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INTUITIVE (VISION

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par l’objet à son acte, est une puissance passive. D’autre part la puissance passive se divise en puissance passive naturelle, et en puissance passive obédientielle ; celle-là est ordonnée à un acte, à une perfection qui lui est proportionnée ; celle-ci, qui n’existe que par rapport à l’intervention de la cause première, est ordonnée à un acte, à une perfection excédant sa nature, et en raison même de l’intervention de la cause preniière à laquelle elle ubiHt. Ainsi, dit saint Thomas, « dans toute créature, il existe une puissance obédicnticUe, en tant que toute créature obéit à l’action divine pour recevoir en soi tout ce qu’il plaît à Dieu. » De virtatibus, q. i, a. 10, ad 13. Sur la conception contradictoire d’une puissance obédientielle active, admise par Suarez, In III^’^, disp. XXXI, sect. VI, n. 98, voir Billuart De Deo, diss. IV, a. 5, § 3 et Jean de St-Thomas, In 7-"", q. xii, disp. XIV, a. 2, n. 10. Cf. L. Mathieu, François Suarez, sa philosophie et les rapports qu’elle a avec sa théologie, Lille, 1921, p. 415-418. Enfin, la puissance passive, obédientielle par rapport à l’intervention de Dieu, peut être encore envisagée sous un double aspect -.ou bien par rapport à Dieu, auteur de la nature, et ainsi, en toute espèce de créature, une puissance obédientielle existe, parce que Dieu peut produire, en toute espèce de créature, des effets miraculeux ; ou bien par rapport à Dieu, auteur de la vie surnaturelle, et ainsi sous cet aspect, seules, les créatures intelligentes, susceptibles d’être élevées à la vie surnaturelle, possèdent une puissance obédientielle véritable. — b) Objet propre de l’intelligence humaine. — C’est l’essence intelligible existant objectivement dans les réalités sensibles, et connue par voie d’abstraction. Cf. S. Thomas, Sum. theol., I^, q. XII, a. 4 ; q. lxxxv, a. 1 ; q. lxxxiv, a. 7 ; q.Lxxxvii, a. 3 ; IIa-IIæ, q.viii, a. 1. — cJObjet adéquat de l’intelligence humaine. — L’objet propre est la réalité intelligible directement atteinte par notre intelligence ; l’objet adéquat ou extensif ajoute à l’objet propre. Tout ce qui possède l’être, et, par là même, l’intelligibilité, fait partie de l’objet adéquat de notre intelligence, alors même que nous ne l’atteindrions pas directement, par la voie de l’abstraction, dans les données sensibles. Toute connaissance, même simplement analogique et par voie de raisonnement, se rapporte à Vétre, objet adéquat de notre intelligence. Et par là Dieu, dans sa réalité même, ne dépasse pas l’objet adéquat de notre esprit. Toutefois on ne saurait démontrer que l’être, considéré dans toute son extension, et surtout dans ce qu’il peut présenter de transcendant par rapport aux créatures que nous pouvons naturellement connaître, peut être atteint, sous son aspect transcendant et mystérieux, par notre esprit même fortifié par une lumière surnaturelle. — d) Convenance de l’intuition surnaturelle de Dieu, objet adéquat de notre intelligence. — Seul, un argument de convenance peut ici être invoqué. C’est celui que propose saint Thomas, Sum. theol., I", q. xii, a. 4, ad 3, comparant le sens de la vue à la faculté de l’intelligence, par rapport à une élévation possible de l’une et de l’autre à une connaissance d’ordre surnaturel : « Le sens de la vue, étant absolument matériel, ne peut être élevé d’aucune manière jusqu’aux choses immatérielles. Mais notre intelligence, ainsi que celle des anges, étant naturellement placée au-dessus de l’ordre matériel, peut être élevée par la grâce au-dessus de sa propre nature. Une indication fsignum) de la vérité de cette affirmation, c’est que la vue ne peut connaître aucunement d’une manière abstraite ce qu’elle connaît concrètement : elle ne perçoit les objets qu’autant qu’ils sont individualisés. Mais notre intelligence peut considérer abstractivement ce qu’elle perçoit concrètement ; car, bien qu’elle connaisse des choses dont la forme est inliérente à la matière, elle peut les décom poser et ne s’occuper que de la forme prise en elle-même. Pareillement l’ange, apte naturellement à connaître l’être concret existant en une nature individuelle, peut cependant considérer à part cet être, sachant par la connaissance qu’il a de lui-même qu’il n’est pas lui-même son être. Et ainsi, l’intelligence créée, étant naturellement apte à saisir la forme concrète et l’être concret dans une abstraction par une sorte de décomposition de l’objet, peut par la grâce être élevée jusqu’à la connaissance de la substance séparée subsistante et de l’être séparé subsistant. » C’est donc parce que l’homme et l’ange sont doués d’intelligence, et d’une intelligence qui ne paraît pas limitée à un ordre déterminé d’objets intelligibles, que l’on peut avec vraisemblance inférer la possibilité surnaturelle de la vision intuitive. C’est cette puissance, surnaturellement illimitée, qui constitue la puissance obédientielle de l’intelligence humaine et angélique par rapport à la vision intuitive. Pour le développement de cet argument voir Garrigou-Lagrange, De revelatione, t. i, p. 376-382.

2. Convenance de la vision intuitive, eu égard à notre désir naturel de voir Dieu. — Sur ce désir élicite et non inné, voir Appétit, col. 1698.

a) L’argument de saint Thomas : « II y a dans l’homme le désir naturel de connaître la cause des effets qu’il aperçoit, et c’est là ce qui provoque en lui l’admiration. Si la pensée humaine ne pouvait s’élever à la cause première des choses, ce désir de la nature ne serait qu’une chimère. » Sum. theol., l’^, q. xii, a. 1. — n Quand l’homme connaît un effet et sait que cet effet a une cause, il lui reste toujours naturellement le désir de connaître ce qu’est cette cause. Si l’entendement humain qui connpît l’essence d’un effet créé ne sait de Dieu qu’une chose, son existence, sa perfection ne s’est pas encore absolument élevée jusqu’à la cause première et il lui reste toujours le désir naturel de connaître cette cause : il n’est point encore pleinement heureux. Pour obtenir la béatitude parfaite, il lui faut s’élever jusqu’à l’essence même de la cause première. » Id., I^ II » « , q.iii, a. 8. — « Dans la connaissance naturelle et imparfaite qu’ont de Dieu les anges, leur désir naturel ne trouve pas le repos, mais il est bien plutôt excité à voir la substance divine. » Cont. Gent., t. III, c. L. Quelle que soit la portée de cet argument, sur lequel on reviendra, il convient présentement de ren^arquer que saint Thomas s’y proposait de défctidre la doctrine révélée touchant la félicité suprême de l’homme, contre les négations absolues émanées principalement des philosophes arabes. Il entend donc simplement démontrer qu’il n’existe naturellement aucune répugnance, qu’au contraire il y a une souveraine convenance, à ce que la vision intuitive soit accordée surnaturellement à l’homme. Il parle de simple possibilité, non de nécessité ou de réalité. Voir Billot, De Deo uno, Prato, 1910, p. 143 ; Gardeil, art. Appétit, t. i, col. 1698.

b) E. : ugércdion de la portée de cet argument. — C’est la position théologique de Baius et des Jansénistes, qui admettent un désir naturel, mais efficace de la vision intuitive, de telle sorte que cette vision serait due à la nature humaine, et en quelque manière naturelle à l’état d’intégrité. Voir plus haut, et Baius, t. ii, col. 74 sq. ; cf. Baius, prop. 3, 4, 5, 21, 23, 26 ; Denzinger-Bannwart, n. 1003, 1004, 1005, 1021, 1023, 1026 ; Quesnel, prop. 34, 35, 37, ibid., n. 1384, 1383, 1387 ; Synode de Pistoie, prop. 16, 18, ibid., n. 1516, 1518. Cette exagération nous permet de fixer un aspect limitatif de l’argument apporté par saint Thomas. C’est qu’en parlant de désir naturel de voir Dieu, saint Thomas n’entend pas un désir efficace. Sa pensée sur ce point ne peut être mise en doute. Il distingue, en elTet, très nettement deux fins de l’homme, deux béa-