Illara Sum. S. Thomæ, disp. XXXI, sect. v et vi ; enseigne que la lumière de gloire, principe actif de la vision, n’est cependant pas un principe total. C’est un principe partiel, l’intelligence étant un autre principe actif partiel : l’intelligence donne à son acte d’être un acte vital ; la lumière de gloire, élevant instrumentalemenl l’intelligence, lui donne d’être un acte de vision divine. Des deux causes partielles actives résulte un seul principe prochain total et actif de la vision béatitique, l’intelligence élevée instrument alement par la lumière de gloire. Cf. Vasquez, In P"" Sum. theol., disp. XLIII c. VI, vil. Les thomistes enseignent une doctrine, moins simple au premier aspect, mais bien plus profonde en réalité. On ne la trouvera nulle part mieux exposée que chez Jean de Saint-Thomas, op. cit., disp. XIV, a. 2. Billuart en a donné un fort bon résumé op. cil., dissert. W, a. 5, § 5 : « La vision béatifique est un acte vital de res]irit bienheureux ; bien plus c’est la vie bienheureuse de cet esprit. Donc, elle doit elTectivement procéder d’une puissance vitale qui lui est intrinsèque et qui se meut par un principe intérieur, et il s’agit en l’espèce de son intelligence. Mais l’inteligence n’est pas cause instrumentale de la vision béaiifique : elle en est la cause pi’incipale. L’intelligence, éclairée par la lumière de gloire, est à la vision béatifique, ce que la volonté, informée par la charité, est à l’amour de Dieu. Or, la volonté n’est pas cause instrumentale de l’amour de Dieu, mais bien sa cause principale… L’intelligence et la lumière de gloire concourent à l’acte de vision intuitive comme deux causes totales, chacune agissant sous un aspect particulicr.