Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 7.2.djvu/528

Cette page n’a pas encore été corrigée
2305
2306
INTERPRÉTATION DE L'ÉCRITURE


les Pères du Vatican interprétaient sa valeur doctrinale et sa portée positive. Si leur interprétation était valable dans ces cas, pourquoi ne le serait-elle pas relativement à la formule de Trente in rébus, etc.? Mgr Gasser, au nom de la députation de la foi, maintenait son inversion, tout en en expliquant le sens. Son interprétation a eu une influence évidente sur la majorité des Pères qui vota le décret dans le sens expliqué. Ce sens, exposé au nom de la députation de la foi, ne saurait donc être douteux. D’ailleurs, nous avons vu plus haut, col. ^297, que les Actes de Trente ne fournissent rien de précis sur le sens de la restriction in rébus fidei et morum, etc.

Le P. Granderath, usant de la liberté d’interprétation qu’il s'était octroyée, a proposé une explication de cette formule. Consiitutiones dogmaticæ sac. œcumenici concilii Vaticani, Fribourg-en-Brisgau, 1892, p. 54-61. Dans les décrets des deux conciles, les choses qui concernent la foi et les mœurs ne sont pas opposées aux faits historiques, puisque certains dogmes de la plus haute importance, comme celui de la mort de Jésus-Christ, sont des faits historiques. Aux choses qui concernent la foi et les mœurs s’opposent les choses qui ne sont pas religieuses, qui n’ont point de rapport avec Dieu et avec la religion, qui n’appartiennent pas aux matières dont est construit l'édifice de la doctrine chrétienne. Or, il y a dans la Bible des choses qui ne concernent pas la religion. Ce ne sont pas les obiter dicta ; ce ne sont pas non plus les nombreux récits de guerre, qui, en appai-ence politiques et profanes, ont tous un rapport étroit avec l’histoire sainte : ce sont des vérités telles que la nature de la plante sous laquelle Jonas se reposait, l'étendue du déluge relativement à la terre entière et à tous les animaux, mais non pas aux hommes, cette universaUté appartenant à l’histoire de la rehgion, puisque tous les hommes avaient péché. D’autres vérités d’ordre scientifique, telles que celle-ci : « Le soleil se lève, » qui est contenue dans la parole du Sauveur. « Dieu fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, » Matth., v, 15, n’appartiennent pas à la religion. L'Église pourra toutefois interpréter la parole de Notre-Seigneur ; elle ne sera pas l’interprète de la vérité : « Le soleil se lève », qui y est contenu. L'Église pourrait encore, mais seulement par un jugement solennel et non dans son magistère ordinaire, interpréter l'Écriture même au sujet d’une vérité qui n’est pas, de soi, rehgieuse, si celle-ci avait quelque connexité avec la révélation ; si, par exemple, une interprétation différente aboutissait à nier l’inspiration d’un passage scripturaire faussement expliqué.

D’autres théologiens entendaient le décret du Vatican dans un sens analogue. M. Vacant retrouvait la formule restrictive in rébus, etc., dans le décret de l’infaillibilité pontificale, dont l’objet est doctrina de fide et moribus tenenda. Elle doit donc s’expliquer, non seulement des vérités révélées, mais encore de toutes les autres qui sont en connexité avec elles. Elle s'étend donc, non seulement à l’essence de la doctrine révélée, mais aux éléments qui peuvent servir à Védifiei et à la construire. L’interprétation de l'Écriture par l'Église a ainsi pour objet tout ce qui touche à la révélation et rentre dans la doctrine chrétienne. Ce principe général étabh, que nous devons admettre le sens de l'Écriture admis par l'Éghse sur les matières qui rentrent dans la doctrine chrétienne et qu’elle enseigne infaiUiblemfent, M. Vacant, après Dom Crets, (voir col. 2151), dans sa thèse de doctorat, De diuina Bibliorum inspiratione dissertalio, Louvain, 1886, p. 326, 339, prouve que la restriction in rébus, etc., ne s’applique pas directement aux textes de l'Écriture, les uns traitant de la foi et des mœurs et les autres n’en traitant pas ; elle s’applique directement aux interprétations données

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

par l'ÉgUse à l'Écriture, en distinguant celles que l'Éghse impose et celles qu’elle n’impose pas, et indirectement seulement aux textes interprétés en tant qu’ils ont le sens que l'Église leur attribue. Études théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, Paris, Lyon, 1895, t. i, p. 524-545.

Le décret qui nous intéresse a reçu des interprétations plus larges. M. Émilien Schœpfer, professeur au grand séminaire de Brixen, prouve par l'étude des documents que les mots in rébus, etc., sont restrictifs et restreignent l’interprétation de l'Écriture par l'Église aux seules matières de la foi et des mœurs. Saint Thomas d’Aquin lui fournit ensuite une exphcation plus précise par sa distinction entre les res fidei per se et les res fidei per accidens. Les premières représentent la substance de la foi ; les secondes n’appartiennent pas/ à la foi de leur nature propre, mais uniquement parce qu’elles sont consignées dans la sainte Écriture. M. Schœpfer cite plusieurs textes du docteur angelique : ainsi les mystères de la trinité et de l’incarnation sont opposés par lui à ces faits bibhques qu’Abraham eut deux fils, qu’un mort ressuscita au contact des ossements d’Elisée, Sum. theol., I^ 11^^, q. i, a. 6, ad limjle même exemple des deux fils d’Abraham est joint à la mention que David fut fils d’Isaï, ibid., q. II, a. 5 ; cf. a. 7, q. viii, 1. 2. Au sujet des premières de ces vérités, on ne peut varier d’opinion, même si un ange annonçait un autre Évangile que celui de saint Paul ; mais les secondes, contenues dans l'Écriture que la foi nous dit avoir été inspirée par le Saint-Esprit, peuvent, sans danger, être ignorées par ceux qui ne lisent pas la Bible, telles que beaucoup de points d’histoire, et in his etiam sancti diversa senserunt, Scripturam divinam diversimode exponentes. Saint Thomas apphque cette distinction à ce que la Genèse raconte de la création du monde : sur ce point, il appartient à la substance de la foi que le monde a eu un commencement et a été créé, et hoc omnes sancti concorditer dicunt. Quo autem modo et ordine factus sit (mundus) non perlinet ad fidem nisi per accidens, in quantum in Scriptura traditur, cujus veritatem diversa expositione sancti saluantes diversa tradiderunt. In Sent., t. II, dist. XII, q. i, a. 2. Saint Thomas applique sa distinction des res fidei per se et des res fidei per accidens à l’interprétation de l'Écriture par les saints Pères, et il a répété plusieurs fois cette application. Ibid., t. II, dist. II, q. i, a. 3. Or, ce que saint Thomas a dit de l’interprétation de l'Écriture par les Pères, nous pouvons le dire de l’interprétation de la même Écriture par l'Église, et ainsi introduire la distinction du docteur angéhque smles res fidei dans l’explication du décret des conciles de Trente et du Vatican. Le cardinal Franzehn, l’a fait exphcitement. jDe divinatradiiione etScriplura, 3e édit., Rome, 1882, p. 527 sq., et personne ne l’a tenu pour un minimiste. Toutefois il faut remarquer que tous les faits de l’histoire profane, ne sont pas res fidei per accidens, que certains ont un rapport nécessaire avec le dépôt de la foi et que ce rapport peut justifier l’interprétation de l'Église pour exprimer leur réelle et juste signification. Bibel und Wissenschaft, Brixen, 1896, p. 92-107. M. Schœpfer explique ensuite les termes ad œdificationem doctrinee christianee pertinentium, qui, selon lui, ne sont ni restrictifs ni explicatifs, mais répètent seulement la même chose. Ibid., p. 107-117.

L’interprétation de M. Schœpfer a été discutée par J. Vinati, De sacrée Scripturæ assertis ab Angelico doctore « de fide per accidens », dans Divus Thomas, 1886, n. 4, p. 50 sq. ; Mgr Egger, Streiflichter ùber die freiere Bibcljorschung, Brixen, 1899, p. 5 sq. Ces deux théologiens soutinrent que l'Éghse avait le droit positif d’interpréter toutes les propositions de l'Écriture,

VII. — 73