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INTENTION


ad 3°™. Pour les modernes l’intention habituelle est celle qui, d’abord virtuelle, a cessé de l'être en perdant toute action sur le mouvement volontaire. Plusieurs causes, en dehors d’une décision opposée, peuvent inliiber une décision antérieurement prise : un laiis de temps suffisamment considérable, un état psychologique différent du sujet, tel celui qu’entraîneraient le somnambulisme, l’hypnotisme, l’ivresse ou la démence. L’intention interprétative est l’intention présumée ou qu’on prête à quelqu’un, avec raison ou gratuitement. Si la personne en cause n’a jamais voulu une chose ni en soi, ni dans une autre qui l’implique en quelque façon, on aura beau dire qu’elle l’aurait voulue si elle l’avait connue ou soupçonnée, son intention est irréelle. Il en serait autrement si, à l’intention présumée, on trouvait des attaches avec une intention plus générale, qu’elle a certainement eue. Entendue en ce dernier sens, l’intention interprétative lient de l’intention habituelle.

2° Envisagée du côté de son objet, l’intention est claire ou confuse, déterminée ou indéterminée, explicite ou implicite. La diversité de l’intention ici provient du mode différent de présentation par l’intelligence de la chose voulue.

3° Enfin, le mouvement de l’intention vers son objet tantôt ne dépend d’aucune condition, tantôt est subordonné à quelque circonstance ou événement. D’où deux autres sortes d’intention, l’intention absolue et l’intention conditionnelle.

IIL L’intention source de moralité. — On sait que la moralité des actes humains procède de trois sources, de leur objet, de leurs circonstances et de la principale d’entre elles, qui est la fin. La fin en question, dite finis operantis, est celle précisément qui se superpose à la chose voulue, ou finis operis, lui conférant une bonté ou une malice accidentelle. La fin, la dernière dans l’ordre de l’exécution, est la première dans l’intention : elle la déclanche, elle l’oriente, elle la spécifie. Fin et intention se compénètrent et se confondent à ce point, qu’on transporte aisément toutes les propriétés de l’une à l’autre. D’où ces règles de moralité où l’on démêlera sans peine ce qu’on affirme ailleurs de la fin : 1° Un acte bon en soi, accompli dans une bonne intention, contracte en dehors de la bonté fondamentale de son objet une bonté accidentelle, qu’il tient de l’intention ; 2° pour le même motif, un acte objectivement mauvais, inspiré par une mauvaise intention, contracte une double malice ; 3° un acte, indilTérent de sa nature, tire toute sa bonté ou sa malice de l’intention qui a fait agir ; 4° une intention gravement mauvaise corrompt toujours et dans sa totalité une action, la rendant mauvaise, quelle qu’en soit d’ailleurs la bonté objective ; 5° une intention légèrement mauvaise, si c’est la cause tout à fait déterminante d’une action, la rend absolument mauvaise, bien que véniellement ; 6° une intention légèrement mauvaise, qui se mêle à une action objectivement bonne, soit qu’elle l’accompagne, soit qu’elle la précède, sans en être cependant la raison totale et immédiate, ne la rend qu’en partie mauvaise. Telle est, en résumé, l’intluence de l’intention soit bonne, soit mauvaise, sur la moralité de l’acte humain. Entendons une intention qui détermine vraiment un mouvement de la volonté, donc au moins virtuelle et non pas seulement habituelle ou interprétative.

IV. L’intention source de mérite. — Une des conditions requises pour qu’une œuvre soit méritoire de la vie éternelle, ou de condigno, est qu’elle ait Dieu pour fin. On a pu entendre diversement le texte de saint Paul aux Corinthiens : Sive ergo manducatis, site bibitis, sive aliud quid facitis, omnia in gloriam Dei facile, I Cor., x, 31. Qu’il s’agisse d’un précepte

positif ou négatif, ou simplement d’un conseil, cette ]ilirase demeure le programme des actions à accomplir en vue de Dieu. Ne représente-t-elle pas encore, d’une manière concrète, l’intention même, une intention générale qui fixe la fin suprême, qui lui subordonne ensuite les intentions immédiates, et qui les entraîne dans son mouvement pour l’atteindre ? Mais ce rôle est précisément celui de la charité. Dans l’ordre de la grâce, l’ordonnance universelle de notre activité volontaire, le mouvement intentionnel de l'âme humaine vers le souverain Bien, est l’acte propre de cette vertu. Il lui appartient, en outre, et c’est un privilège, que saint Thomas lui conserve jalousement, de rendre méritoires les œuvres des justes, pour autant qu’elle les rapporte à Dieu. On peut donc parler de l’intention comme d’une source de mérite surnaturel.

La charité n’absorbe pas assurément les autres vertus, qui gardent chacune, en sa présence et dans son rayonnement, leur nature spécifique et leur fin propre. Mais tout en leur laissant leurs propriétés particulières, tout en respectant leur autonomie, la charité les perfectionne, à la façon d’une forme extérieure, et elle les emporte dans son élan vers la fin suprême. C’est par un effet de la souveraineté et grâce à la direction plus haute de la charité-intention, que les autres vertus, sans perdre de vue leurs fins spéciales, s’orientent avec leurs actes vers la béatitude qui est Dieu. Voulons-nous dire que l’action d’un juste ne sera méritoire que moyennant un acte de charité, qui la commande et la coordonne avec la fin dernière ? Tout au moins, sera-t-il nécessaire de produire des actes d’amour de Dieu très fréquents, tout pleins d'élan surnaturel, tels que l'âme en garde une vertu réelle et positive, quelque chose comme une force d’impulsion, capable de se communiquer à toute l’activité volontaire et de l’entraîner vers la fin de la charité? Il nous semble que non, quoique des théologiens l’aient prétendu. Voir Charité, t. ii, col. 22462250. Voici, pensons-nous, l’enseignement magistral et plus humain de saint Thomas, tel qu’il résulte, non de quelques passages isolés, mais d’un ensemble de textes clairs et concordants. « Il n’est pas plus possible, en cette vie, nous dit-il, de rapporter tout à Dieu, qu’il n’est en notre pouvoir de penser toujours à Dieu ; c’est la perfection de la patrie. Mais rapporter virtuellement tout à Dieu, c’est la perfection de la charité strictement obligatoire pour tous. » S. Thomas, De caritate, q. un., a. 11, ad 2um. Rapporter virtuellement tout à Dieu, qu’est-ce à dire ? La doctrine de saint Thomas sur l’action de la charité, dans l’ordre du mérite, peut ainsi se résumer. Il est nécessaire d’abord que l’homme, en état de grâce et possédant l’habitus de la charité, ait rapporté à Dieu comme à sa fin dernière par un acte de cette vertu, tout ce qu’il est, tout ce qu’il a et tout ce qu’il fait. Les œuvres qu’il accomplit ensuite, doivent être des actes honnêtes, moralement bons, conformes à la définition que le saint docteur a donnée de l’acte vertueux. Dès l’instant que l’homme s’est offert à Dieu, lui et tout ce qu’il a, par un acte de charité, et tant qu’il en garde l’habitus ainsi que la grâce sanctifiante, ses actions honnêtes, pour autant qu’elles tendent de leur nature vers la fin suprême, sont méritoires de la vie éternelle ou de condigno. Elles le sont, même si, en agissant, il ne pense pas à Dieu ni à la charité, se préoccupant seulement de bien faire, sans autre olijectif que l’honnêteté particulière de l’acte accompli, ou même si, conduit par une vue confuse du bien moral, il n’aperçoit en ce qu’il fait aucun désordre. Accomplies dans ces conditions, nos œuvres sont-elles, en réalité, rapportées virtuellement à Dieu ? Oui ; elles le sont en vertu d’une causalité de la fin dernière sur les fins