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IjNNOCENT XI


articles ; mais il refusa les bulles d’institution à tout membre de l’assemblée que le roi nommait auxévêchés. Et comme Louis XIV ne présentait que ceux-là, il s’ensuivit qu’au mois dejanvicr 1688, trente-cinq sièges étaient vacants.

A cette époque, un nouvel incident vint aigrir les rapports entre la papauté et la France. Peu à peu les ambassadeurs catholiques résidant à Rome avaient étendu à tout leur quartier le droit d’asile et de franchise dont jouissait leur liôtel. De là, pour la justice romaine, l’impossibilité d’atteindre quantité de criminels. Sur la demande d’Innocent, la plupart des États étrangers renoncèrent à cet abus. Louis XIV s’y refusa. Son nouvel ambassadeur, le marquis de Lavardin, entra dans Rome avec 200 hommes armés, pour occuper le quartier Farnèse. Innocent l’excommunia. Le roi fit saisir Avignon ; et le 24 septembre 1088, en présence du père de La Chaise, son confesseur, et de M. de Harlay, archevêque de Paris, il donna ordre au procureur général d’interjeter appel au futur concile de toutes les procédures faites ou à faire par le pape à son endroit.

Le 12 août 1689, Innocent XI mourut. Alexandre VIII, son successeur, continua et accentua même son attitude. La réconciliation se fit sous le successeur d’Alexandre, Innocent XII. Le pape donna des bulles aux évêques nommés qui déclarèrent se repentir de ce qu’ils avaient fait en 1682, et le roi écrivit au pape qu’il renonçait à son édlt de cette année-là (1693).

Innocent XI lutta pour une morale rigoureust', et il témoigna même de quelque bienveillance pour les jansénistes. On a dit qu’il pensa nommer Antoine Arnauld cardinal ; il aurait posé comme seule condi. tion qu' Arnauld se détachât des gallicans. Mais ce bruit vient d’une interprétation trop favorable d’une lettre que Cibo, le cardinal secrétaire d'État, écrivit à Arnauld au nom d’Innocent (2 janvier 1677), Œuvres d' Arnauld, 1775, t. i, p. 772. Par contre. Innocent fut constamment en lutte avec les jésuites. En 1676, il les exclut des missions du Tonkin et de la Cochinchine, et il leur défendit de recevoir des novices. Les jansénistes voulurent donner le change sur les condamnations qui les avaient frappés ; en 1677, deux de leurs amis, Pierre de Montgaillard, évêque de Saint-Pons, et Guido de Rochechouart, évoque d’Arras, déférèrent à Rome des propositions d’une morale relâchée. On dit qu’elles étaient tirées d’Escobar, Suarez, Busenbaum, et autres théologiens jv^suites. Le 2 mars 1679, le pape condamna 65 propositions de ce genre. Denziiig r-nanuwart, n. 1151-1215.

Dans le même temps, le pape entrait en lutte contre le probabilisme.

Vers 1673, le jésuite espagnol Thyrse Gonzalès avait composé un ouvrage, Fundamentumtheolof/iœmoralis où il attaquait fortement le probabilisme. Les reviseurs de l’ordre et le général Jean-Paul Oliva (vicaire général, puis général de la Compagnie, de 1661 à 1681) lui refusèrent l’autorisation de le publier. Gonzalès fit monter ses doléances jusqu’au pape, et celui-cie i saisit la congrégation du Saint-Office. InnocenI et le Saint-Office prirent position contre le probabilisme ; le 26 juin 1680, ils portèrent un décret en ce sens.

Ce décret comprend deux parties. La première contient des encouragements au P. Gonzalès à continuer dans la voie où il était entré ; le cardinal secrétaire d'État devait le lui faire savoir au nom du pape. De la seconde partie, nous avons trois rédactions différentes. La première a été transmise par le SaintOffice, en 1 693, au P. Gonzalès, devenu général de son ordre, et publiée par lui la même année : les pères de la Compagnie, y lit-on, doivent avoir la liberté d'écrire en faveur du probabiliorisme et de combattre le pro babilisme ; les universités, ou écoles théologiques des jésuites, doivent être averties de cette liberté. Des deux autres formes du décret, l’une a été publiée en 1734, parBalIerini, prêtre séculier grand adversaire du probabilisme, l’autre en 1745, par le P. Gagna, jésuite. Elles ne dilïèrent entre elles que par des nuances, et c’est celle de 1745 qui doit être préférée. Plus incisive que la version publiée en 1693, cette seconde forme du décret défend aux jésuites d'écrire en faveur du probabih’sme et de combattre le probabiliorisme.

De la version de 1693 ou de celle de 1745, quelle est celle qui a été transmise au P. Oliva en 1680? Vraisemblablement celle de 1693 ; l’autre forme, qui du reste se trouve certainement dans les archives du Saint-Office, aurait été un premier projet. Des doubles de ce genre ne sont pas rares. Que fit Oliva ? Il ne publia pas le décret (ce à quoi du reste il ne semble pas avoir été strictement obligé), et jusqu’en 1693 ce décret resta complètement ignoré. Il se borna à en écrire à la Compagnie, et dans des termes assez vagues (10 août 1680). Il défendait « d’affaibhr par des doctrines trop molles la rigueur de la discipline chritienne ii, mais aussitôt il ajoutait : « Ce n’est pas toutefois que nous soyons contraints, en toute question controversée, de rejeter les opinions plus bénignes. »

Innocent fut mécontent de la conduite d’Oliva ; en 1687, à la mort du général Charles de Noyelle, il pesa sur la Compagnie et lui fit donner pour successeur Thyrse Gonzalès lui-même qui fut général jusqu’en 1705.

La condamnation de Michel de Molinos et du quictisme est l’une des condamnations doctrinales les plus importantes de l’histoire de l'Église. Mais elle est encore entourée de quelque mystère. En 1910-1911, j’ai essayé de l'éclairer, par la consultation des archives du Saint-Office. Mais je me suis heurté à des refus répétés. Précédemment, pour ses études sur le xvie siècle, L. Pastor n’avait pas été plus heureux. Voir Historisclics Jalirbiich, 1912, t. xxxiii, p. 479-482. Pour quelle raison ces archives restent-elles encore fermées, alors que désormais toutes les autres archives pontificales sont publiques ? A cause de la nature très délicate des documents qu’elles renferment, par exemple, enquêtes sur la doctrine et la conduite des évêques ? Plus simplement, m’ont dit certains, parce qu’elles attendent un classement et des catalogues.

La condamnation de Molinos est très importante, non seulement au point de vue doctrinal, mais à cause de l’antagonisme qui s’y accentua entre Louis XIV et les jésuites d’un côté, Innocent XI et Molinos de l’autre. En France et un peu partout, on insiste beaucoup trop sur le quiétisme de Mme Guyon et de Fénelon, qui n’est qu’un demi-quiétisme ; il faudrait s’attarder davantage à celui de Molinos.

A l’article M ;, lin()s, on trouvera des développements sur l’histoire et le fond de ce quiétisme. Ici, il est sans doute bon de présenter déjà quelques remarques sur le rôle personnel d’Innocent XI dans cette ail aire. Ce rôle n’est pas encore complètement éclairci. Mais Innocent fut évidemment favorable à Molinos. On a dit qu’il avait songé à le créer cardinal. En 1680, le j ésuite Paul Segneri, soutenu par son général Jean-Paul Oliva, attaque la nouvelle méthode de spiritualité. Alors ce fut la Lempête. Le 26 novembre 1681, l’ouvrage de Segneri est condamné par le Saint-Office. Quelques mois auparavant (14 avril 1681), InnocentXI avait nommé évêque d’Iesi l’oratorien Pierre Mattliieu Petrucci, ami intime de Molinos. Les années suivantes, des ouvrages antiquiétistes sont condamnés ; le mouvement quiétiste en est accentué.

Tout à coup, la scène change ; le 16 Juillet 1685, Molinos est mis en prison. Il devait y rester jusqu'à sa mort. Le 17 août suivant, Louis XIV écrivait à son