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INTUITIVE (VISION’2368

selon laquelle ils peuvent les uns et les autres atteindre Dieu. Ce que saint Jean Chrysostome leur refuse, c’est

« la parfaite compréhension de l’essence, » ou encore
« la connaissance selon une perfection totale, » ou

encore, « la connaissance, telle que le Fils l’a du Père, » cf. De Incomprehensibili, homil. iv, n. 3, col. 730-731 ; In Joa., homil. xv, n. 2, col. 99. Celui qui est dit voir simplement Dieu, ne peut être que celui qui a de Dieu une connaissance parfaite. De Incomprehensibili, homil. V, n. 4, col. 741 ; In Joa., homil. xv, n. 2, col. 98. C’est donc, en termes encore hésitants, la formule devenue classique, chez les théologiens scolastiques, de la distinction entre la vision et la compréhension. D’ailleurs, on a déjà rappelé ici la parfaite orthodoxie d’autres textes de Chrysostome touchant la vision intuitive, voir Benoit XII, t. ii, col. C82.

Théodoret n’a pas gardé la mesure de son maître. Très nettement, en effet, il oppose la vision de la substance à la vision de la gloire. La gloire est l’accommodation ou le tempérament de la substance. " Les anges, écrit-il, ne voient pas la divine substance, laquelle est au-dessus de toute limite, de toute compréhension, mais seulement une certaine splendeur accommodée à leur nature ; Où yàp ttjv ©EÎav oùoEav ôpMtn, t7]v àTzepiypaTzrov, Trjv àxaTdcX’/jTrTOV, ttjv à7rspiv6Y)Tov, … àXXà So^av tivà Tfi aÙTcôv çÛctsi. a-ujA[xeTpoujj, év7)v. Eranistes, dial. i, P. G., t. lxxxiii, col. 49. Malgré les efforts de certains théologiens pour expliquer ce texte en bonne part, il semble bien qu’on doive renoncer à considérer comme orthodoxe sur ce point la pensée de Théodoret. On invoque, il est vrai, pour corriger le sens du dialogue De Immutabili, deux textes tirés, l’un du commentaire In epist. adEph., c. ii, ꝟ. 7, l’autre du comnientaire /n 7 Cor., c. xiii, ꝟ. 12, P. G., t. lxxxii, col. 521, 337 ; mais c’est à tort, car ces deux textes, parlant de la vision intuitive, face à face, assignent pour objet à cette vision faciale l’humanité de Jésus-Christ. Voir Petau, De Deo Deique proprietatibus, 1. Y II, c. vi.

Sur la discussion des assertions de Vasquez, on consultera avec profit Suarez, De Deo, t. II, c. iiv n. 15-19 ; Didace Ruiz, De scientia Dei, disp. VI, sect. sii ; De Lugo, Theologia scholaslica. De Deo, t. I, disp. XIX, c. II ; Ysambert, In /am^ q. xii, a. 1, 2 ; Wirceburgenses, De Deo, n. 99 ; et, parmi les auteurs plus récents, Franzelin, De Deo iino, thèse xix.

c) L’époque de Théodoret marque le point de départ en Orient d’une tendance doctrinale, opposée à la vraie tradition sur la possibilité et la réalité de la vision béatifique, comme vision de l’essence même de Dieu. Ce courant n’est ni assez fort ni assez universel pour justifier les prétentions de Marc d’Éphèse au concile de Florence ; mais il constitue cependant un élément non négligealjle de la théologie grecque. On trouve la vision de la gloire, et non de l’essence indiquée chez Basile de Séleucie, Orat., xl, n. 1-2, P. G., t. lxxxv, col. 451 sq. ; plus fortement affirmée chez Anastase le Sinaïte, qui établit précisément par là sa distinction entre la personne, /aczes, TrpécjwTTov, et la nature, ’OS/jY^Ç c. viii, P. G., t. Lxxxix, col. 132 ; cf. In Hexæmeron, t. I, ibid., col. 868 ; nettement proposée par le pseudo-Athanase, In annuntiationem Deiparæ, n. 10, P. G., t. xxviii, col. 932, et surtout par Œcumenius, In I Joa., III, 2, c. III, P. G., t. cxix, col. 648 ; cf. In I Cor. ; In II Cor., IV, 6, c. v, P. G., t. cxviii, col. 837, 861. Mais la distinction entre la gloire de Dieu et l’essence de Dieu sera surtout mise en relief par le moine Grégoire Palamas, Dial., Theophanes, P. G., t. cl, col. 952. Sur la doctrine de Palamas et de sa secte, affirmant l’essence de Dieu visible par son opération et non par elle-même, voir Palamites. Cf. Cantacuzène, Ilisl., t. II, c. xxxix, P. G., t. CLiii, col. 669, et la note de Gretser, col. 677 sq. ; Allatius, De perpétua conscnsione, Cologne, 1648, t. II, c. xvii, n. 2 ; Petau, op. cit., t. I,

c. xii-xiii. A propos de la gloire du Christ au Thabor, Palamas construit son système de la lumière divine, incréée, émanant de Dieu de toute éternité, et formant une substance distincte de la substance divine. Elle est l’habitation de Dieu lui-même, selon saint Paul, ITim., VI, 16 ; c’est elle qui s’est manifestée autour du Christ dans sa transfiguration, et c’est elle que verront les élus dans le ciel.

La théorie de la vision de la gloire a-t-elle pénétré les croyances de l’Église arménienne ? On le pourrait croire, en consultant le Libellas de erroribus ad Armenos de Benoît XII, prop. 8, voir t. ii, col. 699, dans Mansi, Concilia, t. xxv, col. 1196. Mais on peut en douter aussi, à ne retenir que les protestations du concile arménien de Cis, voir t. ii, col. 704. Sur la croyance de l’Église arménienne à la vision intuitive de l’essence divine, voir Passaglia et Schrader, appendice déjà cité, n. 14-16, p. 597-598, et note, p. 592 ; Franzelin, De Deo uno, thèse xv, p. 193.

L’erreur de certains grecs trouva, à la fin du xiie siècle et au commencement du xiii, un écho en Occident chez Amaury de Bène, voir t. i, col. 936, et ses sectateurs, les Amalriciens. Les erreurs amalriciennes, furent condamnées en bloc, sans spécification, par le IV « concile de Latran, cf. col. 939. Denzinger-Bannwart, n. 473. Plus tard, elle eut un nouvel écho dans la doctrine d’Augustin Steucho, évêque de Gubbio, Cosmopoieia vel de miindi opiflcio, Lyon, 1535.

La condamnation du IV<= concile de Latran, fut peut-être le point de départ, dans le magistère extraordinaire de l’Église, d’une affirmation dogmatique qui jusque-là, depuis saint Grégoire le Grand, voir ci-dessus, col. 2364, appartenait au magistère simplement ordinaire.

(/) AlJlrntations explicites du magistère extraordinaire.

— a. Benoît XII dans la constitution Benedictus Deus (23 janvier 1336), déclare que les âmes justes sont au ciel, et que « depuis la mort et la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, elles ont vii, voient et verront la divine essence d’une vision intuitive et même faciale, sans aucune créature dont la vue s’interpose, mais immédiatement, grâce à la divine essence qui se manifeste elle-même à nu, clairement et ouvertement. » Voir t. II, col. 658. — b. Le même pape réprouve l’erreur attribuée aux Arméniens.

Quod Arment dicunt.quod

anima ; puerorum baptizato rum et animae niultorum

perf ectorum hominum… non

videbunt Dei essentiam, quia

nulla creatura eam videre

pot est ; sed videbunt clari tatem Dei, quæ ab ejus

essentia nianat, sicut lux

solis émanât a sole, et tanien

non est sol… et in hoc dicunt

quod consistit sanctorum

perfectoruni et puerorum

baptizatorum béatitude.

Mansi, loc. cil.

Les Arméniens disent que

les âmes des enfants baptisés

et les âmes de beaucoup

d’hommes parfaits… ne ver ront pas l’essence de Dieu,

qu’aucune créature n’est ca pable de voir ; mais qu’elles

verront la clarté de Dieu, la quelle émane de l’essence

divine, comme la lumière du

soleil émane du soleil, sans

être cependant le soleil ; … et

c’est en cela qu’ils font con sister la béatitude des en fants morts avec le baptême

et des justes déjà dans le

ciel.

c. Clément V condamne au concile de Vienne (1311) l’erreur des Béghards, affirmant « que toute créature intellectuelle est naturellement bienheureuse en elle-même, et que l’homme n’a pas besoin de la lumière de gloire pour s’élever jusqu’à la vision et la jouissance béatifique de Dieu. » Voir t. ii, col. 532 ; Denzinger-Bannwart, n. 475.

d. Le concile de Florence, dans le décret pour les Grecs, définit que « les âmes (entièrement justes) sont reçues immédiatement dans le ciel et y jouissent de l’intuition claire de Dieu un et trine… » Denzinger-Bannwart, n. 693.