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INQUISITION


midi de la France : De combiistione (ossiiim) hcibet usus et cursus Jnquisilionis in partibus Tolosanis, etc., dit Bernard Gui, op. cit., p. 126. Ces exécutions posthumes se faisaient avec l’appareil le plus propre à frapper les imaginations. Les os ou même les cadavres en décomposition étaient traînés à travers les rues, au milieu de la foule, par la troupe des exécuteurs précédés d’un crieur public qui puljliait les noms à son de trompe, en menaçant les vivants d’un sort semblable : qui aytal fara, aytal périra. Cf. G. Pelhisse. Chronique, p. 110. Cette démonstration impressionnante était suivie de l’incinération des cadavres.

VI. Jugement sur l’Inquisition. — Ce n’est pas le lieu de signaler les abus qui se sont glissés, par la faute des hommes, dans l’application du système inquisitorial. Ces abus, d’où qu’ils viennent, et quel qu’en soit le nombre historiquement démontrable, doivent être l’objet d’une inexorable et universelle réprobation. Personne ne s’avisera, par exemple, de défendre la mémoire de Cauchon, le juge inique de Jeanne d’Arc. Ne sont pas davantage excusables les inquisiteurs, un Conrad de Marbourg, un Robert le Bougre, et quelques autres, voir B. Kallner, Konrad von Marburg und die Inquisition in Dcutschland, Prague, 1<S82 ; Frédcricq, Robert le Bougre, Liège, 1892, qui, comme lui, ont fait servir l’autorité dont ils disposaient pour frapper à tort ou sans mesure les suspects déférés à leur tribunal.

Mais c’est l’institution elle-mîme qui veut être jugée ici, d’après l’idée que nous pouvons nous faire d’une justice sociale supérieure, tout en tenant compte des principes qui gouvernent les esprits au moyen âge.

La forme de la procédure inquisitoriale nous parait, en soi, inférieure à la procédure accusatoire dans laquelle l’accusateur assumait la charge de faire la preuve de son dire. Que ce dernier mode ait été difficilement applicable dans les procès d’hérésie, on le conçoit : la peine du talion qui attendait régulièrement l’accusateur pris en défaut devait refroidir le zèle de bien des catholiques, disposés à poursuivre les sectaires. Mais au moins il faut reconnaître cjue Vaccusatio offrait en droit criminel plus de garanties de justice que Vinquisitio.

Les dénonciateurs et les témoins ne furent pourtant pas à l’abri des représailles ou, mieux, d’un châtiment s’ils venaient à trahir la vérité. Quand on démasquait un faux témoin, remarque Lea, op. cit., t. i, p. 441-442, on le traitait avec autant de sévérité qu’un hérétique. Après toutes sortes de cérémonies humiliantes, « il était généralement jeté en prison pour le reste de sa vie… Les quatre faussaires de Narbonne, en 1328, furent considérés comme particulièrement coupables, parce qu’ils avaient été subornés par des ennemis personnels de l’accusé ; on les condamna à l’emprisonnement perpétuel, au pain et à l’eau, avec des cliaîiies aux mains et aux pieds. L’assemblée d’exp’erts tenue à Pamiers, lors de l’autodafé de janvier 1329, décida que les faux témoins devraient non seulement subir la prison, mais réparer les dommages qu’ils avaient causés aux accusés. » C'était, ou peu s’en faut, la peine du talion.

La))rocédure une fois engagée, nous avons vu que l’Inquisition refusait de livrer les noms des dénonciateurs et des témoins à charge et de confronter l’accusateur avec l’accusé. Grégoire IX lui-même a blâmé cet usage et Boniface VIII le modifia dans la mesure du possible.

Il était même de règle que les noms fussent communiqués ainsi que le dossier aux experts, pcriti, qui siégeaient avec les juges, au tribunal de l’Inquisition. Douais cite, L’Inquisition, p. 252 et passim, des jugements qui ont été ainsi rendus en présence de vingt cinq, de trente-deux, de quarante-cinq et même de cinquante et un experts. Ces conseillers formaient une sorte de jury qui fonctionnait à peu près comme celui de nos jours et se prononçait, comme lui, sur la culpabilité et l’application de la peine. A cet égard, la procédure inquisitorialc, par ailleurs si dure, était bcaucou]) plus libérale que la procédure civile et ecclésiastique du temps. Cf. Douais, La formule « Communicato bonorum virorum consilio » des sentences inquisitoriales.

Il est vrai qu'à l’origine de l’Inquisition l’accusé n'était pas assisté d’un avocat. Lorsque plus tard un avocat lui fut accordé, ce défenseur ne joua guère que le rôle de conseiller. On ne concevait pas qu’un honnête homme pût entreprendre la défense proprement dite d’urubérétique : si l’inculpé était innocent, il n’avait nul besoin qu’on le défendît ; s’il était coupable, il n’avait qu'à avouer sa faute et à subir la pénitence qui lui serait justement imposée.

Dans ce système la liberté du juge peut paraître excessive. Tout ce qu’on peut et doit dire à la décharge et même à l’honneur des pontifes romains, c’est que le principe de l’Inquisition une fois admis, ils travaillèrent à en prévenir les inconvénients et à en réprimer les abus. Ils exigèrent chez les inquisiteurs des qualités morales exceptionnelles : Alexandre IV (1255), Urbain IV (1262), Clément IV (1265), Grégoire X (1273), Nicolas IV (1290) ont insisté sur les qualités d’esprit, la pureté des mœurs, l’honnêteté scrupuleuse qui devaient distinguer ces juges redoutables, Potthast, n. 16 132, 16 6li, 18 387, 19 372, 19 924, 20 720, 20 724, 23 297, 23 298. Clément V, confirmant une décision déjà prise par ses prédécesseurs, décide par manière de garantie contre toute légèreté possible, que nul ne pourra exercer les fonctions inquisitoriales avant l'âge de quarante ans. Clémentines, I. V, iii, 2. On peut voir dans Bernard Gui, Pradica, part. VI, i). 232-233, le portrait de l’inquisiteur modèle : « Il doit être diligent et fervent dans son zèle pour la vérité religieuse, pour le salut des âmes et pour l’extirpation de l’hérésie. Parmi les difficultés et les incidents contraires, il doit rester calme, ne jamais céder à la colère ni à l’indignation. Il doit être intrépide, braver le danger juscju'à la mort, mais, tout en ne reculant pas devant le péril, ne 'point le précipiter par une audace irréfléchie. Il doit être insensible aux prières et aux avances de ceux qui essaient de le gagner ; cependant il ne doit pas endurcir son cœur au point de refuser des délais ou des adoucissements de peine suivant les circonstances et les lieux… Dans les questions douteuses, il doit être circonspect, ne pas donner facilement créance à ce qui paraît probable et souvent n’est pas vrai ; il ne doit pas non plus rejeter obstinément l’opinion contraire, car ce qui paraît improbable finit souvent par être la vérité. Il doit écouter, discuter et examiner avec tout son zèle, afin d’arriver patiemment à la.lumière… Que l’amour de la vérité et la pitié, qui doivent toujours résider dans le cœur d’un juge, brillent dans ses regards, afin que ses décisions ne puisscTit jamais paraître dictées par la convoitise et la cruauté. » Kymeric, dans son Directorium, part. 111, q. i. De conditione inquisitoris, trace de l’inquisiteur un portrait semblable. Il est permis de croire que cet idéal du juge, à la fois sévère et juste, équitable et bon, fut souvent réalisé dans les procès de riiuiuisition.

Mais l’idéal de justice tel que le concevait le moyen âge n’est pas, il faut le dire, tout à fait le nôtre. Et cela se remarque notamment dans les moyens d’instruction — prison préventive et torture — qu’employait la justice inquisitorialc.

La prison préventive peut avoir sans doute sa raison d'être. Mais la manière dont l’appliquaient les inqui-.