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INTUITIVE (vision ;


litude thoologiquc. Ce sont des opinions, la plupart antérieures aux condamnations du concile de Vienne, et dont nous trouvons encore quelques échos chez des théologiens postérieurs à 1318. Dans cette opinion, la béatitude serait quelque chose d’incréé, et, dans la vision béatifique, l’âme serait purement passive. Ces théologiens admettaient l’existence de la lumière de gloire, mais ils la concevaient comme quelque chose d’incréé, se confondant avec l’acte même de la vision intuitive, lequel n’est que l’acte même de Dieu se connaissant lui-même, et communiqué aux élus. Cette opinion, attribuée à Jean de Ripa par Capréolus, fut professée surtout par Hugues de Saint-Victor, De sapientia animæ Christi, P. L., t. clxxvi, col. 851, à propos de la vision béatifique du Christ. Dans la béatitude Dieu lui-même est « la sagesse qui nous fait connaître, l’amour qui nous fait aimer, la joie qui nous remplit d’allégresse. » Voir l’exposé de cette doctrine dans Suarez, op. cit., t. II, c. x, n. 2 ; Lessius, De summo bono, t. II, c. vii, et Gloire, t. vi, col. 1394. Il est évident qu’au point de vue théologique, cette opinion, si difficile d’ailleurs à comprendre, n’est pas conciliable avec la conclusion que nous avons tirée de la condamnation de Vienne. Au point de vue philosophique, en affirmant que l’âme est purement passive dans l’acte de la vision béatifiante, elle énonce une fausseté évidente, la béatitude résidant dans une opération vitale, et une opération vitale devant nécessairement avoir comme principe actif la puissance même de l’âme. Aussi, le seul point intéressant dans ce coup d’œil rétrospectif accordé à une opinion parfaitement démodée, est de voir comment, après le concile de Vienne, les théologiens partisans de l’état passif de l’âme dans la vision intuitive, accordent leur opinion avec l’existence d’une lumière de gloire créée. Pierre Auriol († 1321), qu’on accuse souvent d avoir nié l’existence de la lumière de gloire, fait au contraire appel à la définition clémentine, Qnodl., ix, a. 4. Mais il entend la lumière de gloire de l’acte même de la vision béatifique, acte surnaturel quant à sa substance et que, par conséquent, à aucun titre, l’intelligence de l’homme ne peut produire. C’est Dieu qui crée dans l’âme la vision béatifique, et l’âme la reçoit simplement. Telle paraît bien être également la doctrine de Durand de Saint-Pourçain († 1332) : la lumière de gloire ne serait que l’essence divine présentée à l’intelligence dans l’acte de vision, et son seul effet serait d’éloigner de l’intelligence les obstacles à la vision. Cf. Suarez, loc. cit., c. xv, n. 29. Beaucoup de nominalistes adoptent l’opinion d’Auriol, Occani, In IV Sent., t. IV, q. xii, a. 3, ad 2 ; cf. t. I, dist. I, q. n ; Richard de Middletown, In IV Sent., t. III, dist. XIV, a. 2, q. III, IV ; dist. XLIX, a. 3, q. v ; et, avec quelques obscurités, Pierre de la Palu, In IV Sent., t. IV, dist. XLIV, q. vii, n. 59 ; dist. XLIX, q. i, n. 43. D’autres, à cause du concile de Vienne, conçoivent la lumière de gloire comme une disposition à recevoir la vision béatifique ; Major, In IV Sent., t. III, dist. xiv, q. ii, dub. 2 ; t. IV, dist. XLIX, q. iv ; Marsille d’inghem, In III^’", p. 9, X, a. 2. Quant à Scot et à son école, il n’est pas juste d’affirmer que leur système ne comporte pas la lumière de gloire créée. Scot l’admet pleinement ; mais il affirme simplement que dans l’hypothèse où l’âme, dans la vision béatifique, serait purement passive, la nécessité d’une lumière de gloire ne paraît pas démontrée. D’ailleurs, il ne faut pas oublier que, dans l’analyse de la béatitude formelle de l’âme élue, la vision occupe, pour Scot, une place très secondaire. C’est la volonté, avec la jouissance du bien suprême, jruitio et amor, qui occupe la place principale. Cf. DuNs Scot, t. iv, col. 1036-1U37. Voir Béatitude, t. ii, col. 511 ; Gloire, t. vi, col. 1398. On est donc tmté chez les scotistes de faire passer au second plan

la théologie du lumen gloriæ, et parfois même à la confondre avec celle de la charité consommée, principe de la béatitude formelle.

Au sujet des théories vieillies qui représentent l’âme comme complètement passive dans la vision béatifique, et qui établissent leur conception de la lumière de gloire en fonction de ce principe, nous faisons nôtre l’appréciation juste et sévère du P. Terrien : Ce serait une erreur, dit-il, « de supposer, comme quelques-uns semblent l’avoir fait jadis, que la lumière de gloire est la propre vision de Dieu, devenue par je ne sais quel écoulement la vision même de la créature. Chimère d’esprits dévoyés qui ne méritent pas qu’on s’attarde à les réfuter. Car, n’est-ce pas folie que de se flatter de voir par un acte qui ne serait pas nôtre ? S’il n’y a pas d’autre vision que celle de Dieu, diriez-vous cent fois qu’elle n’est communiquée, cette vision n’est pas à moi ; ce n’est pas un acte où je retrouve ma propre vie. Donc, si parfaite que soit la vision divine, elle me laisse dans les ténèbres. Répondrez-vous que si la vision divine n’est pas vôtre, vous en avez conscience, et que par cette conscience vous entrez en possession de son objet. Ce serait encore une illusion manifeste ; car ce qui tombe sous l’œil de votre concience, ce sont vos actes propres et non pas ceux d’autrui. Qui voudrait aller au fond de ces théories y trouverait bientôt le panthéisme comme corollaire ou comme principe… » Op. cit., t. ii, p. 167.

b. Théories insuffisantes. — Ce sont les théories de Thomassin et de Berti, fortement apparentées avec les précédentes, mais que nous n’osons pas noter aussi rigoureusement, tant à cause de la valeur théologique de leurs auteurs, qu’en raison de certaines nuances qui permettent de les interpréter dans un sens orthodoxe. Berti aussi bien que Thomassin posent en principe que la lumière de gloire est un don incréé. Dieu lui-même, illuminant de sa clarté l’inteUigence bienheureuse intimement unie à lui. Et c’est en cela que ces auteurs s’apparentent aux théologiens dont il nous semble impossible de concilier l’opinion avec la conclusion théologiquement certaine qu’on doit déduire de la condamnation de Vienne. Franzelin, op. cit., p. 209-210, n’hésite pas à englober dans la même réprobation Thomassin et les anciens partisans de la vision incréèe. Toutefois, Berti et Thomassin enseignent explicitement que l’intelligence élue est fortifiée, élevée, par la lumière de gloire ainsi entendue, et ces expressions semblent quelque peu corriger ce qui serait nettement rèpréhensible dans la première affirmation. On pourrait donc dire de ces auteurs qu’ils se sont insuffisamment exprimés. Thomassin, De Dec, Deique proprietatibus, t. VI, c. xvi ; Berti, De theologicis disciplinis, t. III, c. m. On a pu également reprocher à Petau, De Deo Deique proprietatibus, t. VII, c. VIII, n. 4, d’avoir laissé percer un sentiment qui ne serait pas très éloigné de celui de Thomassin.

Mais ce dernier auteur mérite une recension un peu plus longue, à cause de la synthèse théologique qu’il a voulu tirer des assertions relevées par lui chez les Pères. Suivant Thomassin, la doctrine des Pères se résumerait en deux affirmations principales. Premièrement, la forme intelligible qui rend Dieu visible à l’âme bienhcureus-e, est le Verbe ; de là, cette expression si connue : « voir dans le Verbe ». En second lieu, la lumière de gloire n’est autre que le Saint-Esprit, uni très présentement à l’intelligence du voyant. C’est donc par Dieu qu’on voit Dieu et le Fils est l’espèce dans laquelle on voit. Ainsi se trouvent conciliées les aflirtnations en apparence contradictoires des Pères, que Dieu seul peut se voir, et cependant que les élus voient Dieu.

« Ces deux afiîrmations, dit Terrien, op. cit., p. 166,