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INTUITIVE (VISION’2360

toules les obscurités disparaîtraient. C’est là, en nous, un désir naturel. Désir naturel condilionnel : si Dieu nous donnait le moyen de le voir comme II se voit ; car il est manifeste que les seules forces r, -turelles de notre esprit ne suffisent pas. Étant conditionnel, ce désir est inefficace : il ne constitue pas une exigence, comme l’ont pensé à tort Baius et les Jansénistes. C’est à vrai dire une velteitc, qui pourrait être frustrée sans qu’il en résultât pour nous une souffrance. Ainsi en serait-il si nous avions été créés dans un ordre purement naturel. Mais, dira-t-on, comment une velléité naturelle peut-elle avoir un objet surnaturel ? (C’est que) son objet n’est pas formellement surnaturel, car c’est par un moyen naturel qu’il est connu comme désirable. Il n’est surnaturel que matcriellement, au sens métaphysique du mot : c’est-à-dire une réalité surnaturelle connue d’un point de vue naturel. En d’autres termes, ce que naturellement nous désirons voir, c’est l’essence divine, en tant qu’elle est principe des attributs divins naturellement connaissables, pour avoir l’évidence intrinsèque de leur intime conciliation : notre désir naturel ne porte pas sur l’essence divine en tant qu’elle est le principe des relations trinitaires, ou fondement de l’ordre surnaturel de la grâce et de la gloire. Plus simplement, l’homme peut naturellement désirer voir l’essence de Dieu, auteur de l’ordre naturel, et non pas l’essence de Dieu, en tant qu’il est l’auteur de l’ordre surnaturel, puisque les réalités de cet ordre ne nous sont connues que par révélation. Mais l’essence divine est une, absolument simple, et l’on ne peut la voir en tant qu’elle est principe des attributs divins, sans la voir en même temps €n tant qu’elle est principe des relations trinitaires. Ainsi la velléité dont nous parlons nous manifeste la possibilité de notre élévation à la vision surnaturelle. » Dieu, son existence et sa nature, Paris, 1920, p. 392393. Cf. De revelatione, Rome-Paris, 1918, t. i, p. 384-398. Cf. J.-B. Terrien, La Grâce et la Gloire, Paris, s. d.(1897), t. ii, appendice ix. Les preuves rationnelles de la vision bcatifii/ue en présence du caract’tre surnaturel de la même vision. De plus, les thomistes admettent d’ordinaire et, conformément à la doctrine formulée plus haut, que cette preuve n’est qu’un argument de convenance, comme ceux qui sont allégués en faveur de la possibilité des autres mystères surnaturels. Cf. Billuart, De Deo, diss. IV, a. 3, appendix ; Salmanticenses, De visions Dei, disp. I, dub. 3, n. 44. Sur toute cette discussion, on lira, des mêmes auteurs, dub. 4 et 5 ; Jean de Saint-Thomas, Cursus theologicus, De exisientia Dei in rébus, q. xii, disp. XII, a. 3 ; Gonet, Clypeus théologiens, tract. II, a. 5, etc. — I. Divergences secondaires dans l’exposé de l’argument. — En dehors de l’école strictement thomiste, notons quelques divergences dans l’exposé des éléments de l’argument de saint Thomas : a) Vasquez, // ! /"" « //a ». q. V, a. 8, disp. XXII ; Suarez, De attribnlis divinis, t. II, c. VIT, n. 10-11, et Grégoire de Valencia, In /ara //se^ q. v, a. 8, disp. I, punct. 1, suivant en cela l’interprétation de Sylvestre de Ferrare, n’admettent pas que le désir naturel élicite de la béatitude suprême soit libre dans sa spécification. Cette liberté est admise par la plupart des thomistes. Cf. Salmanticenses, ioc. cit., dub. 5, n. 78 ; P) Les thomistes tiennent généralement que le désir naturel de voir l’essence divine se termine à l’essence divine, principe des attributs naturellement connaissables et non pas principe de la trinitc des personnes et fondement de l’ordre surnaturel. Suarez, Vasquez, Grégoire de Valencia, Ioc. cit., prétendent que ce désir se termine à l’essence divine envisagée aussi bien comme principe des attributs naturellement connaissables, que comme source des mystères de la vie intime de Dieu et de l’ordre surnaturel. Cf. Salmanticenses, Ioc. cit., n. 73, 75, 77.

3. Démonstration négative de la possibilité de la vision intuitive. — Il s’agit uniquement ici de présenter le concept de la vision intuitive de façon à en éliminer toute contradiction. Il y aurait, avons-nous dit, une évidente contradiction à supposer qu’une créature puisse connaître Dieu tel qu’il est en lui-même, par une représentation intellectuelle de Dieu, reçue en son _ esprit. Il faut donc, pour éviter cette contradiction, H que l’essence divine devienne elle-même, par rapport à l’esprit bienheureux, sa propre représentation, remplaçant ainsi d’une manière suréminente toute représentation reçue en l’esprit et proportionnée à sa faiblesse. Dieu n’est pas vu dans une idée que s’en forme l’intelligence bienheureuse, mais il attire et élève jusqu’à lui, sans intermédiaii’e, cette intelligence et l’unit intentionnellement à sa substance, qui est la souveraine intelligibilité. Union mystérieuse, qui n’a qu’un parallèle, l’union substantielle du Verbe et de l’humanité. Et, c’est précisément par l’idée que la théologie catholique s’est faite de l’union hypostatique, que notre esprit peut parvenir à mettre quelque ordre dans sa façon de concevoir la vision intuitive. « Par le fait que Dieu a voulu se faire homme, dit saint Thomas, il a fourni à l’homme un exemple de cette union bienheureuse par laquelle l’esprit créé est uni à l’esprit incréé dans un acte d’intelligence. Il n’est point d’ailleurs incroyable que l’esprit d’une créature puisse être uni à Dieu dans la contemplation de son essence, puisque Dieu s’est uni à l’homme, en prenant sa nature. » Compendium theologiæ, c. cci.

En quoi consiste le parallélisme des deux unions, et comment de ce parallélisme bien établi résulte la démonstration négative de la possibilité de la J vision intuitive : tel est le point sur lequel il importe aj d’insister.

a) Parcdlélisme de la vision intuitive et de l’union hgpostatique. — La similitude entre la vision intuitive et l’union hypostatique s’affirme dans les conditions requises pour l’une et pour l’autre. Dans l’union hypostatique, voir ce mot, col. 525-529, la substance divine donne à l’humanité l’existence que cette humanité n’aurait naturellement possédée que par un acte créé ; dans la vision intuitive, l’être divin supplée la forme intelligible et donne à l’intelligence créée la perfection que naturellement elle ne pourrait acquérir que par la représentation intellectuelle de son objet, c’est-à-dire par l’espèce impresse. Sans doute, l’union hypostatique est une union substantielle, puisque la divinité constitue l’humanité dans son être même ; et la vision intuitive n’est qu’une union accidentelle, puisqu’elle suppose la créature déjà existante. Cependant quelle similitude dans l’une et l’autre union, en ce qui concerne le rôle joué par Dieu à l’égard de sa créature ! Dans l’union hypostatique, en effet, en donnant à la nature humaine de subsister dans le Verbe, Dieu se substitue pour ainsi dire à l’être créé et donne à l’humanité la perfection qu’elle aurait naturellement possédée par l’acte de l’existence. Dans la vision intuitive. Dieu se substitue à la forme intelligible, et donne à l’intelligence la perfection qu’elle aurait naturellement eue par l’impression faite par l’objet intelligible dans la puissance de son esprit.

b) Ce parallélisme éclaire l’idée de vision intuitive et en élimine toute contradiction. — L’union hypostatique n’est pas une union de nature, d’où résulterait comme une troisième chose, différente à la fois de la divinité et de l’humanité. C’est une union dans l’être. Or, rêtre comme tel, ne diversifie pas, ne modifie pas l’essence, mais lui donne simplement d’exister réellement selon l’ordre et les perfections qu’elle comporte. Mais parce que l’être ne modifie pas l’essence, il s’ensuit immédiatement qu’aucune impossibilité évidente n’apparaît à ce qu’une nature puisse exister en vertu d’un être