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INQUISITION


et des sacrilèges, ne les traite pas encore comme des hérétiques. Il ne distingue pas entre eux et les livre tous à l’évêque, qui ne les coiidamne, même impénitents, qu’à la prison ou à une autre peine plus légère, can. 12. Hardouin, Concilia, t. vii, col. 427.

Cependant la sorcellerie offrait plusieurs formes plus ou moins graves : la divination, la magie, le sortilège, Talcliimie, surtout le culte des démons et les pactes démoniaques qi’i s’accomplissaient dans le sabbat Sur l’évolution de la sorcellerie, voir e’n particulier J. Hansen, Zaïibenvahn, Inquisition und Hexenprozess in MiUdaller, Munich et Leipzig, 1900. Alexandre IV formula en 1264, Qiiod super nonnuHis, RipoU, op. cit., t. I, p. 388 ; Sexte, t. V, tit. ii, c. 8, sect. IV, la distinction fondamentale entre les sortilèges simples et les sortilèges à « saveur hérétique », quæ sapèrent hæresim : les sortilèges simples restaient du ressort des curies diocésaines ; mais les pratiques qui sentaient manifestement l’hérésie relevaient des tribunaux de l’Inquisition. On s’en tinl pendant quelque temps à cette distinction, sauf à se disputer pour savoir si les sortilèges avaient ou n’avaient pas une saveur hérétique. Nicolas V trancha la question en déclarant, août 1451, Ripoll, op. cit., t. iii, p. 301, que les devins seraient désormais de la compétence de l’Inquisition alors même qu’ils ne sentiraient pas l’hérésie. Les chiromanciens, les astrologues et tous les simples devins furent dès lors assimilés aux démonomanes et aux habitués du sabbat. Les inventions bizarres des sorciers, accréditées par l’imagination des juges au moins autant que par la superstition populaire, finirent par absorber l’attention des inquisiteurs. La bulle d’Innocent VIII, du 5 décembre 1484, Summis des iderantes, dans Eymeric, édit. Pegna, p. 83, fut le point de départ de traités doctrinaux sur la recherche et la punition des démonologues qui renouvelèrent la matière inquisitoriale. Cf. les bulles IIoneslis (Léon X, 15 février 1521) ; Dudum (Adrien VI, 20 juillet 1522) ; Cmli et tcrrse (Sixte V, 5 janvier 1586), dans Eymeric, loc. cit., p. 99, 105 et 142.

Il faut remarquer cependant que, en dépit des décisions papales, la répression de la sorcellerie fut exercée presque toujours concurremment par les inquisiteurs, par les évoques et par la justice laïque. Ce furent surtout les évoques qui réprimèrent si violemment au xve siècle la vauderie d’Arras, où fourmillent les sorciers. Frédéricq, Corpus, t. i, p. 345 sq. Beaumanoir a beau écrire que la sorcellerie relève des tribunaux d’Église : « Si autre cas de quoi la connaissance appartient à sainte Église, si est de sorcerie, car li sorciers et les sorcières si errent contre la foi, » Coutumes de Beauvaisis, c. xi, la juridiction laïque revendique elle-même et obtient, notamment à Paris, à la fin du xiv siècle la connaissance des sorciers. Le registre criminel du Chàtelet, de 1390 à 1393, publié par Duplès-Agier. en fournit de curieux exemples. La justice laïque émit même des prétentions beaucoup plus hardies ; elle entendit reprendre à son compte les procès de sorcellerie déjà clos par l’Inquisition ecclésiastique. Des cas de ce genre sont nombreux, en Dauphiné, au cours du xV siècle. Cf. Jean Marx, L’Inquisition en Dauphiné, p. 131.

Les malheureux accusés de sortilèges ne gagnèrent rien à ces empiétements de la justice séculière ; car, tandis qu’en général, à la faveur de leur repentance, sous le régime épiscopal et inquisitorial ils n’étaient condamnés qu’à la prison, ils furent invariablement punis de mort par les tribunaux laïques. Cf. Jean Marx, loc. cit., et Tanon, op. cit., p. 250.

Un exemple fera comprendre comment les sorciers se trouvèrent justiciables à la fois du tribunal de l’Inquisition et de la cour civile. Le 15 octobre 1346, une sentence inquisitoriale est rendue à Exilles, en

Dauphiné, par l’inquisiteur Pierre P’aure, frère mineur, contre Thomas Bègue et quelques-uns de ses amis ; la sentence largo sensu énumcre, dans une première partie, les fautes avouées par les inculpés ; après quoi, vient la sentence stricto sensu, qui vise en bloc les coupables. Or cette sentence est une formule d’absolution avec injonction de pénitences canoniques, jeûnes pèlerinages. Cependant, malgré l’absolution de l’inquisiteur, le juge-mage du Briançonnais prononce une sentence plus grave, et cela le jour même où est rendu le jugement ecclésiastique, ce qui prouve que l’enquête préalable et l’instruction de l’affaire avaient été menées concurremment par les deux juridictions. Le procès inquisitorial n’avait relevé que quatre griefs ; la cour-mage en relève quinze. En tête de la sentence se présentent les quatre titres que l’on trouve également dans les deux procès : 1° Thomas Bègue est entré en rapport avec le diable ; 2° il a renié Dieu et marché sur la croix ; 3° il a écouté les promesses du diable ; 4° le diable lui a défendu de baiser la croix. Après quoi viennent les litres qui ne se rencontrent que dans le procès séculier : 5° il a fait des poudres magiques ; 6° il a fait un usage criminel de ces poudres ; 7° il a commis des maléfices et assassiné des enfants ; 8° il est allé au sabbat ; 9° il a jeté un sort au lait des vaches ; 10° Il a fait périr un enfant ; 11 » il a fait avorter une vache ; 12° il a commis plusieurs empoisonnements ; 13° il a été complice d’autres empoisonnements ; 14° il a commis encore d’autres meurtres ; 15° il a participé à d’autres meurtres encore. Le juge civil le poursuit donc comme homicide et empoisonneur, mais aussi comme maléfique, apostat, devin, invocateur de démons et « feyturier » (sorcier), et le condamne à mort. J. Marx, U Inquisition en Dauphiné, p. 132.

Par de telles sentences, remarque un historien, J. Marx, ibid., p. 133, le tribunal séculier prenait cons-ience de son indépendance ; « il suffisait et se suffisait à lui-même pour condamner et exterminer les sorciers. C’est ce qui nous explique que, dans le second quart du xve siècle, un certain nombre de procès de sorciers aient été jugés par la cour-mage sans que mention soit faite de l’inquisiteur. »

Une autre remarque s’impose : si le nombre des condamnations à mort des sorciers a été si considérable au xve siècle et plus tard, c’est aux tribunaux séculiers et non aux inquisiteurs qu’il faut attribuer cette sévérité. De ces exécutions, l’Inquisition n’est pas, à proprement parler, responsable

Criminels de droit commun.

A vrai dire, l’luqui silion

fut aussi chargée d’instruire des procès iur des crimes de droit commun. Les gens de Marteau, dont l’obstination avait provoqué, nous l’avons vii, la sévérité de Benoît XIII, s’étaient rendus coupables d’adultère, d’inceste, de concubina’ge, pour lesquels ils se vantaient d’avoir l’impunité ; le pontife voulut que l’inquisiteur et l’oflicial réprimassent ces désordres. L’inquisiteur fut ainsi amené à s’occuper de délits qui n’étaient pas de sa compétence ordinaire, Vidal, Bullaire de V Inquisition française, n. 329, p. 469. Pons Fougeyron reçut pareillement d’Alexandre V un surcroît de facultés débordant la compétence ordinaire de l’Inquisition, contre des criminels de droit commun, notamment contre les usuriers. Vidal, Ibid., n. 330, p. 487 ; cf. bulle de Grégoire XI, de 1375, ibid., n. 300, p. 427. Au reste, Nicolas V remettra plus tard à Hugues Nègre (Ni, 9ri), inquisiteur en Languedoc et en Gascogne, le droit de punir non seulement le blasphème et la sorcellerie, mais encore les actes sacrilèges et les crimes contre nature. Ripoll, op. cit., t. iii, p. 301. « Les vrais hérétiques manquant, remarque un historien, l’Inquisition se rabattait sur les criminels qui pouvaient leur être assimilés. » Vidal, Bullaire de V Inquisition française, p. xlviii.