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siteurs est vraiment abusive. Personne n’oserait approuver aujourtl’liui le supplice du carcer durus par lequel ils essayaient d’obtenir les aveux des prévenus. Otte mesure était d’autant plus odieuse qu’on en prolongeait arbitrairement les angoisses : Dctitwndus per annos plurimos, ut ve.ratio di’l intelh’ctum, disait Bernard Gui, Practica, part. V, formule 13, p. 302. Cf. Lea, op. cit., t. i, p. 419-420.

La torture proprement dite trouvera encore moins facilement grâce aux eux des criminalistes épris de justice. Si l’on s’en était tenu à la flagellation, telle, dit saint Augustin, qu’on l’administrait en famille, dans les écoles ou même dans les tribunaux épiscopaux des premiers âges, telle encore que la préconise le concile d’Agde de 506, ou que l’appliquaient les moines bénédictins (S. Augustin, EpisL, cxxxiii, n. 2 ; cf. CLxxxv, n. 23 ; concile d’Agde, can. 28 ; S. Benoît, Régula, c. xxvii ; cf. Vacandard, L' Inquisition, p. 38, note 3), il n’y aurait pas lieu de s’en scandaliser. Il conviendrait d’y voir une pratique en quelque sorte domestique et paternelle, un peu dure sans doute, mais conforme aux idées qu’on se faisait alors de la bonté. Mais le chevalet, l’esUapade et les torches allumées sont des inventions particuliérement inhumaines. Cf. S. Augustin, Epist., cxxxiii, n. 2. Tant qu’on les employa contre les chrétiens des premiers siècles, on s’accorda à les regarder comme des restes de la barbarie ou comme des inventions du diable. Ils ne changèrent pas de caractère pour être employés par l’Inquisition contre les hérétiques. Et malgré l’appel d’Innocent IV à la modération : citra membri diminutioncm et mortis periculum, il est fâcheux qu’on ait pu établir une comparaison entre la brutalité des tribunaux païens et celle des tribunaux ecclésiastiques. Le pape Nicolas I^ a porté sur la torture considérée comme moyen d’information judiciaire un jugement qui doit rester : « De tels procédés, dit-il, sont contraires à la loi divine et à la loi humaine, car l’aveu doit être spontané et non forcé ; il doit être fait volontairement et non arraché par la violence. L’accusé peut endurer tous les tourments que vous lui infligez sans rien avouer, et alors quelle honte pour le juge et quelle preuve de son inliumanité? Si, au contraire, vaincu par la douleur, l’inculpé s’avoue coupable d’un crime qu’il n’a pas commis, sur qui retombe l'énormité de cette impiété, si ce n’est sur celui qui a contraint le malheureux à mentir ? » Rcsponsa ad consulta bulgarorum, c. Lxxxvi, dans Hardouin, Concilia, t. v, col. 380. Innocent IV, en recommandant l’usage de la torture, ignorait sans doute ce texte. Son excuse est qu’il n’a fait que se conformer aux mœurs de son temps et suivre l’exemple des juridictions laïques.

Parmi les pénalités que les tribunaux d’Inquisition appliquaient aux hérétiques nous relèverons surtout la confiscation et la peine-de mort, qui olïrent un caractère nettement vindicatif.

Un historien a marqué la gravité des confiscations inquisitoriales. « Elles infligeaient, dit-il, les horreurs de la misère à des milliers de femmes et d’enfants innocents, car, suspects, ils auraient été poursuivis, et elles paralysaient les relations journalières à un degré qu’il est difficile de concevoir. Il n’y avait, en effet, guère de sécurité dans les alTaires, puisque les marchés passés par un hérétique latent étaient radicalement nuls, et qu’ils pouvaient être rescindés dès qu’on venait à découvrir sa culpabilité, soit de son vivant, soit même après sa mort. » En présence d’un tel système de pénalité, on s’explique que Lea soit allé jusqu'à écrire : « Quelque horribles qu’aient été les cachots encombrés où l’Inquisition entassait ses pénitents, elle a fait régner encore plus de terreur et de désespoir par la perpétuelle menace de spoliation qu’elle tenait suspendue sur les têtes. » Op. cit., t. i.

p. 480. Et l’on se prend à regretter que l’Inquisition ne s’en soit pas tenue à la rigueur du droit romain, qui, dans son dernier état, décidait que les biens de l’hérétique pouvaient passer à ses fils orthodoxes et même à ses agnats et à ses cognats.

Quant à la peine de mort, il convient de définir exactement la mesure dans laquelle les inquisiteurs sont responsables de l’application qui en fut faite aux hérétiques.

D’abord, le nombre des hérétiques obstinés et des relaps qu’ils ont livrés au bras séculier n’est pas aussi considérable qu’on pourrait le croire. Une statisliciue générale nous manque. Mais nous possédons quelques registres de sentences intéressants à étudier ; par exemple, les sentences de Pamiers de 1318 à 1324, et celles de Toulouse de 1308 à 1323. Sur neuf « sermons » ou autodafés tenus par le tribunal de Pamiers et portant condamnation de soixante-quatre personnes, cinq hérétiques seulement ont été livrés au bras séculier. Vidal, Lctribunalde l’Inquisition de Pamiers, p. 235. A Toulouse, Bernard Gui présida dix-huit autodafés et I)orta neuf cent trente condamnations ; de ce nombre quarante-deux seulement sont marquées du signe redoutable : relicti curiæ sivculari. Cf. Douais, Documents, t. I, p. ccv, et Vacandard, L’Inquisition, p. 322. La proportion de ces condamnations était donc, dans le tribunal de Pamiers, d’un pour treize ; dans le tribunal de Toulouse d’un pour vingt-deux ou vingt-trois. Bien qu’elTrayante encore, cette statistique est loin des fantômes plus effrayants qu'évoque volontiers la plume grossissante des pamphlétaires mal informés. A tout prendre, on peut penser que l’institution et le fonctionnement des tribunaux d’Inquisition réalisaient un véritable progrès dans les mœurs ; non seulement ils avaient fermé l'ère des exécutions sommaires, mais encore ils avaient diminué considérablement les condamnations qui aboutissaient à la peine de mort. Et Lea, qu’on ne saurait taxer d’indulgence excessive pour l'Église, a pu écrire en toute vérité, op. cit., t. i, p. 480 : « Le biicher(de l’Inquisition) n’a fait comparativement que peu de victimes. »

Encore faut-il observer que parmi les sectaires qui tombèrent sous les coups du bras séculier, beaucoup avaient, par des crimes de droit commun, mérité la mort.

Telle secte antisociale, qui se renfermait dans son mystère, mais qui gangrenait les populations, comme celle des cathares (et les vaudois, les fratricelles, les lollards n'étaient guère moins dangereux, cf. Jean Guiraud, La répression de l’hérésie au moyen âge, dans Questions d’histoire et d’archéologie chrétienne, p. 24 sq.), appelait inévitablement sur elle, et sans commettre d’autre crime que celui de vivre et d’agir, les vengeances de la société et le glaive de l'État. Ilostes generis humani qui humanum genus nituntur aboleri, dit Ebrard en parlant des albigeois. Liber antihwresis, cité par Alphandéry, Les idées morales chez les hétérodoxes latins au début du Xiile siècle. « Quelque horreur que puissent nous inspirer les moyens employés pour la combattre (cette secte), écrit Lea, op. cit., 1. 1, p. 106, quelque pitié cjue nous devions ressentir pour ceux qui moururent victimes de leurs convictions, nous reconnaissons sans hésiter que, dans ces circonstances, la cause de l’orthodoxie n'était autre que celle de la civilisation et du progrès. Si le catharisme était devenu dominant ou même seulement l'égal du catholicisme, il n’est pas douteux que son influence n’eût été désastreuse. L’ascétisme dont il faisait profession, en ce qui concerne les relations entre les sexes, aurait inévitablement conduit, s’il était devenu général, à l’extinction de l’espèce. En condamnant l’univers visible et la matière en général comme des œuvres de Satan, le catharisme faisait un péché de tout effort