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tivement erré. En principe, la solution de Vasquez n’est pas absolument irrecevable. Toutefois, elle paraît bien absolue, et les noms seuls des Pères mis en cause nous obligent à contrôler de plus près une affirmation peut-être lancée à la légère. Sans doute la pensée des Pères n’est pas toujours claire, voir Dieu, t. iv, col. 109(ï, mais l’obscurité n’est pas l’erreur. Aussi nous semble-t-il plus conforme à la saine critique de restituer aux expressions défectueuses dont se sont servis les Pères en question le cadre dans lequel ils écrivirent et qui fut précisément la cause qu’une doctrine, exacte en soi, fut proposée en des termes inadéquats et déficients.

Les principaux Pères mis en cause appartiennent à l’époque où la controverse arienne était à peine terminée et où les erreurs d’Eunomius obligeaient l’attention catholique à se tenir en éveil. Or, Arius avait refusé au Fils l’invisibilité attribuée au Père, et Eunonius, accordant à l’esprit humain la possibilité d’atteindre naturellement l’essence divine, contraignait les défenseurs de l’orthodoxie catholique à proclamer l’invisibilité du Fils dans sa divinité, et l’incompréhensibilité de la divine essence. Enfin, la langue théologique, encore insuffisamment précisée, pouvait encore tolérer des expresssions qu’après les définitions de Benoît XII les théologiens devaient rejeter. Tel est, semble-t-il, le sens général de la solution à apporter aux difficultés que font, au nom de la tradition patrisrique, les adversaires du dogme de la vision intuitive.

3. Applications : développement normal de la pensée catholique. — Cette solution est confirmée par l’étude des textes eux-mêmes. Après une première période de simple croyance, se présente une période d’explications ; puis, vient la période de définition et de croyance claire.

a) C’est, tout d’abord, une période d’affirmations et de croyance simples, dont nous avons les manifestations chez saint Irénée, Adversus fieereses, t. IV, c. XX, n. 5, P. G, t. VII, col. 1035 ; Théophile d’Antiochc, Ad Autolyciim, t. I, n. 7, P. G., t. vi, col. 1036 ; Clément d’Alexandrie, Strom., t. V, c. i ; t. VII, c. x, P. G., t. IX, col. 17, 48 ; Origène, In Joa., t. i, c. xvi, t. XIX, c. I, P. G., t. XIV, col. 50 ; 535 ; S. Cyprien, Epist., Lvin (Lvi), n. 10, P. L., t. iv, col. 357.

b) C’est ensuite, dans une période de controverse dogmatique, l’époque des formules inexactes. Mais ces formules inexactes sont corrisées par d’autres formules très exactes, dont il est impossible de ne pas tenir compte, si l’on veut fidèlement reproduire la pensée des Pères.

Relevons tout d’abord certaines formules où la contemplation de la gloire signifie évidemment la vision immédiate de Dieu dans son essence, à cause de la vision de la Trinité que comporte cette contemplation. Ces formules sont assez fréquentes chez saint Grégoire de Nazianze, Oral., vii, n. 17, 21 ; viii, n. 23 ; XXIV, n. 19 ; xlii, n. 82, et, avec une nuance dubitative, imposée d’ailleurs, non par un doute véritable sur la réalité de la vision intuitive, mais par l’allure et le sujet du discours, xxviii, n. 4, 17, cf. n. 31, 32, 48, 72, P. G., t. xxxv, col. 776, 781, 816, 1192 ; t. xxxvi, col. 605 ; Saint Basile, dont Vasquez révoque en doute l’orthodoxie, à cause de ses affirmations contre Eunomius, Adversus Eunomium, t. I, n. 4, P. G., t. XXIX, col. 544, où, parlant de la connaissance naturelle, il proclame l’impossiltilite d’atteindre l’essence divine autrement que par l’opération manifestant cette essence, à des textes aussi significatifs que Grégoire de Nazianze. Voir Epist., viii, n. 7, P. G., t. XXXII, col. 257, sq. ; voir dans Franzelin, De Deo uno, th. XV, n. 2, lui bon commentaire de ce texte ; De Spiritu sancto, c. xvi, n. 38 ; id., col. 136 sq. De saint Grégoire de Nysse, Vasquez retient comme contraire

à la thèse catholique. De bealitudinihiis, orat. vi, sur le texte évangélique, Beati mundo corde, qaoniam ipsi Deum videbunt, P. G., t. xliv, col. 1263, sq. Mais il ne s’agit ici que de la vision de Dieu dans cette vie. La doctrine catholique est nettement formulée, Orat. in junere Pulcheriæ, P. G., t. xlvi, col. 870 ; Orat. de Aletetio, où il proclame la vision facie ad faciem, id., col. 861 ; cf. Vita atque encomium S. Ephrxiii, ibid., cnl. 848. A saint Cyrille d’Alexandrie, In Joa., (c. x), t. I, que Vasquez incrimine comme entaché d’erreur, il suffit d’opposer saint Cyrille d’Alexandrie dans le même ouvrage (c. xiv, 21), t. X, P. G., t. lxxiii, col. 177 sq. ; t. lxxiv, col. 284-285. L’impossibilité de voir Dieu, dans le premier texte, s’entend évidemment d’une impossibilité naturelle. C’est avec aussi peu de fondement que Vasquez reproche à saint Cyrille de Jérusalem de ne pouvoir, dans la vision face à face, atteindre Dieu wç yp’Ô ; ’c contexte montre clairement qu’il s’agit ici d’affirmer l’incompréhensibihté divine, même dans la vision intuitive. Cat., vi, n. 6, P. G., t. xxxiii, col. 546, 548 ; cL vii, n. 11, ibid., col. 618. Sur la distinction entre la vision et la compréhension, voir plus loin. Saint Épiphane est cité par Vasquez, Hseres., lxx, 7, 8, P. G., t. xlii, col. 349 sq., mais la restriction de ce père ne porte que sur la vision compréhensive. Il est inutile de nous arrêter aux reproches formulés à l’endroit de saint Ambroise, In Luc., t. I, n. 25, P. L., t. XV, col. 1544, dont saint Augustin a pris la défense, Epist., cxlviii, n. 6, P. L., t. xxxiii, col. 624 sq. ; et qui a, d’ailleurs si nettement formulé la doctrine catholique de la vision intuitive. In Luc., t. X, n. 92, P. L., t. XV, col. 1827 ; Epist., xxii, De bono mortis, c. xi, n. 48, P. L., t. xiv, col. 561 ; et de saint Jérôme, In Is., c. i, P. L., t. xxiv, col. 33. Aux endroits indiqués, ces auteurs ne parlent que de l’impossibilité de voir Dieu par les yeux du corps. Primasius, ou plus exactement le commentaire qu’on lui attribue, In epist. I ad Cor., P. L., t. lxviii, col. 540, ne met une restriction que sur la perfection absolue (la compréhension) de la vision intuitive. Quant à saint Isidore de Séville, Quæst. in Vet Test. In cap. XLII Exod., P. L., t. Lxxxiii, col. 308, son texte ne signifie rien, ni pour ni contre la vision intuitive.

Restent quelques autorités d’écrivains orientaux, capables de soulever une véritable difficulté. Toutefois, en ce qui concerne Euthymius et Théophylacte, dans leur commentaire sur Joa., i, 18, Deum nemo vidil unquctm, il semble bien que la difficulté ne soit pas sérieuse. Il n’est, en effet, question que de la vision de Dieu par les prophètes de l’Ancien Testament et de cette vision on affirme qu’elle n’a pu avoir pour objet la substance divine (sans quoi cette substance n’aurait pas été vue de différentes façons), mais seulement des similitudes, des représentations de l’essence de Dieu. Voir Théophylacte, P. G., t. cxxiii, col. 1164-1165 ; Euthymius, P. G., t. cxxix, col. 1127.

Les deux seuls Pères dont les idées soient contestables sur ce point sont saint Jean Chrysostome et Théodoret. Il semble d’ailleurs que Thcodoret ait accentué la doctrine de son maître et ait dépassé une mesure que celui-ci avait encore observée. Saint Jean Chrysostome paraît nier la vision intuitive, même pour les anges bienheureux, dans ses homélies De Incomprehensibili, homil. i, n. 6 ; iii, n. 3, 5 ; iv, n. 3, P. G., t. XLviii, col. 707, 721, 724, 730-731, et dans ses homélies In Joa., homil. xv(xiv), P. G., t. iix, col. 97. Dieu n’est pas vu dans sa substance mais grâce à une accommodation, un tempérament de ce qu’il est, et cette vision est celle des anges bienheureux aussi bien que des prophètes. Il convient de ne pas faire dire à Jean Chrysostome plus qu’il n’a affirmé. Ce tempérament exprime vraisemblablement la mesure finie et proportionnée à l’état des anges comme des prophètes.