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INTUITIVE (VISION


aussi l’interprétation de Cajotan, d’Estius, de Cornélius a Lapide, qui entendent par sTSoçla nature propre où l’essence même de la cliose. Dans les autres usages que le Nouveau Testament fait du mot sISoç.ce terme est toujours employé avec le sens de manifestation visible des choses, cf. Joa., v, 37 ; Luc, iii, 22 ; ix, 29 ; I Thess., V, 22. Appliqué à Dieu, comme dans Joa., V, 37, il ne peut se rapporter, en fait, qu’à la vision intuitive, seule façon visible pour Dieu de se manifester en lui-même aux hommes. C’est le sens qu’adopte finalement saint Thomas. Sum. theoL, II* II*, q. XXVIII, a. 1, ad 1. Cf. Cornély, op. cit., p. 150 ; Zorell, Novi Testamenti lexicon græcon, Paris, 1911, VeîSoç. La métaphore perspec/em ambiilare, appliquée à l’état des bienheureux, n’a donc rien d’imparfait, quoi qu’en pense Estius : saint Jean ne dit-il pas que les bienheureux marchent dans la lumière ? Apoc, XXI, 24. En résume, le sens du texte de Paul n’autorise pas une distinction entre le vision faciale ou intuitive de Dieu et la vision de Dieu per speciem. Cf. S. Augustin : Videmiis mine jier spéculum in œnigmaie, et hœc est fides : tune autem facic ad faciem et hœc est species. Scrm., cccxLVi, n. 2, P. L., t. xxxix, col. 1523 ; cf. Serm., xxviii, n. 6, P. L., t. xxxviii, col. 180.

2. Doctrine de saint Jean. — L’enseignement de saint Jean sur la vision béatifique se trouve condensé dans la première épître, iii, 1-2. Au t 1, l’apôtre rappelle " quel amour nous a témoigné le père pour que nous soyons nommés et que nous soyons en réalité fds de Dieu ». Cette fdiation divine, affirmée à plusieurs reprises par l’Écriture, ne se conçoit que dans la société de Jésus, c’est-à-dire par une participation de sa filiation et de son droit à l’héritage du Père. En quoi consistera cet héritage, auquel donne droit la filiation divine adoptive ? « JNIes bien-aimés, continue saint Jean, nous sommes maintenant fils de Dieu et ce que nous serons un jour n’apparaît pas encore, ottTTO) èçxvepcôôr ]. Nous savons que lorsque cela paraîtra, nous lui serons semblables (à Jésus, Dieu et homme), parce que nous le verrons tel qu’il est. » Cette manifestation de ce que nous serons, c’est bien ce qui révèle notre filiation, telle que nous l’attendons ici-bas en gémissant, Rom., viii, 19, 23. Et précisément c’est dans la vision de Dieu tel qu’il est, que se manifestera notre filiation divine et la participation de la nature divine dont la grâce est dès ici-l)as le principe : cuin apparuerit, similes ei erimus, quoniam videbimiis eum si cuti est. Remarquons toutefois que le pronom eum se rap-* porte ici, dans la pensée de saint Jean, à Jésus-Christ, Dieu et homme. Mais précisément la preuve que nous cherchons dans ce texte en faveur de l’existence de la vision intuitive de Dieu s’en trouve renforcée : l’opposition que saint Jean exprime touchant l’état de la vie présente et celui de la vie future par rapport à la connaissance que nous avons de l’Homme-Dieu marque bien que la supériorité de l’autre vie se manifestera dans un état glorieux, analogue à celui du Christ glorifié, sin^iles ei erimus. et qui nous permettra d’atteindre Jésus dans le plus intime de sa réalité divine. N’est-ce pas précisément dans saint Jean que Jésus lui-même a déclaré que la vie éternelle, c’est la connaissance du vrai Dieu et de celui qu’il a envoyé, Jésus-Christ, Joa., xvii, 3 ? Et encore ne promet-il pas, à ceux qui l’aiment, qu’ils seront aimés du Père et de lui-même et que lui-même se manifestera à eux ? Joa., xiv, 24. Cf. Apoc, xxii, 3-4 ; car, « qui voit le Fils, voit aussi le Père, » Joa., xiv, 6-9. Apres des affirmations aussi nettes, il n’est donc pas permis d’interpréter d’une impossibilité pour l’autre" monde la négation absolue de toute vision de Dieu dans la vie présente, que S. Jean introduit I Joa., iv, 12, Deum nemo vidit unquam. Cf. Hugueny, A quel bonlteur sommes-nous destinas ? Revue thomiste, t. xii, p. 668-672.

3. Doctrine des autres e’crivains inspirés.

En dehors de saint Paul et de saint Jean, les autres écrivains inspirés ne parlent de la vision intuitive qu’en passant et sans en préciser les rapports soit avec la vie éternelle promise aux justes, soit avec la filiation adoptive. — a) Notons tout d’abord l’assimilation faite par Jésus-Christ des éhis et des anges, Matth., xxii, 30 ; Luc, XX, 36, Or, les anges élus ont précisément pour prérogative de contempler la face du Père qui est dans les cieux, jMatlh., xviii, 10. — b) L’énumération des béatitudes, Malth., ", 3-10, amène Notre-Seigneur à promettre la vision de Dieu, t 8, à ceux qui ont le cœur pur. En réalité, toutes les béatitudes sont identiques quant à leur consommation dans l’autre vie, cf. S. Thomas, Sum. theol., I » II : », q. i.xix, a. 2, ad 3. La vision promise aux cœurs purs peut déjà se réaliser des cette vie, cf. S. Thomas, Cnmm., in h. t., mais elle n’aura sa consommation que dans la vision intuitive.

— c) Il n’y a pas lieu d’insister sur tous les passages de l’y^ncien Testament, où il est question de rechercher la face du Seigneur, Ps. xxiii, 3-6, de Dieu qui voile sa face, au temps de l’épreuve, Job., xiii, 24, qui la manifeste au temps de la l)énédiction et du salut Ps. IV, 7, etc. Ces expressions qu’on pourrait multiplier n’ont aucun rapport avec la vision intuitive, dont l’idée semble absente des perspectives de l’Ancien Testament.

Doctrine des Pères.

1. Difficulté relative à

Vexposé de la tradition touchant la vision intuitive. — Cette difficulté a été signalée déjà par saint Grégoire le Grand : ’Il faut savoir, écrit-il, que certains auteurs accordent que, dans le séjour bienheureux. Dieu est vu dans sa gloire et non dans sa nature. C’est la subtilité d’une recherche excessive qui les a trompés. Dans l’essence divine, simple et immuable, la gloire et la nature ne se distinguent pas : la gloire est la nature, la nature est la gloire ». Moral., 1. XVIIl, c. liv, n. 90, P. L., t. LxxT, col. 93. De cette subtilité excessive, les Grecs orthodoxes, dont l’opinion a été fixée au xiv siècle par Grégoire Palamas, voir Palamas, prétendent tirer une tradition contraire à la tradition catholique. Cette prétention s’est affirmée notamment au concile de Florence, dans les discours de Marc d’Éphèse, PcUrologie orienl(de, t. xv, p. 161. La vision promise aux bienheureux ne saurait, en aucun cas, dit-il, être la vision de Dieu lui-même, car cette vision est forcément compréhensive, et aucune créature, même surnatureliement, ne peut comprendre Dieu. Et ce n’est pas seulement sur l’autorité des Grecs que s’appuie le métropolitain d’Éphèse pour démontrer qu’aucune créature ne peut connaître Dieu en lui-même, il cite encore le Liber solitoquiorum cmimæ ad Deum, c. xxxix, P. L., t. xl, col. 889-890 faussement attribué à saint Augustin. Que voient donc les élus et les anges en Dieu ? C’est cela même qu’ils participent de Dieu, non pas l’essence, mais la gloire. On rencontre déjà avant Florence, pareille doctrine chez certains Arméniens, doctrine condamnée par Renoît XII, voir ce mot, t. ii, col. 699. C’est donc sur cette question très particulière de la vision intuitive quant à Cessence même de Dieu qu’il convient de souligner dans l’Église la continuité de la tradition, en montrant que l’interprétation des Grecs orthodoxes ne se rattache pas à un solide fondement. Sur la question générale de la vision intuitive, on a déjà, à propos de la constitution Benediclus Deus, t. ii, col. 673, apporté de nombreux textes sur lesquels il est inutile de revenir.’?. Sens général de la solution de cette difficulté. — N’asquez, In 7ara p. Sum. theol., disp. XXXVII. c. i-iv, a propose une solution radicale : le dogme de la vision intuitive n’étant pas encore suffisamment explicite, nombre de Pères, surtout parmi les Opienlaux, auraient sur ce point, encore mal défini, posi.