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INQUISITION


leur interprétation. Il y a là un abus du sens accommodatice qui défie toute logique. Personne ne consentira à voir en Jésus le préi’urseur ou plutôt l’auteur même du code criminel de l’Inquisition.

La sévérité de ce code ne saurait pourtant trop nous étonner. Les doctrines et les pratiques qu’elles représentent étaient conformes à l’idée que les hommes du moyen âge se faisaient de la justice. Les détenteurs de l’autorité civile n’avaient pas seulement alors pour mission de protéger l’ordre social, mais encore de défendre les intérêts de Dieu dans ce monde. Ils se regardaient en toute vérité comme les représentants de l’autorité divine ici-bas. Les alîaires de Dieu étaient les leurs ; il leur appartenait, par conséquent, de venger les injures faites à la divinité. A ce titre, l’hérésie, crime purement tiiéologique, relevait de leur tribunal. En le punissant, ils ne faisaient que remplir un des devoirs de leur charge. Cf. Vacandard, L' Inquisition, p. 286, note 2, Ce sont eux qui l’ont assimilé au crime de lèse-majesté et qui l’ont rendu, par là même, passible de la peine de mort, voire de la peine du bûcher. Ainsi s’explique qu’associée ou non aux crimes de droit commun, l’hérésie ait été frappée si sévèrement.

Partant de cette idée, certains apologistes ont essayé de montrer que l’exécution des liérétiques fut l'œuvre du pouvoir civil et que l'Église n’en est nullement responsable. « Séparons et distinguons bien exactement dit Joseph de Maistre, Lettres à un gentilhomme russe sur l’Inquisition espagnole, 1864, p. 1718, 28, 34, lorsque nous raisonnons sur l’Inquisition, la part du gouvernement de celle de l'Église. Tout ce que ce tribunal montre de sévère et d’effrayant, et la peine de mort surtout, appartient au gouvernement ; c’est son affaire, c’est à lui, et c’est à lui seul qu’il faut en demander compte. Toute la clémence, au contraire, qui joue un si grand rôle dans le tribunal de l’Inquisition, est l’action de l'Église, qui ne se mêle de supplices que pour les supprimer ou les adoucir. » Cf. Rodrigo, Historié verdadera de l’Inquisicion, 1876, t.i, p. 176.

Une pareille théorie scandalise à bon droit l’historien Lea, op. cit., t. i, p. 227-228 et 540. Elle supprime, en effet, plutôt qu’elle ne résout, le problème de la parlicipation réelle des inquisiteurs aux condamnations qui entraînaient la peine de mort.

Si l’on s’en tenait à la lettre des constitutions papales et impériales de 1231 et 1232, Deerelales, t. V, tit. vii, De harcticis, c. 13 ; Monumenta Germiinite, Leges, sect. IV, t. ii, p. 196, ce seraient bien les tribunaux civils et non les tribunaux ecclésiastiques qui auraient assumé entièrement la responsabilité des sentences de mort : Scvcukiri judicio rclinqaantur ; l’Inquisition n’aurait fait que prononcer un jugement doctrinal, s’en rapportant pour le reste à la décision de la cour séculière. C’est évidemment cette législation que les apologistes ont eu en vue, et le texte des lois leur donne raison.

Mais à côté de la législation, il faut considérer la jurisprudence et celle-ci, à certains égards du moins, pourrait bien leur donner tort. On se rappelle, en elTet, que l'Église frappait d’excommunication les princes qui refusaient de brûler les hérétiques que leur livrait l’Inquisition. Cf. Jordan, op. cit., p. 61-87. Les princes n'étaient pas proprenu’nt juges en cette circonstance : la compétence pour connaître des questions d’hérésie leur faisait défaut, elle leur était même formellement déniée..Se.x : te, t. V, ii, 18, De hæreticis, dans Eymeric, Directorium, p. 110 ; cf. concile de Toulouse de 1229, can. 8. Leur rôle devait se borner à enregistrer la décision de l'Église et à lui donner la suite qu’elle comportait en droit civil. Dès lors, il semble que, si une exécution s’ensuivait, une double autorité se trouvait engagée dans cette mesure, celle du pouvoir

civil qui appliquait ses propres lois et celle du pouvoir sjnrituel qui le contraignait à les appliquer. C’est ce qui faisait dire à Pierre le Chantre qu’il ne fallait pas tuer les cathares à la suite d’un jugement ecclésiastique, sous peine de compromettre la resiionsabilité de l'Église : lllud ab eo fit, cujus iiuetoritale fit, ajoutaitil pour justifier sa recommandation, Verbum abbrel’iatum, c. Lxxviii, P. L., t. ccv, col. 231.

C’est donc une erreur de prétendre que l'Église n’eut aucune part dans la condamnation à mort des hérétiques. Cette participation ne fut pas directe, immédiate ; mais elle fut réelle et efficace.

Après cela, que l’on discute la question de savoir si, dans l’espèce, la responsaliilité de l'Église est une responsabilité juridique ou simplement une responsaljilité morale, L. Choupin, Valeur des décisions doctrinales et disciplinaires du Saint-Siège, Paris, 1913, p. 497-510, la réponse importe peu, au regard de l’histoire et des faits.

Les juges des tribunaux ecclésiastiques avaient conscience que leurs décisions engageaient gravement l'Église. Et ils essayèrent de pallier, par une formule de droit canon, ce cjue leurs sentences avaient de compromettant. En livrant les hérétiques à la cour séculière, ils iiriaient celle-ci, nous l’avons vii, d’agir avec modération et d'éviter « toute effusion de sang et tout péril de mort » Ce n'était là, malheureusement, qu’une formule surannée qui ne trompait personne. Elle était destinée à sauvegarder le principe que l'Église avait pris pour devise : Ecclesia abhorret a sanguine. En alTirinant bien liant cette règle traditionnelle, les inquisiteurs s’imaginaient dégager d’autant leur responsabilité. C'était le seul moyen qu’ils eussent de ne pas tremper dans des jugements de sang. Reste à prendre ce moyen pour ce qu’il vaut. On l’a qualifié d' « astuce » et d' « hypocrisie », Lea, op. cit., t. I, p. 224 ; appelons-le simplement une fiction légale.

Faut-il maintenant discuter le principe même de l’Inquisition et de son système de pénalités ? Hugueny et Tunnel l’ont fait savanunent dans la Revue du du clergé français, 1°' mars 1907, p. 759-760.

Le P. Hugueny justifie l’institution médiévale, et tout en refusant de « renier l’idéal de justice des inquisiteurs », il estime que l’on doit s’interdire « à tout jamais de relever leurs tribunaux, à cause des inconvénients » qu’entraînerait désormais la répression violente de l’hérésie. « Impossible de rêver d'étouffer l’erreur en son foyer (comme on l’a fait au moyen âge), alors qu’avec les moyens de communication des temps modernes, les idées se répandent si vite et si facilement d’un bout du monde à l’autre. La violence serait donc inutile autant cpi’injuste, même dans les pays où l'Église aurait à son service le pouvoir temporel. L’expérience du passé nous apprend d’ailleurs qu’un succès passager et local peut avoir une répercussion lamentable pour les temps ou les lieux où ne peut plus s’exercer l’autorité de l'Église. »

M. Tunnel prend acte de cet aveu, et après avoir discuté « l’idéal de justice des inquisiteurs », il ajoute : « On fait observer que la répression violente de l’hérésie pourrait avoir une répercussion lamentable…. Mais sur quoi repose cette prévision ? Sur l’expérience du passé ! Hélas ! il n’est que trop vrai ; la répression violente de l’hérésie a eu des conséquences à jamais déplorables, en suscitant contre l'Église des haines terribles. On conclut que, désormais, les mesures violentes seraient funestes et que l’on fera bien d’y renoncer. Moi je conclus qu’elles ont été désastreuses dans le passé et qu’on eût beaucoup mieux fait de n’y jamais recourir. »

En somme — c’est toujours là qu’il faut en revenir — l’Inquisition ne s’explique et ne se justifie que par