Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 7.2.djvu/407

Cette page n’a pas encore été corrigée
2063
2064
INQUISITION


vers ramclioration matérielle de la contlilion des hommes. Ainsi, si cette croyance avait rei-ruté une majorité de lidM.’s, elle aurait eu pour elïet de ramener l’Europe à la sauvagerie des temps primitifs. Elle n’était pas seulement une révolte contre l’Église, mais l’abdication de l’homme devant la nature. » Il fallait donc, à tout prix, arrêter son développement. En la poursuivant à outrance, la société ne faisait que se défendre elle-mèni ? contre les entreprises d’une force essentiellement destructive. C’était la lutte pour la vie.

A ce compte, il faudrait défalquer du nombre de ceux qu’on appelle communément les victimes de l’intolérauce ecclésiastique la plupart des hérétiques qui ont été atteints par le glaive de l’État, car c’est le catharisme qui a fourni au bûcher, notamment dans le nord de l’Italie et dans le midi de la France, le contingent le plus considérable.

Il reste pourtant que les tribunaux de l’Inquisition ne condamnaient pas seulement les malfaiteurs qui, en vertu de leurs théories hétérodoxes, pouvaient causer un bouleversement social ; ils frappaient toutes les hérésies en bloc et chaque hérésie comme telle : « Nous statuons, dit expressément Frédéric II, const. Inconsutilem lunicam, dans Ejmcric, Appendice, que le crime d’hérésie, quel que soit le nom de la secte, soit mis au rang des crimes publics… Et de la sorte tombera sous le coup de la loi quiconque s’écartera de la foi catholique, ne fût-ce qu’en un seul article ; » si invenli fuerint a ftde cnlhoUca sallem in arliciilo deviare. Cf. Jordan", op. cit., p. 107-120. Ce fut bien ainsi, nous l’avons vii, que le comprirent les théologiens et les canonistes. Saint Thomas d’Aquin, par exemple, en qui nous entendons toute l’École, ne se donne pas la peine d’établir une distinction entre l’hérésie des cathares ou telle autre dont le caractère serait purement spéculatif, il les place toutes sur le même plan ; un hérétique, quel qu’il soit, dès lors qu’il est obstiné dans son erreur ou relaps, mérite la mort. Sum. theol., IIi II’^, q. x, a. 8, 9, xi, a. 3 et 4.

Les inquisiteurs étaient si persuadés de cette vérité qu’ils poursuivaient jusque dans la tombe après dix, vingt et trente ans, des hérétiques dont le crime était resté secret pendant leur vie et qui, trépassés, ne pouvaient plus évidemment nuire à la société.

C’est donc la peine de mort pour crime d’hérésie pure que nous avons à apprécier.

Les relaps repentants échappèrent pendant quelque temps, nous l’avons vii, à cette punition extrême. On considéra d’abord l’emprisonnement comme un châtiment proportionné à leur faute. Cf. Lea, op. cit., t. i, p. 54.3-.547. C’était un moyen de la leur faire expier. La peine de mort mit plus tard les juges dans une fausse situation : d’une part, comme ils a -cordaient l’absolution et la communion au coupable, ils faisaient profession de croire à la sincérité de son re, )entir et de sa conversion et, d’autre part, en l’envoyant au bûcher par crainte d’une récidive, ils formaient un jugement à la fois téméraire et odieux. Condamner à la mort un homme que l’on reconnaît digne de recevoir l’eucharistie, sous prétexte qu’il est capable de commettre à l’avenir un crime qu’il ne commettra peut-être pas, nous paraît aujourd’hui une injustice et une anomalie, Cf. Vacandard, L’Inquisition, p. 209-211.

Les hérétiques impénitents devaient-ils même subir une pareille condamnation ? Ce n’était pas l’avis de saint Augustin, ni en général des autres Pères des premiers siècles, qui invoquaient en faveur des coupables la règle supérieure « de la charité, de la mansuétude chrétienne » et ne voulaient leur appliquer que des peines médicinales. Cf. textes dans Vacandard, L’Inquisition, p. 3-34. Et il semble bien que leur doctrine soit conforme à la parabole du Sauveur sur l’ivraie et le pon grain. Voir comment saint Thomas

interprèle cette parabole, Vacandard, ibid.. p. 205-206. « Est-ce, disait, au xi*e siècle, l’cvêque de Li(ge, Wazon^ Vila Vusonis, c. xxv, P. L., t. c.xui, col. 753, est-ce que ceux qui sont ivraie aujourd’hui ne peuvent pas se convertir demain et devenir froment ? » Or, en leur appliquant la peine de mort, on supprimait du même coup pour eux toute possibilité de conversion. Assurément, la charité chrétienne ne trouve pas son compte dans cette mesure. Tant de sévérité ne peut se justitier qu’au regard de l’Ancien Testament, dont les rigueurs, au dire des docteurs de l’Église, devaient être abolies par la loi évangélique. Cf. Vacandard, ibid., p. 3-4.

Les partisans de la peine de mort pour crime d’hérésie, Frédéric II et saint Thomas, ont essayé de légitimer leur sentiment par des arguments de raison. On condamne bien au supplice, disent-ils, les personnes coupables de lèse-majesté et les faux monnayeurs. Donc… C’est là prendre des comparaisons pour des raisons. Les criminels dont il s’agit troublaient gravement l’ordre social. iNIais on ne saurait en dire autant de toute et de chaque hérésie comme telle. Il n’y a pas de commune mesure entre un crime contre la société et un crime contre Dieu. Si on voulait les assimiler l’un à l’autre, on arriverait facilement à prouver que tous les péchés sont des crimes de lèse-majesté divine et méritent par conséquent d’être punis de mort. Qui veut trop prouver ne prouve rien.

C’est au nom de la charité chrétienne que saint Thomas prétend frapper si durement les relaps. Sum. theol., II-i Ipe, q. IX, a. 4, sed contra. La charité a pour objet le bien spirituel et le bien temporel du prochain. Le bien spirituel, c’est le salut de l’âme ; le bien temporel, c’est la vie corporelle et les autres avantages de ce monde, tels que la richesse, les dignités, etc. Ces biens temporels sont subordonnés au bien spirituel et c’est charité que d’empêcher qu’ils ne nuisent au salut éternel de celui qui les possède ou des autres. C’est donc charité d’en priver celui qui en abuserait, charité pour lui-même, charité pour autrui. Mais si on conservait la vie aux relaps, cela pourrait tourner au préjudice du salut des autres, soit parce que les relaps, fréquentant les fidèles, pourraient les corrompre, soit parce qu’en échaiipant au châtiment, ils causeraient un scandale, puisque les autres tomberaient dans l’hérésie avec plus de sécurité. L’inconstance des relaps est donc un motif suffisant pour que l’Église, toujours prête à les recevoir à la pénitence, n’entreprenne pas de les soustraire à une sentence de mort : Ulterius rcdeuntes recipiuntur qnidem ad pa’nitentiam, non tamen ut libercntur a sententia mortis.

Une pareille argumentation n’est guère convaincante. Pourquoi la prison perpétuelle, qui peut être une peine médicinale, ne remplirait-elle pas l’office de protection que Ton demande à la peine de mort ? Cette peine est trop légère, dirait-on, pour effrayer les fidèles et les empêcher de tomber à leur tour dans l’hérésie. En ce cas, pourquoi ne condamne-t-on pas du premier coup à la mort les hérétiques même repentants ? On terroriserait ainsi plus facilement encore tous ceux qui seraient tentés d’adhérer à l’erreur. Évidemment, saint Thomas ne veut pas songera toutes ces conséquences de son raisonnement. Il n’a qu’un but : légitimer la discipline criminelle de son temps. Et c’est son e.xcuse. Mais il faut reconnaître cjue rarement sa dialectique a été aussi indiscutable.

En somme, ni la raison, ni la tradition chrétienne, ni l’Évangile n’exigent l’application de la peine de mort aux hérétiques considérés uniquement comme tels. Nous ne ferons même pas aux canonistes qui, pour justifier la pratique du moyen âge, alléguaient le fameux texte de saint Jean : Si quis in me non manserit, in ignem mittent et ardcl, l’honneur de discuter