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INQUISITION


peuple et les princes se firent d’abord justice, par des condamnations et des exécutions sommaires : expulsion ou mise à mort des coupables (affaires d’Orléans et condamnation des lurctiques par le roi Robert, Mansi, Concil., t. xix, col. 373-386 : aftaire de Liège, dans Frédéricq, Corpus, t. i, p. 28-32 ; afïaire de Soissons dans Bouquet, Historiens des Gaules, t. xii, p. 2C6). L’Église répugna longtemps à ces mesures de rigueur. Parmi ses représentants, les uns ne se reconnaissaient pas le droit de châtier l’hérésie comme un crime, et se bornaient à la combattre par la discussion : Capiantur non armis, sed argumends, disait saint Bernard, In Canl., serm. lxiv ; cf. Wazon, évêque de Li(ge, Epist., dans Momimenla Germaniæ historica, Scriptores, t. ii, p. 227 ; d’autres ne voulaient employer contre elle que des peines spirituelles telles que l’excommunication, destinée à préserver les fidèles de toute contamination. Cf. conciles de Reims, 5 octobre 1049, et de Toulouse, 13 septembre 1056, dans Mansi, Concil., t. xix, col. 737 et 849 ; d’autres enfin, tout en prononçant des peines temporelles contre les hérétiques, n’usaient que faiblement et à contre cœur de ces moyens extrêmes : la peine de mort restait en tout cas exclue de tout système de répression : quod leges lam ecclesiasticæ quam sœculares effusionem humani sanguinis prohibent, écrivait le pape Alexandre II à l’archevêque de Narbonne. Mansi, Concil., t. xix, col. 980.

Cependant l’extension que prenait l’hérésie amena une recrudescence de sévérité. En 1162, le roi de France, Louis VII, signalait au pape Alexandre III les méfaits des manichéens dans les Flandres : « Que votre sagesse donne une attention toute particulière à cette peste, disait-il, et qu’elle la supprime avant qu’elle puisse grandir. Je vous en supplie pour l’honneur de la foi chrétienne, donnez toute liberté dans cette affaire à l’archevêque (de Reims) ; il détruira ceux qui s’élèvent ainsi contre Dieu ; sa juste sévérité sera louée par tous ceux qui, dans ce pays, sont animés d’une vraie piété. Si vous agissiez autrement les murmures ne s’apaiseraient pas facilement et vous déchaîneriez contre l’Église romaine les violents reproches de l’opinion. En lisant ces Lgnes, il est facile de voir qu’Alexandre III répugnait à la violence. Dans sa réponse, en date du Il janvier 1163, il promit, du moins, de ne rien décider, dans la question des hérétiques de Flandre, sans l’avis de l’archevêque de Reims. Martèue, Amplissinia collectio, t. ii, p. 683-684.

Cet échange de lettres explique la décision du concile qui se tint à Tours, en cette même année 1163, sous la présidence d’Alexandre III. Des mesures de rigueur y furent prises contre l’hérésie manichéenne qui t comme un chancre, s’était étendue à travers toute la Gascogne et dans d’autres provinces. » Le concile ordonnait à tous les évêques et à tous les prêtres de la surveiller ; par leurs soins, les hérétiques devaient être chassés de tous les pays où on les découvrirait ; les princes étaient même invités à les emprisonner ; enfin on devait les dépister et rechercher avec soin leurs assemblées secrètes. Mansi, ConciV., t. XXI, col. 1178. C’était déjà une ébauche de l’Inquisition, prise au sens large.

Au concile de Latran de 1179, Alexandre III. tout en rappelant, après saint Léon le Grand, que le clergé évite avec soin l’ellusion du sang, cruenlas ef/ugianl iillioncs, demande à la puissaiice séculière des sanctions pénales « contre les cathares, les puhlicani ou patareni, qui, en Gascogne, dans l’Albigeois et le comte de Toulouse, ne se contentaient pas de professer leur erreur en secret, mais la manifestaient publiquement. » Il lance l’anathème contre eux et contre tous les fauteurs ; il appelle même les princes et les peuples aux armes, et pour la première fois on

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

voit une croisade ordonnée non plus contre des infidèles, mais contre des hérétiques.

Six ans plus tard (1184), Lucius III réunissait à Vérone, dans une sorte de concile, non seulement des patriarches, des archevêques et des évêques, mais encore l’empereur Frédéric Barberousse et un grand nombre de princes venus de tous les points de l’empire. Avec leur concours et plus pr. cisément avec le concours de l’empereur, Frederici illustris Romanorum imperaloris, semper Augusti, præsentia pariler et vigore sufjutti, le pape promulguait une constitution « contre les cathares, les patarins, ceux qui s’appelaient faussement les humiliés et les pauvres de Lyon, les pnssagini, les josephini, les arnaldistæ. » Cette mesure atteignait tous les hérétiques, parfaits ou simples croyants, clercs ou laïques. Les coupables, surtout les relaps, seraient livrés au bras séculier, qui leur appliquerait ï’animaduersio débita. Tout archevêque ou évêque devait inspecter soigneusement, en personne ou par son archidiacre ou par des gens de confiance, une ou deux fois l’an, les paroisses suspectes, et se faire signaler sous serment par les habitants, les hérétiques, avoués ou cachés. Ceux-ci étaient invités à se purger par serment du soupçon d’hérésie et se montrer désormais bon - catlioliques ; s’ils refusaient de prêter serment ou retombaient de nouveau dans l’erreur, ils seraient punis par l’évêque. Les comtes, barons, recteurs, conseils des villes et autres lieux, devaient prêter serment d’aider l’Église dans cette œuvre de répression, sous peine de perdre leurs charges ; d’être excommuniés et de voir l’interdit lancé sur leurs terres ; les villes qui résisteraient sur ce point aux ordres des évêques seraient mises au ban de toutes les autres ; aucune ne pourrait comme ; cer avec elles. Enfin les évêques et archevêques devaient avoir toute juridiction en matière d’hérésie et être considérés comme délégués apostoliques par ceux qui, jouissant du privilège de l’exemption, étaient placés sous la juridiction immédiate du Saint-Siège.

Comme on l’a remarqué, cet édit (qui fut inséré dans les Décrétâtes, I. V, tit. vu. De hæreticis, c. 9) était « le plus sévère qui eût encore é é fulminé contre l’hérésie. » Lea, Histoire de l’Inquisition, t. i, p. 131 (116). En efïet, on ne se contentait pas de frapper les hérétiques et leurs fauteurs ou receleurs ; on les rechercliait ; et cette recherche était organisée et confiée au zèle des évêques, qui en étaient responsables.

Les évêques s’acquittant plus ou moins exactement de leur mission, Rome se crut obligée de suppléer à l’insuffisance de leur zèle. Les papes confièrent à des légats le soin d’agir contre l’hérésie, de concert avec les évêques ou à côté d’eux, et l’on vit, dès le xiie siècle, fonctionner simultanément deux inquisitions : l’inquisition épiscopale, exercée par les ordinaires dans leurs diocèses respectifs, et l’inquisition légatine, exercée par les légats, dans toute l’étendue d’une juridiction déterminée. Dès 1178 le pape Alexandre III avait envoyé le cardinal de Saint-Chrysogone comme légat en Languedoc avec pleins pouvoirs pour réprim r l’hérésie : en vertu de cette délégation, le légat et les cisterciens qui l’accompagnaient firent promettre par serment à l’évêque de Toulouse, à une partie du clergé, aux consuls et à tous les citoyens dont la foi n’était pas suspecte de leur signaler par écrit tous les hérétiques et leurs fauteurs. Vaissette, Histoire générale du Languedoc, t. vi, p. 79. En 1198, Innocent III donna pareillement tous pouvoirs aux religieux cisterciens qu’il envoyait dans le comté de Toulouse comme légats apostoliques. Les princes avaient ordre de se mettre à leur disposition : « Nous enjoignons aussi à tous les peuples de s’armer contre les hérétiques, lorsque frère Raynier et frère Gui jugeront à propos de le leur ordonner. » Potthast,

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