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INTENTION


aura son plein elïel, quoi qu’il ait pensé et voulu à part soi. Pareillement donc un sacrement dont le rite extérieur fut sérieusement accompli était valide ; en aucun cas on ne pouvait le considérer comme nul, par défaut d’intention intérieure dans le ministre. — Au surplus, l’intention mentale du ministre était chose qui écliappe à l’observation, au contrôle Si elle est indispensalile à la validité, comment les fidèles sauront-ils s’ils ont vraiment reçu un sacrement quelconque ? Est-il impossible qu’un prêtre de mauvaise foi, baptise, absolve sans intention ou même avec une intention contraire, et, par conséquent, d’une manière nulle ? Ne peut-on imaginer un évêque conduit par un esprit pervers et faisant des ordinations invalides ? Quelle source perpétuelle de perplexités et d’appréhensions chez les fidèles sur l'état de leur âme, par rapport à leur salut I Quel danger que la hiérarchie d’ordre ne soit plus assurée, que le sacerdoce ne soit tari dans sa source I Voilà, disaient les défenseurs de Catharin, les désastreuses conséquences auxquelles expose l’intention mentale, si elle est requise.

Ils alléguaient, en outre, des textes d’auteurs anciens à qui ces difficultés n’avaient pas échappé tout à fait. Il leur semblait que saint Augustin, à propos de deux cas de simulation du baptême, l’un dans l’assemblée religieuse, l’autre sur la scène, avait résolu le premier dans le sens de leur opinion, déclarant valide le rite extérieur accompli sérieusement, quoique sans intention mentale. Voir De baplismo contra donatislos, t. VII, c. lui, n. 101, P. L., t. XLiii, col. 242. Ils n’avaient garde de négliger une réponse d’Innocent IV qui leur paraissait favorable à leur thèse, bien qu’il l’ait donnée avant son pontificat et qu’on puisse y voir le cas d’une intention intérieure implicite : Non est necesse quod baplizans gérai in mente facere, quod facit Ecclesia ; imo si conlrarium gereret in mente, scilicet non facere, quod facit Ecclesia, sed tamen facit, quia formam serval, nihilominus bapiizat, dummodo baptizare minister inlendat. Enfin ils prétendaient que saint Thomas lui-même tenait l’intention extérieure pour suffisante ; et ils citaient à l’appui de cette assertion plutôt nouvelle, un passage de la Somme Ihéologiqae : Minister sacramenti agit in persona lotius Ecclesiee, cujus est minister. In ver bis autem quae proferl, exprimitur intentio Ecclesiee, quae sufficit ad perfectionem sacramenti, nisi contrarium exterius exprimatur ex parte ministri vel recipientis sacramentum, III », q. lxiv, a. 8, ad 21™. L’intention de l'Église exprimée par l’accomplissement extérieur du rite sacramentel suffirait donc, excepté dans le cas où, soit le ministre, soit le sujet manifesteraient extérieurement qu’ils agissent par dérision.

"'^Gependant personne entre les thomistes, avant Gontenson, n’avait soupçonné saint Thomas d'être partisan de l’intention purement extérieure ; bien au contraire. Dans sou opuscule De sacran.entis, d’oii le pape Eugène IV a extrait à peu près littéralement V Instruction aux Arméniens, le saint docteur mentionne, outre la matière et la forme, le ministre avec l’intention de faire ce que fait l'Église. Une intention si nettement distinguée du rite extérieur, qui s’y ajoute, ne peut être que mentale. Dans le texte en cause, saint Thomas ne dit pas qu’il suffit d’avoir l’intention de proférer les paroles, mais que c’est assez de l’intention que les paroles expriment. Lors donc que la forme signale l’action ministérielle : je te baptise, je te confirme, il suffit que le ministre ait l’intention que la forme signifie, pourvu qu’elle soit réelle et nullement fictive. Cette intention est intérieure, mais noh exclusivement, car elle s’extériorise et prend corps dans Jes paroles du rite.

L’opinion de Catharin, aussitôt publiée, détermina

une polémique des plus vives, non sur le terrain des définitions de Trente, mais sur celui de la théologie sacramentaire. La doctrine de l’intention intérieure fut défendue par des auteurs de marque, tels que Bellarmin, Suarez, Vasquez, de Lugo, Tournôly, Benoît XIV, De sijnodo diœresana, I.VII, 4, 8, 9. Et aujourd’hui elle est devenue l’enseignement presque unanime des théologiens, tandis que l’opinion de l’intention externe, qui avait d’abord souri à beaucoup, n’a conservé que très peu de probabilité.

Les raisons théologiques qui ont servi à prouver la nécessité d’une intention dans le ministre, pour peu qu’elles soient poussées, vont à établir qu’une intention mentale est non moins indispensable. S’il est nécessaire d’opposer à Catharin et à ses défenseurs des arguments spéciaux, tout d’abord, leur manière de concevoir l'œuvre du Christ, É.glise et sacrements, ne semble-t-elle pas s’arrêter à la superficie des choses, manquer de profondeur ? Les mandataires du Sauveur ne sont pas de simples messagers de son action sanctifiante, ou des notaires qui enregistrent l’acte accompli par Dieu, accusent réception de la grâce par le sujet, sans plus. L’action sacramentelle, tout en demeurant une œuvre divine, est une œuvre profondément humaine, où l’homme entre tout entier et dont il est hautement responsable. La collation d’un sacrement suppose deux agents, qui conjuguent leur action pour une opération essentiellement une, un agent principal, qui est le Christ, un agent secondaire, le ministre. Mais le Christ emploie son ministre, à la manière non d’un instrument inconscient et sans vie, mais d’une cause raisonnalale, soUicitant l’acte de son libre vouloir : et le ministre, s’il veut entrer dans son rôle de coopérateur, épouse la volonté supérieure qui le meut, y conforme exactement la sienne. Et il doit s’y conformer dans tout son objet.

Le rite extérieur du sacrement peut affecter le caractère ou d’une chose profane ou d’un acte religieux et sacré. Le Christ l’a institué de telle manière, qu’il peut revêtir cette dernière forme, sans l’avoir nécessairement. Qu’il soit, en fait, ce que le Christ a voulu qu’il fût, une réalité d’ordre surnaturel ou religieux, cela dépend du ministre. Le ministre doit vouloir user du pouvoir ministériel, qu’il tient du Christ, agir en son nom et par sa vertu. Or cette acceptation pleine et entière du vouloir divin, cette volonté qui a pour objet le rite sacramentel considéré, non dans sa matérialité, mais formellement comme un acte surnaturel ou religieux, c’est précisément ce qu’on appelle l’intention interne.

N’y at-il pas lieu de s’inquiéter de ce pouvoir quasi discrétionnaire du ministre ? Et n’est-ce pas ce qui faisait appréhender à Catharin d’innombrables cas de sacrements invalides ? Non ; on ne peut affirmer, avec preuve à l’appui, qu’un évêque, un prêtre ait jamais manqué de l’intention requise. Ce qu’on exige du ministre est chose minime 1 II faudrait avoir une âme bien dépravée pour refuser de parti pris ce minimum. Du reste, il y a tant d’autres moyens de frustrer un sacrement de son efïet, et sans que les fidèles s’en doutent. Il est nécessaire de s’en remettre, en fin de compte, à la providence surnaturelle de Dieu, qui ne permettra pas que la source du sacerdoce vienne à se tarir par une suite d’ordinations invalides, ni que les fidèles perdent toute confiance dans les sacrements qu’ils reçoivent. L’assistance que le Christ a promise à son Église ne saurait être vaine.

Les documents ecclésiastiques antérieurs à Catharin, si l’on y regarde de près, ne sont pas favorables à sa thèse. La bulle < Inler cunctas « de Martin V, ainsi que le décret d’Eugène IV aux Arméniens, requièrent, outre la matière et la forme, l’intention du ministre. L’intention externe, se confondant avec l’accomplis-