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INQUISITION


si merveilleuse habileté leurs croyances ! Cf. Bernard Gui, Pradica, part. V, p. 253-254 : De sophismatibus et duplicitatibus verborum ipsorum ; De astuciis et fallaciis qiiibus se contingunt in respondendo. En pareil cas, Eymeric est d’avis de ruser avec eux. On les leurrera par de douces paroles et des promesses d’indulgence ; on leur accordera des faveurs dans la nourriture et le logement ; on leur dépêchera des complices dont on est sûr et qui, bien que convertis, feindront d’être toujours de la secte ; on amorcera ainsi des conversations où les coupables se trahiront par des confidences ; on aura soin de poster des témoins aux écoutes, voire un notaire qui ne manquera pas de consigner sur ses tablettes ce qu’il aura entendu ; on obtiendra ainsi des aveux que les moyens ordinaires n’auraient pu arracher. Eymeric, part. III, Cautelæ inquisiiorum contra hæreticorum cavillationes et fraudes. Cf. Tanon, op. cit., p. 354-358.

5° Accusateurs et témoins. — Les accusateurs des hérétiques étaient plutôt des dénonciateurs proprement dits. En droit strict, l’accusateur était obligé de faire là preuve des faits qu’il dénonçait ; sinon il encourait la peine qu’aurait subie l’accusé qu’il poursuivait. A vrai dire, s’il succombait dans son action, il n’était pas nécessairement et dans tous les cas, puni de la peine du talion, qui avait été établie surtout pour prévenir les accusations calomnieuses : une accusation simplement téméraire pouvait être excusée. Mais l’accusation était en soi fort périlleuse et entraînait des formalités très compliquées, propres à décourager les meilleures volontés : discussion des exceptions, sentence incerlocutoire sur la recevabilité ou le rejet de l’action, litiscontestation, procédure de preuve avec enquête et production de témoins, discussion contradictoire des avocats et des parties, sentence définitive sur le fond. Or l’ÉgliSe avait à cœur de simplifier la procédure dirigée contre les hérétiques. C’est pourquoi, dans le droit inquisitorial, l’accusation légale fut abandonnée. Cf. sur tout ceci, Tanon, op. cit., p. 255-263. On s’en tint à la^imple dénonciation et à l’audition des témoins.

En principe, l’inquisiteur ne devait se fier qu’à des personnes discrètes. Et l’Église’avait longtemps admis que la déposition d’un hérétique, d’un excommunié, d’un homicide, d’un voleur, d’un sorcier, d’un devin, d’un faux témoin, n’était pas recevable en procédure criminelle. Gratien, Dccretum, part. II, caus. VI, q. I, c. 1-5. Mais son liorreur de l’hérésie lui fit adopter une exception dans les matières qui touchaient à la foi. Déjà, au xiie siècle, Gratien fait observer que le témoignage d’un hérétique ou d’un infâme était acceptable quand il s’agissait d’hérésie. Decretum, part. II, caus. II, q. vii, c. 22 ; caus. VI, q. i, c. 19. Les édits de Frédéric II déniaient aux sectaires le droit d’ester en justice, mais cette incapacité fut levée dans la constitution deRavenne du 22 février 1232 : Adjicimus quod hæreticus convinci per hærelicum possit. Cf. Historia diplomatica Frederici //, t.iv, p. 299-300. Dans les premiers temps, les inquisiteurs hésitèrent parfois à tenir compte des témoignages ainsi obtenus. Mais, en 1261, Alexandre IV rassura leur conscience. Bulle Consuluit du 23 janvier 1261, dans Eymeric, Directorium, Appendix, p. 40. Il fut dès lors admis que la déposition d’un hérétique devait être retenue. Il appartenait à l’inquisiteur de la contrôler. Ce principe fut généralement accepté, incorporé dans le droit canonique, Sext., t. V, tit. ii, c. 5, In fidei fauorem, Eymeric, Directorium, p. 105, et confirmé par une pratique constante. On peut même dire que les principaux et ordinaires témoins qui comparaissaient devant les tribunaux d’Inquisition étaient des hérétiques. On se rappelle que, dans le serment qu’ils prononçaient, les accusés promettaient de dire

la vérité lam de se ut principalis, quam de aliis… ut testis. Cf. Vidal, Le tribunal de l’Inquisition, p. 156. La police et la justice inquisitoriales étaient fondées sur une vaste délation érigée en système et imposée à tous comme un devoir (à la réserve du secret de la confession, cf. Pegna, sur Eymeric, Directorium, part. II, comm. 25, p. 228). Aucun lien d’amitié ou de parenté n’en dispensait : le père et la mère devaient accuser leurs enfants ; le mari sa femme, et réciproquement. Dans sa lettre du 12 avril 1233 à Robert le Bougre, Grégoire IX félicite l’inquisiteur d’avoir inspiré une si salutaire terreur, quod pater fdio vel uxori, fdius ipse patri, uxor propriis fdiis aul marito vel consortibus ejusdem criminis, in hac parte sibi aliqitatenus non parcebant. Bulle Gaudemus, dans Ripoll, op. cit., t. I, p. 56.

L’âge requis pour la validité du témoignage était, d’après le concile de Toulouse de 1229, can. 12, dans Hardouin, t. vii, col. 178, quatorze ans pour les hommes et douze seulement pour les femmes. On voit cependant, dans un acte reçu après la prise de Montségur, un enfant de dix ans admis à déposer contre son père, sa sœur et un grand nombre de personnes. Doat, t. xxii, fol. 237 sq.

Deux témoins suffisaient, conformément au droit commun, pour entraîner, à défaut de l’aveu, la condamnation de l’accusé : quia regulare est quod in ore duorum vel trium testium stet omne verbum. Matth., xviii, 16. Cf. Eymeric, Directorium, part. III, q. lxxi, p. 614. Gui Foucois, le futur Clément IV, fut le premier canoniste (vers 1265) qui conseilla de ne pas s’en tenir à ce nombre, lorsqu’il s’agissait de condamner un homme de bonne renommée : Non crederem tutum ad vocem duorum testium hominem bonse opinionis damnarc, licet videar contra jus dicere, q. xiv et xv. L’avis et la pratique des inquisiteurs furent dès lors assez variables. Eymeric, le juge aragonais, dont l’autorité était si grande, soutint l’opinion de Gui Foucois, en la précisant : Non videtur tutum ad vocem duorum testium hominem bonse famæ, de tanto crimine condemnare : secus si fuerit malas famée. Loc. cit., p. 615. Mais comme,

en fait, la plupart des accusés étaient malæ famæ, la distinction ne devait profiter qu’à un petit nombre de justiciables. Pegna jugera plus tard que l’opinion d’Eymeric est bénigne et déclarera que le mieux est de laisser les inquisiteurs libres de se contenter ou non du témoignage de deux personnes honorables : Hoc non possumus diffiteri liberum esse judicibus fidei, et ob communem sententiam et ob jura, duos solum testes idoneos in quavis causa postulantia et ob communem etiam usum sacri tribunalis Inquisitionis, ad vocem

-duorum testium idoneorum reos hujus criminis condemnare. Comment, du Directorium, loc. cil. On peut donc dire qu’en règle générale, ob communem usum sacri tribunalis Inquisitionis, si deux témoins estimés dignes de foi par l’inquisiteur s’accordaient à charger l’inculpé, son sort était inévitablement réglé ; qu’il s’avouât ou non coupable, il était déclaré hérétique. Cf. Tanon, op. cit., p. 387-388. Le plus souvent, à la vérité, le nombre des témoins s’élevait à trois, quatre, six, huit, dix et même plus. Cf. Vidal, Le tribunal de l’Inquisition de Pamiers, p. 140.

L’accusé n’était jamais — l’exception qu’on peut citer, Tanon, ibid., p. 395, confirme la règle — confronté avec les témoins qui déposaient contre lui. Le nom de ces témoins ne lui était même pas communiqué. Dans la procédure de droit commun, « les noms des témoins étaient portés à la connaissance de l’accusé qui assistait à leur prestation de serment et pouvait ainsi faire valoir contre eux, dès le début de l’enquête, toutes ses causes de récusation. » Ces règles protectrices de la défense, que Grégoire IX recommandait encore le 18 novembre 1234 à l’archevêque de Vienne,