Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 7.2.djvu/397

Cette page n’a pas encore été corrigée
2043
2044
INQUISITION


le résultat attendu, comme il est interdit de renouveler la torture, on remet à un autre jour le soin, non pas de réitérer, mais de continuer la question : Si non est decenter qiiœstionatus, poterit iterum supponi quæstionibus et tormentis, non itcrando, sed continuando. Eymeric, ibid., p. 481.

A l’origine, l’ofiice de tortionnaire était dévolu à l’autorité civile. Cf. bulle Ad extirpanda d’Innocent IV. Les inquisiteurs ne pouvaient assister à la question, encore moins l’administrer, sans encourir l’irrégularité canonique qui les rendait « inhabiles » à remplir les fonctions sacrées. Devenus « irréguliers » ils avaient, à la vérité, la ressource de se faire relever par leurs supérieurs de la peine ou impureté légale qu’ils avaient contractée. Mais il ne leur était pas toujours facile de s’aboucher ainsi avec leurs chefs d’ordre. La bulle d’Urbain IV, du 4 août 1264, Ripoll, op. cit., t. i, p. 430, supprima cet embarras, en autorisant les inquisiteurs et leurs socii à se relever mutuellement de tous les cas d’irrégularité qu’ils pouvaient encourir dans l’exercice de l’otrice. ^

Les membres du tribunal de l’Inquisition ne se firent pas faute dès lors d’assister aux séances de la torture ou d’appliquer eux-mêmes la question. Les accusés ne gagnèrent rien à ce changement de régime. Vers la fin du xiiie siècle, on signale dans tout le midi les excès de violence et les modes nouveaux de torture à l’aide desquels les tortionnaires arrachaient aux inculpés de faux aveux ou de fausses accusations : tormenta de novo exquisita, Doat, t. xxxii, fol. 266 ; inexcogitata tormenta, lettre de Philippe le Bel au sénéchal et à l'évêque de Toulouse, dans Vaissette, Histoire du Languedoc, t. iv. Preuves, col. 118 ; cf. Tanon, op. cit., p. 375-376. Bernard Délicieux, qui se fit, sur ce point comme sur tant d’autres, l’ardent champion des victimes de l’Inquisition, fut lui-même, plus tard, éprouvé par la torture ; il y fut mis trois fois. Cf. Haurèau, Bernard Délicieux, p. 158.

Clément V recueillit les plaintes que soulevaient ces mauvais traitements, et pour mettre un terme aux abus dans la mesure du posJble, il dérida par sa constitution Multorum qucrela, du concile de Vienne de 1311, ciue l’inquisiteur ne pourrait désormais faire mettre un accusé à la torture sans l'évêque, ni l'évêque sans l’inquisiteur, ou du moins qui ni l’un ni l’autre ne pourraient procéder à la question, sans s'être avisés mutuellement huit jours à l’avance. Les inquisiteurs estimèrent qu’une pareille décision était inapplicable et demandèrent qu’elle fût amendée. Ces règles indigent ut remedientur aut moderentur in melius seu potius totaliter suspendantur, écrit Bernard Gui, dans sa Practica, part. IV, p. 174. La constitution Multorum qucrela fut néanmoins insérée dans le droit. Clém2ntines, t. V, tit. iii, c. 1. Mais on se demande si elle fut bien obser'ée. Tanon, op. cit., p. 377.

Les registres judiciaires ne menLionnent que rarement la torture. Cf. Tanon, op. cit., p. 377-380. Il n’en faudrait pas conclure qu’elle fut rarement appliquée. Les aveux obtenus durant l'épreuve n’avaient de valeur qu’autant qu’ils étaient ratifiés librement. C’est ce qui explique que les accusés, même torturés, sont toujours censés faire des aveux spontanés. Cf. Lea, op. cit., t. I, p. 428. « Dans le registre du Châtelet de Paris, de 1391 à 1392, le prisonnier, conduit, après avoir subi la question, hors de la chambre où elle lui avait été donnée, pour renouveler ses aveux, déclare invariablement qu’il les fait de sa franche, pleine et libre volonté. Si le procès-verbal de torture ne précédait pas cette déclaration, on pourrait vraiment croire que l’accusé n’y avait pas été soumis. » Tanon, op. cit., p. 380. Guillem Agasse, clerc, « commandeur » de la léproserie de Lestang, à Pamiers, est pareillement torturé le jeudi 4 juin 1321. Or, à la fui de sa confes sion faite postquam depositus fuit de iormento, on lit les paroles suivantes : Prædicta confessus fuit sponte. Vidal, La poursuite des lépreux en 1321, p. 42, 44, 49. L’expression est, il faut le reconnaître, cruellement inexacte, fait remarquer M. Vidal. La spontanéité et la sincérité de ces déclarations ont été telles que le patient les a rétractées dans la suite.

L’accusé qui n’avouait pas sous la torture devait^ suivant l’opinion la plus générale, être absous. Eymeric et Pegna, Dircclorium, part. III, p. 480 et 485. C’est le sentiment d’Eymeric, qui apporte toutefois à cette déclaration une réserve importante. L’accusé était absous des faits précis pour la confession desquels la question lui avait été appliquée. Mais il pouvait être encore procédé contre lui s’il était par ailleurs entaché d’une suspicion d’hérésie soit légère, soit véhémente, et l’abjuration devait lui être imposée. Eymeric, ibid., p. 482.

La sentence et l’autodafé.

Quand l’accusé

désavouait ce qu’il avait dit sous la pression des tourments, il fallait s’en rapporter à la déposition des témoins légitimes. La règle du Processus Inquisitionis, dans Vacandard, L’Inquisition, p. 321, est qu’on ne doit pas procéder à la condamnation d’un inculpé sans son aveu ou sans preuves certaines et lucides : sine lucidis et apertis probationibus vcl confessione propria.

La sentence devait être entourée de sérieuses garanties d’impartialité.

Et d’abord, l’inquisiteur ne devait la formuler qu’avec le concours de l’ordinaire ou des ordinaires des lieux où il instrumentait. En juillet 1251, Innocent IV ordonna de ne prononcer, sans les évêques, aucune peine grave. Bulle Ad capicndum, dans Ripoll, op. cit., 1. 1, p. 194. Et en septembre de la même annét', il rappelle cette obligation aux inquisiteurs de Lombardie, sans faire aucune distinction entre les peines. Bulle Tune potissime, Ripoll, t. i, p. 199. Il est vrai qu’une dérogation fut apportée, quelques années plus tard, à ces prescriptions par Alexandre IV, qui autorisait les inquisiteurs à procéder seuls. Bulle Ad capicndum, du Il janvier 1259. Mais ce n'était là qu’une mesure exceptionnelle et transitoire. Urbain IV reprit la règle de la coopération épiscopale pour toutes les condamnations à la prison perpétuelle ou à la mort. Bulle Licet ex omnibus, du 20 mars 1262, dans Ripoll, t. I, p. 512. Clément IV, en 1265, et Grégoire X, en 1273, renouvelèrent cette diposition, à laquelle il semble qu’il ne fut plus dérogé, Ripoll, op. cit., t. i, p. 466 et 512 : loin de là, la nécessité du concours épiscopal fut étendue à toutes les sentences par Boniface VIII, Scxte, t. V, tit. II, c. 17, et par Clément V, Clémentines, t. V, tit. III, c. 1.

La discipline a donc légèrement varié à cet égard et il convient de distinguer deux époques : celle qui est marquée parla législation d’Innocent IV, où le concours de l'évêque n’est formellement requis que pour les condamnations les plus graves (abandon au bras séculier ou prison perpétuelle) et celle qui fut inaugurée par Boniface VIII, où le concours de l'évêque est prescrit pour toutes les sentences. On trouve dans la Practica de Bernard Gui, part. I, p. 26, les formules qui traduisent, d’une manière très nette, les deux états de la législation épiscopale. Cf. Tanon, op. cit., p. 413417.

L’inquisiteur et l'évêque n'étaient d’ailleurs pas seuls chargés de préparer les sentences inquisitoriales. Le tribunal comprenait un certain nombre d’assesseurs qui avaient voix consultative. Processus Inquisitionis, dans Vacandard, L’Inquisition, p. 321. Nous avons dans les t. xxvii et xxviii de la collection Doat, les actes des délibérations de plusieurs conseils tenus à Pamiers par les inquisiteurs et l'évêque de cette ville