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INTERDIT


Bérangère eût été renvoyée à son père, la sentence d’absolution visa simultanément l’excommunication des coupables et l’interdit du royaume. Innocent III, Regesia, t. II, epist. lxxv ; t. VII, epist. lxvii et xciv ; P. L., t. ccxiv, col. 612 ; t. ccxv, col. 345 et 376.

3. L’interdit prive ceux qui en sont frappés de certaines choses sacrées que le Code énumère en parlant des effets de l’interdit. Nous examinerons en détail ces effets. D’une manière générale, la sentence peut être plus ou moins sévère et porter plus ou moins d’interdictions ; mais les choses qui peuvent être prohibées par l’interdit se ramènent à trois groupes de biens spirituels : la réception des sacrements, la participation aux offices divins ou leur célébration, la sépulture ecclésiastique. Ferraris, loc. cit., col. 759.

Espèces.

L’interdit peut être jeté sur des lieux ou sur des personnes ; et dans les deux cas, il est particulier ou général. D’où quatre espèces d’interdits :

L’interdit local particulier atteint un lieu, nous pourrions dire un local déterminé, par exemple un cimetière, une église ou même un autel.

L’interdit local général atteint un groupe plus ou moins important de lieux particuliers, un royaume par exemple, ou une province ou un diocèse, ou encore une ville, une paroisse. Innocent III, Regesta, t. I, epist. ccccLiv, P. L., t. ccxiv, col. 506 ; reproduit dans les Décrétâtes de Grégoire IX, t. V, tit. xl, c. 17 ; Friedberg, Corpus juris canonici, Leipzig, 1881, t. ii, col. 916-917. Nous avons vu et nous verrons des exemples d’interdit porté contre des pays par Innocent III ; pour nous en tenir au même pape, en 1198, il interdit la ville de Crémone coupable d’avoir soutenu l’usurpateur Markwald, t. I, epist. cccclxi, P. L., t. ccxiv, col. 433 ; et en 1203, il menace de frapper d’interdit la province de Normandie, si le roi d’Angleterre, Jean Sans Terre, refuse de recevoir l’évêque deSéez. L. III, epist. lxxiii, P. L.. t. ccxv, col. 69.

L’interdit personnel particulier frappe directement une ou plusieurs personnes spécialement désignées, ou coupables du crime visé par la sentence.

L’interdit personnel général, que l’on pourrait appeler aussi collégial ou collectif, atteint un groupe de personnes dont plusieurs peuvent être innocentes, par exemple, les habitants d’une ville, ou encore une personne morale comme une université, un collège, un chapitre, un couvent. Ferraris, loc. cit., col. 760-761. II. Anoenneté et usage. -^ Il est difficile d’assigner une date précise au premier emploi de ce genre de pénalité.

L’interdit personnel est sans doute aussi ancien que l’Église, sinon dans sa forme juridique actuelle, du moins dans son principe. Il était naturel que, pour punir certaines fautes et ramener un coupable au droit chemin, on songeât à l’exclure des assemblées de fidèles ; et cette exclusion pouvait être une excommunication, si elle brisait le lien intérieur ; elle pouvait aussi bien n’être qu’une interdiction de se mêler aux assemblées liturgiques. La sanction posée en principe par Jésus-Christ : Sit tibi sicut etlinicus et pub’icanus, Matth., xviii, 17, s’interprète également de l’une et de l’autre maniè.re. C’était un véritable interdit que la discipline qui n’admettait pas les pénitents aux assemblées religieuses ; et le geste par lequel saint Ambroise aurait arrêté sur le seuil de l’église de Milan l’empereur Théodose après le massacre de Thessalonique, était également un interdit. Cf. S. Ambroise, EpisL, Li, P. L., t. XVI, col. 1160 sq.

Vers l’époque de saint Ambroise, la correspondance de saint Basile (329-379) contient une mention d’un interdit collégial et d’un interdit local. Un évêque avait demandé au saint docteur ce qu’il convenait de faire pour punir le rapt d’une jeune fille Saint Basile

répond, Epist., cclxx, P. G., t. xxxii, col. 1002-1003, que le ravisseur doit être excommunié, ses complices avec toute leur famille exclus des prières pendant trois ans (ce qui vraisemblablement veut dire que pendant ce temps on ne les admettra pas à prier avec les fidèles), et que, dans le lieu où le ravisseur se sera réfugié, on ne doit pas célébrer les offices tant que les habitants n’auront pas chassé le coupable ou que la jeune fille n’aura pas été rendue à ses parents. Que cette sentence ait été suivie d’effet ou non, peu importe ; mais la manière dont saint Basile répond ne permet pas de penser qu’il fût lui-même l’inventeur de cette pénalité ; il a dû la trouver en usage autour de lui et avant lui.

Interdire un village, une ville ou interdire une province ou un royaume sont des mesures qui ne diffèrent que par le degré de gravité et non par la nature. Ce degré fut-il vite et souvent franchi ? Les documents font défaut pour répondre ; et en tout cas il faut attendre plusieurs siècles pour trouver un interdit lancé contre un royaume, une province ou même un diocèse. Grégoire VII (1073-1085), aurait prononcé un interdit contre la Pologne, Ferraris, loc. cit., col. 764. Une lettre de saint Yves de Chartres († 1115) au pape Pascal III, Epist., xciv, P. L., t. clxii, col. 114, demande au pape de faire fermer les églises de la ville de Chartres et des faubourgs en punition de graves désordres : c’est un véritable interdit que sollicite le saint, bien que le mot ne soit pas prononcé ; mais il avoue lui-même qu’il demande une mesure peu employée : « à des maux nouveaux, dit-il, il faut appliquer des remèdes inusités, insolita medicamenta. » Il allait en être autrement. Au cours des xii « et xiiie siècles, l’usage de l’interdit général contre une province ou un royaume devient de plus en plus fréquent. En 1129, l’évêque de Paris, Etienne de Senlis, met en interdit son diocèse où Louis le Gros voulait l’empêcher de réformer certains abus. S. Bernard, Epist., XLV, xLvietxLVii ; P. L., t. clxxxii, col. 149 sq. ; Vacandard, Saint Bernard, Paris, 1895, 1. 1, p. 264 sq. En 1142, le pape Innocent II met en interdit les villes, villages ou châteaux dans lesquels s’arrêterait le roi de France, Louis le Jeune. Vacandard, op. cit., t. II, p. 180. La même année, le légat du pape prononce la même sentence contre les domaines du comte de Vermandois. En 1170 et 1171, Alexandre III, après une première menace, prononce l’interdit contre les domaines de Henri II, roi d’Angleterre, à l’occasion de ses démêlés avec saint Thomas Becket.

Avec Innocent III (1198-1216), commence ce que l’on pourrait appeler l’âge d’or de l’interdit. La grandeur des desseins, que ce pontife poursuivait avec une énergie indomptable, le rôle que jouait alors la papauté au milieu de la chrétienté, expliquent qu’il n’ait pas craint de recourir fréquemment à une mesure aussi grave et par le fait même aussi efficace. Nous avons déjà signalé pour la première année de son pontificat l’interdit porté contre la ville de Crémone. La même année, 1198, la France est mise en interdit par le légat Pierre de Capoue : il s’agissait de forcer le roi Philippe-Auguste à abandonner Agnès de Méranie pour revenir à son épouse légitime, Ingeburge de Danemark ; après d’inutiles admonestations, il devenait nécessaire d’user de rigueur, ou, comme le disait plus tard le pape lui-même à la reine Ingeburge, « après avoir inutilement pansé les plaies avec de l’huile, il fallait y verser du viii, » pour les guérir plus vite. L, III, epist. XI, P. L., t. ccxiv, col. 881 sq. L’interdit ne fut levé qu’après deux ans, le 8 septembre 1200, après que le roi se fut soumis et eut repris son épouse. Gesta Innocenta III. c. li sq. P. L., t. ccxiv, col. xcvi sq. ; Regesta, 1. II epist. cxcvii, P. L., ibid., col. 745 sq. En 1198 encore, le pape enjoint au moine Rainier,