Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 7.2.djvu/381

Cette page n’a pas encore été corrigée

201 1|

INNOCENT XI

2012

homme de confiance à Rome, le cardinal d’Estrécs : L’emprisonnement du docteur Molinos et les égarements de sa doctrine font bien voir que le pape ne donne pas moins de créance à un ? dévotion apparente qu'à une véritable, et il -serait à souhaiter qu£ cet événement pût détromper Sa Sainteté de toutes les fausses impressions qu’il a reçues de semblables gens. Je serai bien aise de savoir (jnelle sera la suite de cette procédure. » Et le 1° octobre 1687, apris la condamnation de Molinos : « Si le pape voulait faire réflexion sur la confiance qu’il a accordée à Molinos, à Petrucci et à d’autres, il avouerait de bonne foi qu’il ne doit pas condamner ceux qui ne conviennent pas de son infaillibilité, et que ce ne doit pas être une raison qui l’empêche d’accorder les bulles à ceux que j’ai nommés. » E. MIchaud. Louis XIV et Innocent XI, 1883, t. IV, 458, 466.

Non, l’infaillibilité du pape, telle qu’elle est maintenant définie par le concile du Vatican, n'était nullement engagée par la faveur d’Innocent pour Molinos et Petrucci : le pape était loin d’avoir imposé ofliciellement comme un dogme la doctrine de ces deux hommes. Aujourd’hui encore, les théologiens s’accordent à dire que, comme homme privé, le pape pourrait même devenir vraiment hérétique. En 1310, Clément V n’a-t-il pas consenti à introduire officiellement un procès d’hérésie contre son prédécesseur Boniface VIII ? Mais au xviie siècle, et dans l’ardeur d’une lutte passionnée, on comprend qu’un roi, un laïque, n’ait pas fait ces distinctions ; dans toute l’affaire de Molinos, Louis XIV eut à cœur de montrer que des deux antagonistes, lui et Innocent XI, le vrai chrétien c'était lui.

D’après la rumeur publique, c'était le cardinal d’Estrées qui avait dénoncé Molinos ; au nom de Louis XIV, il aurait reproché à Innocent sa conduite : alors que le roi faisait tous ses efforts pour éteindre l’hérésie dans ses États, Ml s'étonnait étrangement que le pape protégeât un hérétique dans sa propre capitale. Le pape, disait-on, avait été mécontent de cette dénonciation, mais il n’avait pu sembler l’ignorer et il avait transmis l’affaire au tribunal du Saint-Ofilce. Dans une lettre du Il septembre 1685, d’Estrées se défend d’avoir pris cette initiative. P. Dudon, Le quiélisle espagnol Michel Molinos (1(528-1696), Paris, 1921, p. 168.'

Puis, on reste près de deux ans sans voir avancer le procès de Molinos et des quiétistes. Mais au mois de février 1687, les poursuites contre eux reprennent, et avec une grande activité : « En moins d’un mois, près de deux cents personnes furent mises à l’inquisition. Tout le monde avait peur pour soi, et l’on ne croyait pas qu’il y eût de voie sûre que de dire Amen à tous les sentiments des jésuites. Qui aurait pu se croire à couvert de tout soupçon, puisque le pape ne put s’en garantir et qu’on le fit passer pour un des fauteurs de la nouvelle hérésie ; en conséquence de quoi l’inquisition lui envoya des députés, pour l’examiner làdessus, non en qualité de souverain pontife, de vicaire de Jésus-Christ, de successeur de saint Pierre ; mais en qualité de Benedetto Adescalchi, ou de simple particulier. » Recueil…. 1688, p. 311.

Comme on l’a vii, la distinction apportée ici est fondée en théologic. Mais, en fait, ce bruit ne paraît pas reposer sur des données très sérieuses. Peut-être simplement une députation fut-elle envoyée à Innocent pour lui représenter la nécessité d’en finir avec Molinos.

A partir du mois de février 1687, le procès fut activement poursuivi. Par contre, à cette époque, Caraffa, Ciceri et Petrucci, trois amis de Molinos, furent créés cardinaux : promus le 2 septembre 1686, ils reçurent le cliapeau le 22 mai 1687. Par cette dignité, Petrucci, le plus lié avec Molinos, devait éviter plus facilement

les poursuites de l’Inquisition. On lut alors sur le torse de Pasquin :

Crimine siinl similes, verum impare sorte : Ostrum Petrucius, vincla Molinos habet.

Enfin, le 28 août, l’Inquisition porta son jugement : elle condamna 68 propositions de Molinos. DcnzingerBaunwail, n. 1221 sq. Lui-même dut faire une abjuration publique (3 septembre 1687), et fut condamné à la prison perpétuelle.

Quelque temps après, Petrucci fut jugé à son tour. .Jusqu'à ces dernières années, tout ce qui concernait son procès était resté dans la plus grande obscurité. Mais les PP. Hilgers et Dudon ont publié le bref de sa condamnation, et ce bref nous renseigne sur toute la suite de la procédure. J. Hilgers. Der Index, 1904, p. 563-573 ; P. Dudon, Ln quiétisie espagnol Micliel Molinos, 1921, p. 299-306. Des ouvrages de Petrucci, le tribunal avait lire 34 propositions condamnables. La rétractation eut lieu le 15 décembre 1687, dans le palais du cardinal Cibo, en présence de ce cardinal, du commissaire général de l’Inquisition et de deux témoins. Puis Petrucci fut maintenu dans toutes ses dignités, et défense fut faite de l’inquiéter à l’avenir au sujet de ses erreurs. Mais le 5 février 1688, en conséquence du jugement porté, ses ouvrages furent condamnés par le Saint-OfTice. Dans VIndcx de Léon XIII, de 1900, Petrucci est le seul cardinal dont on trouve des ouvrages condamnés pendant le cardinalat ; là encore, la querelle du quiétisme devait être dans l'Église une particularité unique.

Pour expliquer la faveur dont Innocent XI entoura les quiétistes, on a mis en avant une insuffisance de formation théologique. D’abord il ne s'était pas destiné à l'état ecclésiastique ; les mauvaises langues préten-. daient même qu’il ne savait pas le latin ; dans le conclave où il fut élu, un cardinal se serait écrié : « Donnez-nous du moins un pape qui entende le latin du bréviaire et du missel. M. le Vassor, Histoire du règne de Louis XIII (œuvre très protestante), 3e édit., Amsterdam, 1711, t. iv, p. 70. Il faut surtout ajouter qu’il n'était pas aisé.de voir le danger de la direction spirituelle de Molinos. Le quiétisme répondait aux tendances de l'époque ; il a été V hérésie spécifique de la fin du xvii*e siècle. En outre, on a fait très justement remarquer qu’assez souvent les écrits dangereux sont susceptibles de plusieurs sens, et que, pris de certains côtés, on peut les entendre en un sens orthodoxe ; c’est spécialement le cas pour les écrits de Molinos. Des jésuites de renom, comme Martin d’Esparza, donnèrent dans le quiétisme ; et dans les années qui suivirent la condamnation de Molinos, on mit à l’Index des ouvrages de spiritualité qui circulaient dans l'Église depuis le commencement du siècle. J. Paquier, Qu’estce que le quiétisme, 1910, p. 12.

Dans les dernières années de son pontificat, la piété d’Innocent XI alla encore en s’accentuant. Quelques instants avant sa mort, un ambassadeur lui ayant dit que son maître prendrait sous sa protection la famille du pape, les Odescalchi, Innocent répondit : « Je n’ai ni maison, ni famille ; ce n’est pas pour l’avantage de mes parents que Dieu m’a prêté la dignité pontificale, mais pour celui de l'Église et de son peuple. »

Il laissait une telle réputation de sainteté qu’aussitôt l’on s’occupa de recueillir les informations en vue de le canoniser. L’enquête juridique fut achevée en 1692, et la cause fut introduit » par Clément XI, le 16 juin 1714. Le décret.sur l’absence de culte (de non cultu) fut rendu le 15 octobre 1714, celui sur la réputation de sainteté en général (de fama sanctitatis in génère), le 22 janvier 1724. On commença alors le procès sur les vertus et les miracles ; en 1736, la S. C. des Rites constata la validité de toutes ces procédures. Mais